La Graine du Diable

Les champs de maïs font aujourd’hui partie intégrante du paysage landais, au même titre que la forêt de pins et les plages infinies. Depuis les Hautes Landes jusqu’aux collines verdoyantes de la Chalosse, on en croise si souvent qu’on finit par ne même plus les remarquer. Il n’est donc pas étonnant que l’imagination des landais se soit emparée de cette graine jaune pour nous concocter un conte drôle et merveilleux dont elle a le secret.
C’est encore une fois le Dr Jean Peyeresblanques qui nous a fait le plaisir de poser ce conte par écrit. Pour les besoins de mes promenades contées, je me suis permise de le remanier légèrement, et c’est donc cette version modifiée que je vous propose ici :

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En se promenant dans nos Landes, on croise bien souvent des champs de maïs.

Mais d’où vient-il, ce maïs ?
Certains vous diront d’Inde, et que c’est pour ça qu’ici on l’appelle lou lindoun, le blé d’Inde… Mais d’autres vous diront Ah ! Que non pas ! Le maïs, le gros millet, existait bien avant Christophe Colomb dans notre région.

Et l’on dit que ce serait le Diable lui-même, qui aurait amené le maïs chez nous. Le maïs n’est pas un don de Dieu, non, c’est un coup de ce maudit Diable ! Mais il n’a pas réussi à aller au bout de son néfaste projet, parce qu’une femme landaise, maligne et têtue comme il y en tant, l’en a empêché.

Le Diable, comme chacun sait, est toujours en quête d’un mauvais coup ou d’une âme à prendre. Comptant sur la pauvreté et la détresse des gens, il descendit un jour sur Terre, dans nos Landes, chez un paysan misérable.

-Hola paysan, lui dit-il. Tu cultives des grains bien trop petits ! Faisons un marché. Ton mil sera dix fois plus grand, et ton grain dix fois plus gros, et tu en auras, tu en auras… Dix fois plus, ah oui, dix fois plus !

Et dans ses longs doigts noirs et crochus brillaient des grains jaunes, et dorés.

-Tu pourras le moudre et manger la farine, tu pourras nourrir tes bêtes, tu seras riche, regarde ! En échange, tu me donneras ton âme dans sept ans, jour pour jour.

Le Diable avait bien choisi, notre paysan était si pauvre qu’il accepta.

-Je reviendrai te voir, et dans sept ans, tu seras à moi. En attendant travaille, et profite bien.

Avec ce grain extraordinaire, qui ne poussait que chez lui, le paysan s’enrichit. Il se maria, épousant une fille de son village. Il l’aimait très fort, mais gardait toujours pour lui le secret de l’origine de ces graines.
Les années passèrent, la fin du contrat arrivait et notre paysan dépérissait, il se desséchait, fou d’inquiétude de voir l’échéance arriver si vite. Sa femme, qui était tenace, finit par lui faire avouer le marché avec le Diable.

-Nous trouverons une solution, lui dit-elle. Quand vient-il ?
– Oh, souvent ! Quand je travaille, il arrive et me dit : « profite, profite, bientôt tu seras à moi. » Mais la fin du contrat est pour le 2 novembre.
-Nous serons prêts avant.

Quelques jours plus tard, la femme lui dit :

-J’ai trouvé ! Grâce à mon idée, nous serons débarrassés de lui et nous pourrons même garder le grain. N’aies pas peur, dis-lui simplement que tu as trouvé une bête extraordinaire et que, s’il la reconnait et est capable la nommer, tout est à lui. Sinon, tu es libéré de ton marché et tu gardes le grain.

Lorsque le Diable vint voir la récolte, notre homme lui dit :

-Je viens de découvrir une bête incroyable, je suis sûr que vous ne la connaissez pas.
-Penses-tu, je les connais toutes !
-Parions ! Si vous la connaissez, vous l’emportez en même temps que moi, sinon je garde le grain jaune, et mon âme !
-Tope-la, dit le Diable. Où est-elle ?
-Je l’ai cachée au fin fond du bois, venez demain vers 10 heures car elle dort beaucoup et se réveille tard. Elle est douce, mais capricieuse, vous verrez…

Le lendemain matin, le mari inquiet quand même vit sa femme se lever du lit et se mettre nue, toute nue, et s’enduire le corps de miel. Et quand elle fut bien enduite elle lui dit :
-Viens, aide-moi à fendre la couette.
Il s’exécuta, et sa femme se roula dans les plumes qui se fixèrent au miel.
-Maintenant, va couper la queue du chien.
-Quoi ? Mais…
-Ne discute pas, tu veux aller au Diable oui ou non ? Va couper la queue du chien et ensuite viens me l’attacher sur la tête.
Quand tout fut terminé, et cela prit un grand moment, la femme le suivit hors de la maison à quatre pattes.
Elle savait que le Diable était curieux et arriverait en avance, mais pas assez tôt, parce qu’elle était déjà fin prête. Lorsqu’il arriva dans la cour, il ne vit rien. Il appela alors notre homme.
-Eh bien, où est -elle ?
-Attendez, je l’appelle : Ninette, ninette !
Et notre bête sortit à quatre pattes sur le pas de la porte.
-Eh bien approche !
-Doucement monsieur le Diable, elle ne répond qu’aux paroles douces. Si on la brusque on n’arrive à rien. Ninette viens par ici, approche ! Alors, Diable ? La connaissez-vous cette bête, oui ou non ?
Intrigué, le Diable tournait autour de la bête. Vu l’emplacement de la queue, il cherchait les yeux de la bête au niveau des fesses de la femme, mais il ne voyait rien. Alors, curieux comme pas deux, il s’approcha de la queue. Après tout, c’est bien de cette façon que les animaux se reconnaissent entre eux, non ? Alors il approcha son nez de cette queue, tout prêt tout prêt, et alors tac ! d’un coup de dents notre bête lui mordit le nez et se mit à le griffer de ses pattes.
-Ouh lala, ouh la la, sale bête !! Sale bête, lâche-moi ! Garde-la, garde tout !

Et le Diable s’enfuit en hurlant, laissant le couple hilare et fier du coup qu’il lui avait joué ! Ils gardèrent précieusement le maïs qui, depuis lors, est resté dans les Landes.

(Retrouvez le texte original dans Contes et Légendes des Landes du Dr Jean Peyeresblanques)

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C’est donc un conte au ton humoristique qui nous livre l’histoire de l’origine du maïs, pour ne pas dire grivois… La version que je vous livre là est en réalité bien moins crue que l’originale !

