Les champs de maïs font aujourd’hui partie intégrante du paysage landais, au même titre que la forêt de pins et les plages infinies. Depuis les Hautes Landes jusqu’aux collines verdoyantes de la Chalosse, on en croise si souvent qu’on finit par ne même plus les remarquer. Il n’est donc pas étonnant que l’imagination des landais se soit emparée de cette graine jaune pour nous concocter un conte drôle et merveilleux dont elle a le secret.
C’est encore une fois le Dr Jean Peyeresblanques qui nous a fait le plaisir de poser ce conte par écrit. Pour les besoins de mes promenades contées, je me suis permise de le remanier légèrement, et c’est donc cette version modifiée que je vous propose ici :
En se promenant dans nos Landes, on croise bien souvent des champs de maïs.
Mais d’où vient-il, ce maïs ?
Certains vous diront d’Inde, et que c’est pour ça qu’ici on l’appelle lou lindoun, le blé d’Inde… Mais d’autres vous diront Ah ! Que non pas ! Le maïs, le gros millet, existait bien avant Christophe Colomb dans notre région.
Et l’on dit que ce serait le Diable lui-même, qui aurait amené le maïs chez nous. Le maïs n’est pas un don de Dieu, non, c’est un coup de ce maudit Diable ! Mais il n’a pas réussi à aller au bout de son néfaste projet, parce qu’une femme landaise, maligne et têtue comme il y en tant, l’en a empêché.
Le Diable, comme chacun sait, est toujours en quête d’un mauvais coup ou d’une âme à prendre. Comptant sur la pauvreté et la détresse des gens, il descendit un jour sur Terre, dans nos Landes, chez un paysan misérable.
-Hola paysan, lui dit-il. Tu cultives des grains bien trop petits ! Faisons un marché. Ton mil sera dix fois plus grand, et ton grain dix fois plus gros, et tu en auras, tu en auras… Dix fois plus, ah oui, dix fois plus !
Et dans ses longs doigts noirs et crochus brillaient des grains jaunes, et dorés.
-Tu pourras le moudre et manger la farine, tu pourras nourrir tes bêtes, tu seras riche, regarde ! En échange, tu me donneras ton âme dans sept ans, jour pour jour.
Le Diable avait bien choisi, notre paysan était si pauvre qu’il accepta.
-Je reviendrai te voir, et dans sept ans, tu seras à moi. En attendant travaille, et profite bien.
Avec ce grain extraordinaire, qui ne poussait que chez lui, le paysan s’enrichit. Il se maria, épousant une fille de son village. Il l’aimait très fort, mais gardait toujours pour lui le secret de l’origine de ces graines.
Les années passèrent, la fin du contrat arrivait et notre paysan dépérissait, il se desséchait, fou d’inquiétude de voir l’échéance arriver si vite. Sa femme, qui était tenace, finit par lui faire avouer le marché avec le Diable.
-Nous trouverons une solution, lui dit-elle. Quand vient-il ?
– Oh, souvent ! Quand je travaille, il arrive et me dit : « profite, profite, bientôt tu seras à moi. » Mais la fin du contrat est pour le 2 novembre.
-Nous serons prêts avant.
Quelques jours plus tard, la femme lui dit :
-J’ai trouvé ! Grâce à mon idée, nous serons débarrassés de lui et nous pourrons même garder le grain. N’aies pas peur, dis-lui simplement que tu as trouvé une bête extraordinaire et que, s’il la reconnait et est capable la nommer, tout est à lui. Sinon, tu es libéré de ton marché et tu gardes le grain.
Lorsque le Diable vint voir la récolte, notre homme lui dit :
-Je viens de découvrir une bête incroyable, je suis sûr que vous ne la connaissez pas.
-Penses-tu, je les connais toutes !
-Parions ! Si vous la connaissez, vous l’emportez en même temps que moi, sinon je garde le grain jaune, et mon âme !
-Tope-la, dit le Diable. Où est-elle ?
-Je l’ai cachée au fin fond du bois, venez demain vers 10 heures car elle dort beaucoup et se réveille tard. Elle est douce, mais capricieuse, vous verrez…
Le lendemain matin, le mari inquiet quand même vit sa femme se lever du lit et se mettre nue, toute nue, et s’enduire le corps de miel. Et quand elle fut bien enduite elle lui dit :
-Viens, aide-moi à fendre la couette.
Il s’exécuta, et sa femme se roula dans les plumes qui se fixèrent au miel.
-Maintenant, va couper la queue du chien.
-Quoi ? Mais…
-Ne discute pas, tu veux aller au Diable oui ou non ? Va couper la queue du chien et ensuite viens me l’attacher sur la tête.
Quand tout fut terminé, et cela prit un grand moment, la femme le suivit hors de la maison à quatre pattes.
Elle savait que le Diable était curieux et arriverait en avance, mais pas assez tôt, parce qu’elle était déjà fin prête. Lorsqu’il arriva dans la cour, il ne vit rien. Il appela alors notre homme.
-Eh bien, où est -elle ?
-Attendez, je l’appelle : Ninette, ninette !
Et notre bête sortit à quatre pattes sur le pas de la porte.
-Eh bien approche !
-Doucement monsieur le Diable, elle ne répond qu’aux paroles douces. Si on la brusque on n’arrive à rien. Ninette viens par ici, approche ! Alors, Diable ? La connaissez-vous cette bête, oui ou non ?
Intrigué, le Diable tournait autour de la bête. Vu l’emplacement de la queue, il cherchait les yeux de la bête au niveau des fesses de la femme, mais il ne voyait rien. Alors, curieux comme pas deux, il s’approcha de la queue. Après tout, c’est bien de cette façon que les animaux se reconnaissent entre eux, non ? Alors il approcha son nez de cette queue, tout prêt tout prêt, et alors tac ! d’un coup de dents notre bête lui mordit le nez et se mit à le griffer de ses pattes.
-Ouh lala, ouh la la, sale bête !! Sale bête, lâche-moi ! Garde-la, garde tout !
Et le Diable s’enfuit en hurlant, laissant le couple hilare et fier du coup qu’il lui avait joué ! Ils gardèrent précieusement le maïs qui, depuis lors, est resté dans les Landes.
(Retrouvez le texte original dans Contes et Légendes des Landes du Dr Jean Peyeresblanques)
C’est donc un conte au ton humoristique qui nous livre l’histoire de l’origine du maïs, pour ne pas dire grivois… La version que je vous livre là est en réalité bien moins crue que l’originale !
Dans ce conte, comme dans la plupart de ceux qui mettent en scène le Diable, on se moque, on ridiculise, on rit de celui qu’on nomme Satan. Il finit vaincu et humilié, car les landais sont toujours plus rusés que lui !
Comme ils le font pour les loups dont ils ont pourtant très peur, les landais utilisent les contes pour rire de ce qui les effraient. Une façon, sans doute, de minimiser l’emprise de ces êtres terrifiants sur leur quotidien…