Dans ce conte, comme dans la plupart de ceux qui mettent en scène le Diable, on se moque, on ridiculise, on rit de celui qu’on nomme Satan. Il finit vaincu et humilié, car les landais sont toujours plus rusés que lui !
Comme ils le font pour les loups dont ils ont pourtant très peur, les landais utilisent les contes pour rire de ce qui les effraient. Une façon, sans doute, de minimiser l’emprise de ces êtres terrifiants sur leur quotidien…

L’Homme Gris des Montagnes – 3ème partie

Ils reprirent immédiatement la route vers le Sud, et voyagèrent aussi vite qu’ils le purent. Les orages les rattrapèrent lorsqu’ils quittèrent la forêt, et plus ils s’approchaient des montagnes, plus le ciel s’obscurcissait. Le tonnerre se fit alors plus assourdissant que jamais, les éclairs qui déchiraient le ciel les aveuglaient, et la pluie battante leur fouettait les épaules. Ils avancèrent ainsi des jours durant, sans échanger un mot, se raccrochant à leur courage pour ne pas céder à l’épuisement.
Ils se trouvaient désormais au milieu des montagnes et une brève accalmie leur permit d’apercevoir avec plus de clarté le paysage qui les entourait, et de se repérer. Un peu plus au Sud, la montagne la plus haute du monde se détachait du paysage, dominant toutes les autres. Ils étaient dans la bonne direction. Redoublant d’efforts, ils profitèrent du calme éphémère pour forcer l’allure. Saul s’inquiéta :

« Aurais-je vraiment la prétention de croire que je suis capable de gravir cette montagne ? Alors qu’on dit qu’aucun homme n’a jamais réussi ?
– Mais ne dit-on pas pourtant qu’un homme est déjà allé apporter l’eau des sources à l’Homme Gris ? répondit Ollie. On dit bien des choses tu sais, mais peu sont vraies…
– C’est bien possible, mais… Comment faire pour atteindre son sommet ?
– Ah, peut-être qu’un jeune homme seul n’y arriverait pas facilement, c’est vrai… Un homme et son cheval non plus, car le chemin qui mène au sommet risque d’être bien trop escarpé, même pour un cheval aussi courageux que toi, Borvo. »

Le cheval s’ébroua comme pour confirmer ces dires. Saul fit une moue inquiète, mais Ollie affichait un large sourire, comme à son habitude.

« Mais un homme et un follet, ma foi, je suis prêt à parier que nous en viendrons à bout ! »

Légèrement rassuré par ces derniers mots, Saul sourit à son tour et choisit de faire confiance à son ami.

La pluie avait repris ses droits depuis deux bons jours lorsqu’ils atteignirent un petit village, dont les maisons semblaient s’accrocher farouchement aux parois glissantes de la montagne. Quelques rares habitants subsistaient encore, résistant à la peur de l’Homme Gris qui avait fait fuir bon nombre d’entre eux. C’est là qu’ils se séparèrent de Borvo, qui ne pouvait plus les suivre sur les sentiers de plus en plus abrupts. Ils le confièrent à un vieil homme qui l’accueillit avec chaleur, et Saul fut saisi d’un mélange de tristesse et de soulagement à l’idée d’être séparé de son petit cheval ; sa présence allait grandement lui manquer, mais au moins il serait à l’abri, au chaud, et pourrait enfin se reposer tranquillement en attendant leur retour.

Saul et Ollie continuèrent donc seuls la périlleuse ascension de la montagne. Le follet restait assis sur l’épaule du garçon, au creux de sa capuche, se cramponnant tant bien que mal aux pans du tissu pour ne pas tomber à chaque secousse. Car le sol était glissant, et c’est à tâtons que Saul devait avancer, calculant soigneusement où il posait chacun de ses pas pour ne pas dégringoler dans le vide. C’est à peine s’il osait respirer. Mais minute après minute, pas après pas, il avançait, sans s’arrêter, sans voir défiler les heures. Il ne ressentait ni la fatigue, ni l’angoisse du vide ; seul comptait le pas qu’il était en train de faire. Ollie lui était d’une aide précieuse ; lorsque leur chemin rencontrait une crevasse en apparence infranchissable, le follet allait murmurer à l’oreille de l’arbre le plus proche, et celui-ci étirait ses branches et les tressaient de façon à former un pont au-dessus du vide. Lorsqu’ils se trouvaient face à d’immenses pierres tombées du sommet de la montagne, qui semblaient bloquer le passage, les arbres de nouveau venaient à leur secours et leur assurait un passage sûr de l’autre côté du chemin.

C’est ainsi que Saul et Ollie franchirent les derniers obstacles qui se dressaient sur leur route, et atteignirent enfin le sommet de la plus haute montagne du monde. Là, ce n’étaient plus les grondements du tonnerre et le battement de la pluie qui se faisaient entendre, mais des gémissements de douleurs et des hurlements de détresse à en faire défaillir le plus coriace des hommes. Glacé jusqu’au sang, Saul s’avança à pas hésitants en direction des cris, et passa la tête derrière un immense rocher. Là, debout au bord du vide, la créature gigantesque se tordait de douleur, et les nuages noirs qui se formaient au-dessus d’elle semblaient émaner tout droit de son désespoir. Saul eut même l’impression de voir ses longues jambes rocheuses trembler d’épuisement, tandis que ses mains déchirées faisaient d’éternels va-et-vient entre son cœur et ses yeux, sans jamais pouvoir les soulager. Saul prit son courage à deux mains et sortit de sa cachette en douceur.

« Homme Gris des Montagnes ? appela-t-il, tentant de faire porter sa voix au-dessus des lamentations de la créature. Je m’appelle Saul, et je viens vous aider ! »

La créature se tut soudain, et d’une voix tonitruante et profonde, répondit :

« Nul ne peut m’aider ! Celui qui a essayé avant toi a échoué, et me voici plus malheureux que jamais ! Laisse-moi donc, retourne d’où tu viens !
– Cette fois-ci, ce sera différent ! La Sorcière des Sources me l’a dit, me l’a promis. Cette fois-ci, l’eau vous guérira éternellement. »

L’Homme Gris tourna alors la tête vers lui et soupira :

« Je ne sais pas si je peux te croire.
– Faites-moi confiance. Racontez-moi, que s’est-il passé, la dernière fois qu’un homme est venu vous apporter cette eau ? »

Les jambes affaiblies du géant défaillirent alors et il tomba à genoux, faisant tout trembler autour de lui. La voix entrecoupée de sifflements de douleur, il répondit :

« L’homme est venu, a posé les trois gourdes sur le sol, puis est parti.
– Moi, je m’occuperai moi-même d’appliquer les eaux sur vos plaies, en suivant les consignes de la Sorcière, sans vous laisser livré à vous-même.
– Il ne m’a pas adressé une seule parole. Il est parti sans même me regarder, et j’ai pu lire le dégoût sur son visage.
– Je me tiens devant vous, je vous regarde, et je vous parle, sans peur et sans répulsion. Je resterai aussi longtemps que vous le souhaiterez. Vous voyez, tout sera différent. »

L’Homme Gris garda le silence un moment, comme s’il réfléchissait, mais son corps de pierre était toujours secoué de spasmes douloureux. Saul le regardait attentivement, et malgré l’apparence effrayante de la créature, il sentait la compassion en lui grandir encore ; contrastant avec son physique de monstre des montagnes, ses paroles semblaient être celles d’un enfant abandonné, et le garçon en était bien attristé. Il s’avança un peu plus, et posa doucement sa main sur le genou de l’Homme Gris. Ce fut d’abord comme s’il touchait de la pierre, dure et froide, mais il sentit qu’en-dessous de cette surface glacée s’écoulait l’élan chaud de la vie.

« Faites-moi confiance, répéta-t-il. Je peux vous aider. »

L’immense créature acquiesça d’un signe de tête, et Saul sentit qu’il avait réussi à faire renaître l’espoir en lui.

Ainsi, avec l’aide du petit follet, Saul entreprit de guérir les plaies de l’Homme Gris des Montagnes. Comme le lui avait indiqué la sorcière, il versa une goutte de la première source dans chacun de ses yeux, et presque instantanément, les brûlures et gonflements commencèrent à s’atténuer. Il sortit de sa sacoche sa chemise de rechange qu’il déchira en deux, trempa dans l’eau de la deuxième source, puis il banda les mains meurtries du géant. Enfin, il lui fit boire une gorgée de la troisième source, afin qu’elle s’écoule rapidement jusqu’à son cœur. Alors l’Homme Gris des Montagnes retrouva la vue, put de nouveau utiliser ses mains sans hurler de douleur, et respirer, rire, parler, sans que son cœur ne le transperce de la plus aigüe des souffrances. Il était enfin libre, et comme lui, le ciel retrouva bientôt sa légèreté.

Saul et Ollie passèrent deux jours de plus au sommet de la montagne, autant pour s’assurer que le géant était bien guéri que pour reprendre eux-mêmes des forces avant d’entamer le voyage de retour. C’est au matin du troisième jour qu’ils eurent la surprise de constater que l’apparence de l’Homme Gris commençait à changer ; sa peau était plus lisse, moins sombre, et il semblait avoir perdu un peu de sa hauteur. C’est en apercevant son reflet dans une flaque d’eau sombre que soudain, il se rappela son passé.

« J’étais un homme autrefois, déclara-t-il. Un jeune homme, à peine un peu plus âgé que toi, Saul. Une sorcière m’a jeté un sort, une malédiction qui a transformé mon apparence physique et m’a rendu malade… C’était il y a si longtemps… J’avais tout oublié. »

Avec son agilité habituelle, Ollie grimpa sur l’épaule du géant et observa son visage.

« Tu es en train de redevenir humain ! s’exclama-t-il. L’eau magique ne t’a pas seulement guéri, elle a annulé la malédiction ! »

Un large sourire apparut alors sur les traits de l’Homme Gris, et l’espoir jaillit de ses yeux sombres.

« Je crois qu’il est temps pour toi de quitter cette montagne, dit Saul. Descends avec nous vers les plaines ! Tu pourras y retrouver une vie humaine, auprès de nous. »

Le géant tourna la tête vers l’horizon, où le ciel bleu de l’été s’étendait désormais à l’infini, et acquiesça :

« Rien ne me ferait plus plaisir. »

Dès le lendemain, ils se mirent donc en chemin. La descente ne fut pas plus aisée que la montée, et la taille imposante de l’Homme Gris ne lui facilitait pas la tâche sur les sentiers étroits. Mais à chaque heure qui passait, il semblait gagner en agilité et à la fin de la journée, il était moins grand d’une tête et demie. Il s’en aperçut alors que, une fois arrivés au village où ils avaient laissé Borvo, il prit Ollie dans sa main pour l’aider à descendre de son épaule. Il arrêta alors son geste, et observa le petit follet, interloqué :

« Est-ce caractéristique des follets de grandir au fur et à mesure que l’on perd de l’altitude ?
– Ah non ! répondit Ollie en riant aux éclats. Moi je n’ai pas bougé, je suis toujours aussi petit – mais pas si petit que cela pour un follet ! C’est toi qui rapetisse encore ! »

L’Homme Gris répondit à son tour par un éclat de rire tonitruant qui ricocha contre les parois de la montagne et résonna dans la nuit qui venait de tomber. Saul se sentit alors saisi de bonheur, en voyant cet homme immense, qui se tordait de douleurs quelques jours plus tôt, rire ainsi à gorge déployée. Il n’aurait pas pu rêver meilleur succès à sa mission.

Les quelques habitants du village se précipitèrent au-dehors pour voir d’où venait ce rire étrange, et eurent un mouvement de recul effrayé en apercevant cette créature étrange se tenir devant eux. Mais Saul s’empressa de les rassurer, et leur raconta toute son aventure, ainsi que la malheureuse histoire de l’Homme Gris des Montagnes, qui bientôt redeviendrait humain. Alors les villageois acclamèrent le jeune homme qui avait libéré le géant de sa terrible malédiction, et accueillirent le trio insolite de la façon la plus chaleureuse qui soit. Saul retrouva son petit cheval avec bonheur, et passa la soirée à festoyer avec leurs nouveaux amis. En observant l’Homme Gris, il s’aperçut qu’à chaque geste amical, à chaque parole bienveillante qu’on lui adressait, la métamorphose de son apparence semblait s’accélérer. Ses cheveux repoussaient dès que quelqu’un lui adressait un sourire, ses ongles avaient resurgi de sous la roche au moment où une jeune femme lui avait tendu un verre de vin, et son nez se redessinait au fur et à mesure qu’on lui servait des plats bien chauds. A la fin de la soirée, il avait presque retrouvé une apparence totalement humaine, hormis sa taille qui restait bien plus grande que la normale, et sa peau, qui gardait une teinte grise et un aspect rocheux.

Le lendemain, ils remercièrent les habitants du petit village et reprirent leur route sous un soleil éclatant, le cœur léger. L’Homme Gris affichait un grand sourire et marchait d’un pas enjoué, savourant chaque instant de cette belle matinée avec l’enthousiasme d’un enfant. Saul lui demanda :

« Avais-tu un nom, autrefois ?
– Je pense que oui. Mais je ne m’en souviens pas. Comment obtient-on un nom ?
– En général ce sont les parents qui le choisissent à la naissance, mais ce n’est pas toujours le cas. Moi par exemple on m’appelle Saul, mais c’est un surnom que l’on m’a attribué quand j’étais petit, et qui a fini par remplacer mon prénom de naissance…
– Un surnom ? Peut-être pourrait-on m’en trouver un ?
– Sûrement !
– J’aimerais que ce soit quelque chose de joyeux… Mais j’ai connu et créé tellement de malheurs… Je ne suis pas sûr que l’on trouve chez moi quelque chose qui inspire la gaité.
– Pourtant tu nous montres à chaque instant, depuis que nous avons quitté la montagne, que tu sais être heureux, et qu’il y a beaucoup de joie en toi. Cela m’a frappé hier, lorsque tu as ri aux éclats en arrivant au village.
– J’ai ri ?
– Oh oui ! s’exclama Ollie. Tu as ri si fort que la montagne en a tremblé de surprise. Personne n’avait ri comme ça depuis bien longtemps dans les montagnes. Tu as ri, et cela a réveillé quelque chose dans le cœur des gens.
– Cela pourrait être ça, ton surnom… Ari ? proposa Saul.
– Oh oui ! Cela me plairait ! Ari… »

Ses yeux se mirent à briller un peu plus fort lorsqu’il prononça ce nouveau nom, et alors qu’il le répétait encore et encore, toute trace de roche disparut de sa peau, et il redevint enfin le jeune homme qu’il avait été autrefois. Et de nouveau il se mit à rire, aussi fort que la veille, et ce son joyeux les accompagna tout au long du voyage…

 

FIN

Les trois légendes

Si vous suivez également Les Pins Parleurs sur Facebook, vous savez que je m’apprête à partager avec vous, chers lecteurs, une histoire originale que j’ai écrite il y a quelques temps, pour mon propre plaisir. Aujourd’hui je trouve le courage pour la première fois de partager mes écrits… En espérant que vous trouverez du plaisir à les découvrir !

Cette histoire originale puise son inspiration dans trois légendes landaises, que j’ai déjà présentées sur Facebook, et que je réunis aujourd’hui dans cet article.

 

Les follets

Si vous côtoyez les écuries et les chevaux, vous avez peut-être déjà remarqué que, certains matins, la crinière de votre monture est toute emmêlée, toute tressée ! Et il faut alors vous armer de patience pour défaire ces nattes toutes tarabiscotées.
Savez-vous d’où cela vient ?
Ce sont les follets !
Les landais, dont la mythologie fourmille de toutes sortes de créatures, croyaient beaucoup en ces petits lutins, invisibles aux yeux des humains, qui aiment venir tresser les crins des chevaux et galoper sur leur dos toute la nuit.
C’est une grande histoire d’amitié, vieille de plusieurs millénaires, qui lie les chevaux et les follets. Ils passent des heures et des heures ensemble dans le secret de la nuit, à galoper dans le noir.
Cette jolie croyance se retrouve dans plusieurs provinces françaises, où le follet porte différents noms, le lutin bien sûr, mais parfois aussi le sotray ou le crion.

Sources : Les mystères des Landes, Pierre Chavot, p45

 

Les 3 fontaines d’Escource

Au village d’Escource passe un ruisseau près duquel s’échelonnent trois fontaines, toutes trois placées sous la protection d’un Saint patron, comme souvent dans les Landes.
La première, la fontaine Saint-Antoine, a la réputation de soigner les maladies de peau.
La seconde, la fontaine Sainte-Luce, est connue pour soulager les maladies des yeux.
La troisième, la fontaine Saint-Co, viendrait à bout des problèmes de coeur.
Ces trois fontaines, tout comme de nombreuses autres sources sacrées dans nos Landes, ont longtemps attiré à elles de nombreux fidèles, de nombreux croyants, et les témoignages de guérisons miraculeuses sont légion.
Mais ces sources avaient une particularité. Dans les années 50, on disait qu’on ne pouvait accéder à la magie de ces fontaines sans passer d’abord par une femme, une « recommandeuse », qui indiquait au patient quelle source il devait utiliser. Sans elle, on disait que la magie des Saints restait inopérante !
Il est facile, en entendant cette histoire, de laisser son imagination s’emballer et de songer aux sorcières, ou aux fées protectrices des sources, qui peuplent les contes landais…

Source : Sources et Saints guérisseurs des Landes de Gascogne, Olivier de Marlave, p61.
Source des photos : www.fontainesdeslandes.fr 

fontaine saint antoineFontaine Saint-Antoine

fontaine sainte luceFontaine Sainte-Luce

fontaine saint coFontaine Saint-Co

L’homme noir des Pyrénées

Dans le Sud des Landes circulait autrefois une légende au sujet de la grêle, des orages et des tempêtes qui s’abattaient sur les plaines. On disait que ces intempéries étaient créées par « l’homme noir », qui apparaissait sur les sommets pyrénéens pour les envoyer détruire les champs et les cultures. Les grêlons semblaient tomber directement de sa main…
Les bergers l’auraient parfois aperçu, sur le pic du Nethou, le point culminant des Pyrénées. De là, il appelle les orages et envoie des torrents de pluie et de grêle au pied de la montagne. Montagne qui, d’après eux, n’a jamais pu être gravie par quiconque !

Source : Les mystères des Landes, Pierre Chavot, p56.

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Au bûcher !

Chacun sait que depuis le Moyen-Âge, et jusqu’à l’aube du Siècle des Lumières, la France, l’Europe, et les Etats-Unis ont été le théâtre d’une répression à grande échelle qui a fait un grand nombre d’innocentes victimes : les chasses aux sorcières.

Je vous en ai déjà un peu parlé dans l’article sur Pierre de Lancre, le chasseur de sorcières qui a sévi dans le sud-ouest au début du XVIIème siècle et qui marque l’apothéose de la paranoïa autour de la sorcellerie dans notre région.

Le schéma est souvent le même ; une femme est accusée de sorcellerie par le voisinage, ou parfois même par sa propre famille, car elle aurait donné une maladie, fait mourir un nourrisson, déclenché une tempête… La sorcière était toujours la cible idéale pour justifier n’importe quel malheur inexplicable. Elle était alors arrêtée, emprisonnée, et torturée.
Sous les effets de la torture, il était inévitable que la pauvre femme finisse par avouer toutes sortes de méfaits, son initiation à la sorcellerie, sa participation aux sabbats, et bien sûr les sorts jetés sur le voisinage. La sentence ne se faisait alors pas attendre ; exil, fouet, ou encore la mise à mort. Le bûcher était alors le moyen d’exécution le plus souvent réservé aux sorcières, car on considérait que par le feu, le mal serait purgé, purifié.

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Les archives nous dévoilent ainsi des confessions à peine croyables de prétendues sorcières, leurs descriptions minutieusement détaillées des sabbats et de leur rencontre avec le Diable, parfois même les recettes de leurs onguents et de leurs poudres magiques.
Une fois leurs aveux recueillis, il était bien impossible de revenir dessus. Certaines essayèrent malgré tout, toujours en vain.

Ainsi en 1466, à Magescq, deux femmes furent condamnées au bûcher : Jehanette de Odest, et Antonine du Morar. Cette dernière, sur le chemin du supplice, manifesta un sursaut de révolte. Revenant sur ses aveux, réclamant justice, elle déclara qu’elle déchargeait sa conscience de ce péché de mensonge, et qu’elle en chargeait celle de ses juges. Mais il était trop tard pour revenir en arrière, la foule attendait son spectacle, et les sorcières furent brûlées.

Il était fort rare qu’une prétendue sorcière soit finalement reconnue innocente. Et quand elle l’était, c’était souvent trop tard.

Quelques-unes de ces histoires de miraculées nous sont parvenues, et la première me semble appartenir bien plus au domaine de la légende que du véritable fait historique :

Cette histoire serait la mention la plus ancienne d’une condamnation au bûcher pour sorcellerie dans notre région. C’était aux alentours de l’année 1100, à Saint-Sever, quelques jours après la Pentecôte.

Une foule d’environ vingt mille personnes s’est rassemblée pour assister à l’exécution d’une Lombarde que l’on amène nue, devant le bûcher qui lui est destiné. L’accusation est accablante : depuis quelques temps, une mystérieuse épidémie ravage la région, n’épargnant aucune famille. Hommes, femmes, enfants meurent subitement, et nombreux sont ceux qui perdent parents ou amis. Qui, le premier, a désigné comme responsable cette étrangère qui vit, de son propre aveu, « dans la négligence et le péché » ? Nul ne le sait et ne le saura jamais.
La diffamation se répand dès lors très rapidement. C’est cette femme la responsable, c’est elle qui a empoisonné tout le pays, c’est elle la sorcière. On l’arrête, on l’enchaîne, on la jette au fond d’un cachot et, sans atermoyer, on la condamne au bûcher. Nul besoin de magistrats, nul besoin de textes de droit. Le peuple dicte sa sentence et prépare avec frénésie le supplice suprême. Mais alors que les premières flammes s’élèvent, un adolescent, peiné du spectacle de cette femme dénudée, lui jette la maigre tunique qui le couvre. Renforcée par ce geste dans sa foi en la justice divine, la condamnée s’adresse à la bienheureuse Vierge de Rocamadour : la fournaise s’apaise, les flammes diminuent, et la Lombarde traverse le bûcher sans subir aucune brûlure ni même sentir la moindre chaleur. Miracle ! La Vierge n’a pas voulu que s’accomplisse la justice expéditive des hommes. On allait brûler une innocente.

François BORDES, Sorciers et sorcières, p17

Malgré le côté légendaire de ce récit, l’histoire de la Lombarde résume malgré tout assez bien la mentalité des populations pendant les chasses aux sorcières : les malheurs étaient toujours le fait d’une intervention maléfique et, pour s’en délivrer, il fallait trouver et éliminer le responsable… La sorcière.
Et si ce texte se place au début du XIIème siècle, ce n’est finalement que plus tard, à partir du XVème siècle, que la persécution de ces dites sorcières prendra réellement son essor.

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C’est durant ce XVème siècle que ce situe une autre histoire de sorcière innocentée… Celle-ci bien trop tard, malheureusement.

Alors qu’à cette époque le territoire est occupé par les Anglais, le seigneur Archambaud de Caupenne fit brûler par deux fois des sorcières dans le petit village d’Amou (village qui, nous l’avions vu, sera plus tard considéré par Pierre de Lancre comme un véritable nid de sorcières). Le premier bûcher fit huit victimes, le second en fit trois.
Et parmi ces victimes il y en avait une, nommée Domenge de Casalhot, qui rendit son dernier souffle en prison, quelques jours avant l’exécution de la sentence. Mais l’on considérait malgré tout que son corps devait être brûlé ; sans la purification par le feu, la sorcellerie de cette femme aurait pu continuer d’exercer ses méfaits, même après sa mort. Alors on enferma son corps dans un tonneau, que l’on plaça au milieu du bûcher, entre les deux autres condamnées.
Mais là, à la grande surprise de la foule, « miraculeusement, on ne sait comment, il fut impossible de brûler la dite sorcière, laquelle avait pour nom Domenge de Calashot ».
Son corps resta intact, résistant au brasier, comme la preuve suprême de son innocence.

Ce second récit, qui se trouve dans les archives et qui mentionne des noms et dates, semble réellement faire partie de l’Histoire. Elle est pourtant teintée d’une part de mystère qui, en raison de la superstition des hommes à l’époque, ne trouve pas d’explication dans les archives ; l’intervention divine, la survenue d’un miracle, leur suffisait amplement. Il est donc presque impossible aujourd’hui de savoir ce qui s’est réellement passé, pourquoi le corps de cette femme n’a pas brûlé…
Et s’il existe une explication rationnelle à cet histoire miraculeuse, on peut aussi se plaire à la laisser du côté de la légende, comme souvent avec les histoires de sorcières, ou l’imaginaire n’est finalement jamais loin de l’Histoire.

Quoiqu’il en soit, les cas de sorcières innocentées jusqu’au XVIIème siècle sont très rares, et il faudra attendre la rationalisation des esprits à la veille des Lumières pour que la balance s’inverse ; si les accusations de sorcellerie étaient toujours aussi nombreuses, les superstitions étant difficiles à enrayer dans les milieux ruraux, on trouve en revanche à cette époque de plus en plus de procès en diffamation, et de moins en moins de procès en sorcellerie.
Peu à peu, les bûchers se sont éteints, mais pendant bien longtemps encore, jusqu’à notre XXIème siècle, les superstitions, les peurs, la fascination envers la sorcellerie ont persisté. La figure de la sorcière a accompagné notre inconscient collectif depuis la nuit des temps et est encore aujourd’hui, et pour longtemps, profondément ancré dans notre imaginaire.

WITCHES OVER TOWN

source

La petite Quitterie

Aujourd’hui, j’aimerais vous faire découvrir un auteur que j’ai découvert au cours de  mes recherches sur les contes et légendes des Landes, et que j’aime beaucoup ; Charles Daney.

Né en 1927 à Gujan-Mestras, résidant aujourd’hui à Arcachon, Charles Daney a publié plusieurs livres dédiés principalement à la Gironde, dont quelques recueils de contes inspirés de notre sud-ouest et de son vaste imaginaire.
J’ai eu la chance de tomber sur l’un de ses ouvrages dans la bibliothèque de Mériadeck à Bordeaux, alors que je faisais mes recherches. Son titre, « Contes et légendes des Landes, de la Mer, et du Vent », a tout de suite retenu mon attention et emballé mon imagination. J’ai alors découvert dans ses pages une écriture riche et poétique, et un amour pour la lande qui se ressent à chaque paragraphe.

J’ai choisi de partager avec vous le texte de « La petite Quitterie », ce joli petit conte qui m’arrache à chaque lecture un petit sourire ému…

C’était l’année d’après les grands incendies de la lande, quand les nuages cuivrés des vols de criquets obscurcissaient jusqu’au ciel des Bordelais. Ceux-ci, gens instruits et qui se croyaient d’autant plus savants qu’ils habitaient la ville, avaient lu l’histoire des neuf plaies d’Egypte. C’est pourquoi ils attendaient en gémissant la suite des calamités. Il n’y avait franc-bourgeois en cette ville qui ne prédit guerre, peste, ou massacre.

Cette année-là vivait en un petit bourg de bout de lande une toute petite fille qui allait sur ses sept ans et se prénommait Quitterie, en hommage à la sainte landaise. Elle avait appris à lire dans les nuages le jour, les étoiles la nuit, les sillons de la terre en toutes saisons et l’écume des vagues par force 5. Solitaire comme toute vraie landaise, elle ne se sentait jamais seule, ayant appris à jouer de ses doigts écartés pour voir les clins d’œil du soleil ou écouter les chuintements du vent. Elle aimait très, très fort son petit coin de lande.

A cette époque on se battait encore à coup de branches contre le feu et à grand renfort de casseroles contre les criquets. Le feu, il est vrai, se glissait par la tourbe loin derrière, enflammant d’un coup les aiguilles de pin et la résine en pot, faisant flamber les arbres comme des torches. Les larves de criquet de leur côté avançaient de front sur les molinies, s’effondraient dans les tranchées mais franchissaient les lignes du feu allumé devant elles en barrières ardentes.

Personne ne reconnaissait plus la lande dans ces espaces noircis où l’odeur âcre du feu remplaçait les senteurs de miel et de térébinthe chères aux cœurs landais.

Quitterie l’aimait tant, sa lande, qu’elle s’est mise à errer comme un petit écureuil triste dans le désert brûlé. Elle était si triste, si triste, et pourtant si gentille que les fées l’ont adoptée. Elle aimait bien les fées d’ailleurs, les ayant déjà aperçues entre ses doigts lorsqu’elles sautaient les crêtes de l’incendie comme font filles et garçons des feux de la Saint-Jean ou chevauchant des criquets comme s’ils eussent été de vulgaires dragons volants. Elle savait qu’il fallait se méfier seulement du soleil qui sèche jusqu’aux bruyères quand il chauffe le sable à blanc, du vent qui casse jusqu’aux grands chênes de l’airial quand souffle la tourmente, de la pluie qui suinte de terre entre les molinies quand elle imbibe le sable jusqu’à plus soif, du sable qui ensevelit les maisons et les champs, des touristes qui ne craignent rien sinon que le ciel leur tombe en pluie sur la tête.

Quitterie connaissait la puissance et la gentillesse des fées. Elle leur a parlé doucement, tout doucement. Nous ne savons pas ce qu’elle a pu dire, ni ce que les fées ont répondu, mais c’est pour lui faire plaisir que les fées ont arrêté le feu et les criquets, qu’elles ont calmé le soleil, le vent, la pluie et le sable. Ce jour-là, la petite Quitterie a choisi de ne plus grandir pour rester avec ses fées, et, pour ne pas inquiéter ses parents, elle est partie sans bruit, sur la pointe des pieds, par un soir de pleine lune, pour ne jamais revenir. Ses parents aimaient bien la petite Quitterie mais comme font les grandes personnes qui ne croient que les journaux, la télé ou les livres où ils s’enferment en rond pour ne plus penser, pour ne pas s’ennuyer, disent-ils, comme si l’on pouvait s’ennuyer tant qu’il reste un brin de soleil, une pincée d’herbe, un souffle d’air, ou même simplement une toute petite fille qui aime son pays et qui le dit. Alors elle a préféré ne pas avoir à expliquer son choix. Ils n’auraient pas compris.

La petite Quitterie protège toujours la lande contre le feu, les criquets, la sécheresse, les tornades, le retour des marais et les invasions de sable. Elle ne peut malheureusement rien contre les touristes cuirassés de leurs autos, de leur sans-gêne et de leur orgueil, ce qui provoque parfois la colère des fées. Mais l’orgueil des hommes ne peut pas grand chose non plus tant qu’il reste dans la lande une petite fille qui aime son pays autant que l’aime la petite Quitterie qui n’a pas voulu grandir pour garder avec les fées le beau pays de son enfance.

Je ne m’étendrai pas plus sur ce texte qui se suffit largement à lui-même…

Je vous laisse l’apprécier encore, en vous invitant simplement à découvrir les autres histoires contées par Charles Daney dans quelques-uns de ces ouvrages :

A bientôt ! 🙂

La Fontaine Saint-Jacques

Chose promise, chose due, aujourd’hui je vous livre la légende concernant la Fontaine Saint-Jacques, à Saint-Yaguen.

Les sources sont très nombreuses nombreuses dans les Landes (il en existe environ 200), et la grande majorité d’entre elles ont la réputation de posséder des vertus guérisseuses et ont été placées sous la protection d’un saint chrétien, afin de christianiser la vénération très ancienne de ces sources, et très ancrée dans les mœurs. Bien sûr, chacune de ces sources a ses propres caractéristiques, et certaines ont même des légendes qui leur sont rattachées.

C’est le cas de cette Fontaine Saint-Jacques, qui se trouve perdue au milieu de la forêt, entre Saint-Yaguen et Ygos-Saint-Saturnin.
On est accueilli sur ce joli site par un autel construit sur une élévation, avec une statue gravée de Saint-Jacques et de sa fameuse coquille. Des fleurs et autre offrandes y sont régulièrement déposées. Puis un petit sentier nous conduit jusqu’à sept sources, que l’on dit correspondre aux sept péchés capitaux, et qui se réunissent ensuite en un seul bassin, avant de dévaler jusqu’au ruisseau le Suzan, un peu plus bas.

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Derrière le pont qui enjambe ce ruisseau, on trouve un petit écrin de verdure ombragé, d’un calme olympien, agrémenté d’une large esplanade qui accueille la « fête des sept fontaines de Saint-Jacques », le 3ème dimanche du mois de juillet.

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Cet endroit a une place particulière dans mon cœur puisqu’il est rempli de souvenirs d’enfance ; mes parents ou mes grand-parents nous y emmenaient souvent en promenade lorsque j’étais petite, et j’ai toujours adoré cet endroit…

La légende de cette fontaine a été posée par écrit par le Dr Jean Peyresblanques, et voici ce qu’elle raconte :

Un jour, Saint-Jacques, le grand Saint-Jacques de Compostelle, décida de venir faire un tour sur la Terre. Il en avait assez d’entendre les autres saints lui reprocher ses milliers et ses milliers de fidèles : même Saint-Pierre, à Rome, avait moins de pèlerins ! Ainsi lui laissait-on entendre que son pèlerinage n’était guère difficile, tandis que les autres…
Il vint donc voir comment son pèlerinage se déroulait.

Il arriva un soir à Suzan, et trouva là trois pauvres pèlerins, dépouillés et blessés, venus panser leurs plaies à la fontaine.
– Et que vous est-il advenu, mes amis ?
– Hélas, ami, hélas, près d’ici vit un seigneur féroce qui nous a dépouillés, et le fait ainsi à tous les voyageurs. C’est un brigand infâme qui vit comme une bête sauvage, et en a tous les instincts.
Alors, d’un pas décidé, Saint-Jacques partit vers le repaire redouté, à la grande stupeur des autres pèlerins.

Près du château existait une source fraîche qui bouillonnait en un magnifique bassin naturel. Cette eau limpide l’attira et il s’en approcha. Pfft ! une flèche le frôla. Il fit un bond en arrière et un sonore éclat de rire retentit. Il ne vit rien. Il essaya à nouveau de s’approcher. Pfft ! une nouvelle flèche. Le brigand s’amusait avec deux de ses soudards. Les libations avaient bénéficié de la générosité forcée des pèlerins, et les trognes brillaient, enluminées.
– Holà, que me voulez-vous ?
– Mon beau seigneur, vous avez pauvre dépouille et coquille de messire Saint-Jacques, mais l’huître contient aussi la perle dans une affreuse carapace. Et près d’ici, un oratoire de notre grand patron menace ruine, donnez-nous donc la ceinture de cuir, avec les écus et les beaux louis d’or qu’elle contient.
Et, saisi par des mains brutales, le pauvre pèlerin dépouillé, nu comme un ver, se retrouva barbotant dans la fontaine.
– Lave-toi, misérable pécheur, lave-toi de tous tes péchés ! Tu as sept sources, allez allez, lave-toi de tous tes péchés. Tu en as assez pour tous les capitaux ! Ah ! Ah ! Les sept péchés capitaux !
Et un rire gras secouait les hommes d’armes.
Saint-Jacques, tout trempé, sortit de son bain.
– Mais il va avoir froid le pauvre pèlerin, vite, réchauffons-le !
Et un bon passage à tabac le laissa ensanglanté, moulu, sans force, sur le chemin, avec auprès de lui quelques hardes que les voleurs lui avaient jetées, en pestant avec d’autres quolibets très malsonnants !

Le Saint décida de sévir. Que ces bandits fassent leur métier de brigand passe encore, mais en son nom ! Aussi fit-il une petite prière au Seigneur, et dans la nuit il y eut une grande tempête. Le château disparut avec ses occupants dans un incendie crépitant. La fontaine rentra alors dans le sol et jaillit à la limite du territoire des bandits, assez loin de là. Elle garda ses sept sources dans ses trous bouillonnants, et se rejoignant dans une belle vasque.
– Ce ne sera plus les sept péchés capitaux, pensa Saint-Jacques, mais les sept sacrements, et mes pèlerins ne risqueront plus rien à cet endroit !
Il en fut ainsi, et on construisit près de là une belle église au clocher trinitaire : Saint-Yaguen.

Mais la légende ne s’arrête pas là…
On dit aussi qu’un peu après cette histoire, la fontaine se serait encore déplacée.

A Saint-Yaguen, la fontaine se trouvait près du lavoir municipal, et toutes les femmes du village allaient y laver leur linge. Ces lavandières gasconnes avaient la langue bien pendue, rien ne leur échappait, rien n’avait grâce à leurs yeux. Dieu sait les histoires qui se racontaient à cet endroit-là et qui étaient colportées à plaisir. L’une de ces lavandières était même, dit-on, un peu sorcière, et aurait appris à ses compagnes une danse particulière, le saut de saccule, qu’elles dansaient toutes avec plaisir dans des rondes interminables.
On ne sait si Saint-Jacques en eut assez de ce « nid de vipères », à la langue pointue et aux jupons légers, mais un jour la source disparut en grondant, le jour de la fête de Saint-Jacques. Les paroissiens affolés alertèrent le curé, qui se précipita la croix à la main. Ils coururent tous, suivant le grondement sourd qui ébranlait la terre. Le curé put le dépasser, juste avant la limite de la commune. Tout essoufflé, il planta la croix et, tombant à genoux, fit une fervente prière au Seigneur pour que la source leur restât. Et en effet la source réapparut, bouillonnante, avec ses sept trous.

Ces danses, ces rondes que les femmes d’autrefois appréciaient particulièrement, pourraient être à l’origine du mythe des Sabbats, ces grands rassemblements de sorcières au cours desquels on célébrait le Diable par des chants, des danses, des rondes diaboliques. Certains historiens ont émis l’hypothèse que les nombreux témoignages (recueillis sous la torture, il est tout de même important de le préciser) de prétendues sorcières évoquant ces célébrations démoniaques puiseraient leur source dans ces fêtes populaires, principalement constituées de femmes, qui n’auraient pas plu aux autorités de l’époque…

Alors, Saint-Yaguen, grand repaire de sorcières…? Au point d’avoir fait fuir une source sacrée ?
Qui sait ! 😉

La Saint-Jean

Demain c’est la Saint-Jean, une fête traditionnelle, religieuse et populaire, qui a toujours eu une grande importance dans les Landes, et qui est à l’origine d’un certains nombre de traditions et de croyances diverses.

Malgré son nom qui laisse penser que cette fête est avant tout catholique, dédiée à Saint-Jean-Baptiste, elle est en réalité indissociable du Solstice d’été, dont la date coïncide presque parfaitement.
Et les rites, les traditions landaises de la Saint-jean sont en réalité issues de vieilles traditions païennes qui célébraient le jour le plus long de l’année.

Beaucoup connaissent déjà la tradition des croix de la Saint-Jean, faites de fenouil et de fleurs diverses ramassées à la veille de la Saint-jean. On accrochait ces croix fleuries sur les linteaux des maisons afin de les protéger du mauvais sort, des maladies, et assurer la prospérité de la famille.

ancienne-et-nouvelle-croix-de-la-st-jeanLa nouvelle croix remplace l’ancienne sur la maison de maître à Marquèze
source 

Les plantes cueillies la veille de la Saint-Jean, ou à l’aube de la Saint-Jean, encore recouvertes de rosée, ont en effet la réputation d’avoir des bienfaits purificateurs, et les plantes médicinales voient leurs propriétés se multiplier si elles sont récoltées ce jour-là.

Ces croix de la Saint-Jean sont une tradition encore bien vivante dans les Landes, et si vous souhaitez en apprendre davantage sur ce rite, l’écomusée de Marquèze y consacre un atelier demain.

Croix-de-la-Saint-JeanCroix de la Saint-Jean

L’autre tradition principale est celles des grands feux de la Saint-Jean, au-dessus desquels on sautait pour s’apporter chance et prospérité au cours de l’année à venir.
Je me souviens encore, quand j’était petite, de ce feu immense que l’on avait allumé dans mon village, à Carcarès, autour duquel on avait festoyé, joué, dansé. Je ne suis pas sure que cette journée de la Saint-Jean y soit encore organisée aujourd’hui, et c’est bien dommage. J’en garde un fort souvenir.

On raconte aussi que le matin suivant la fête, avant le lever du soleil, autrefois les enfants fouillaient les cendres du feu de la veille pour y chercher des poils de la barbe de Saint-Jean. S’ils en trouvaient un ou deux, ces poils leur garantissaient une vie heureuse.

Tradition respectée aux Forges avec le feu de la Saint-Jean

Restauration et animation musicale autour du feu de la Saint Jean aux Forges, à Tarnos le 24 juin. Photo Jean-Yves Ihuel

Mais il y a aussi dans les Landes une autre croyance populaire concernant la Saint-Jean, peut-être moins connue :

Dans les Landes, il est de croyance populaire que, pendant la nuit de la Saint-Jean et à minuit sonnant, l’eau des fontaines se change en vin. A force de l’entendre répéter, un paysan de Soustons voulut, par lui-même, s’en rendre compte. Il quitta sa maison et se glissa furtivement jusqu’à la fontaine voisine. Il s’assit au bord de la source et, de temps en temps, il prenait de l’eau dans le creux de sa main, et la goûtait ; mais ce n’était jamais que de l’eau. Enfin, comme minuit sonnait, il la goûta de nouveau et, en effet, l’eau avait le goût du vin. Il ouvrait la bouche et proclamait le miracle : « Adare l’aygue qu’en chanjade en bin ! » (« A présent, l’eau est changée en vin ! »), lorsqu’une voix sortant de la fontaine lui répondit : « E doun qu’as ta fin ! » (Et donc, tu as ta fin! »). Et l’homme mourut.
Depuis cette époque, personne ne s’avise plus de contrôler le prodige et croit… sans aller voir.
« Coutumes et superstitions de la Saint-Jean », Ludovic Mazaret, cité dans Les mystères des Landes de Pierre CHAVOT, p70

Et vous, célébrez-vous la Saint-Jean ?
Chez vous, dans votre village, en famille ? Ou bien dans des lieux comme Marquèze, ou bien Bouricos à Pontenx-les-Forges, où se tient la Foire de la Saint-Jean chaque année depuis le Moyen-Âge ?

Quoiqu’il en soit, je vous souhaite à tous un très bel et agréable été 🙂

Le chêne de Cassouric

Cela fait bien (trop) longtemps que je ne vous ai pas raconté d’histoire de sorcières, me semble-t-il… Corrigeons cela sur le champ ! 🙂

Aujourd’hui, je vous conduis donc en Chalosse, pour une histoire das laquelle les sorcières et le Diable complotent ensemble au cours du Sabbat afin d’empoisonner la fille du marquis de Poyanne.

Autrefois, un jeune homme prénommé Bertrand s’en revenait du marché de Dax, et parcourait la lande à la tombée de la nuit. Il avait entendu des rumeurs au sujet d’un groupe de sorcières qui sévirait dans la région, mais il n’y croyait guère et avançait sans se soucier. Mais à l’approche de ce fameux chêne de Cassouric, il aperçut au loin de petites lumières qui semblaient s’approcher, et il prit peur. Vite, il grimpa dans l’arbre et se cacha dans ses branches.

A peine installé, il vit au pied de l’arbre des femmes jeunes et vieilles se prendre par la main et se mettre à danser en rond tout en bavardant. Alors, un homme tout vêtu de rouge apparut, les yeux brillants, élégant comme un prince. Il s’adressa à l’assemblée :
– Bienvenue Mesdames ! Est-ce que tout le monde est là ?
– Non il en manque une ! répondit l’une d’elle. Ah la voilà qui arrive !
L’intéressée arrivait en courant, tout essoufflée, et s’excusa.
– Pardonnez mon retard, mais c’est que j’étais occupée à empoissonner la fille du Marquis !
– Voilà qui est fort bien, répondit le Diable. A quel remède secret as-tu pensé ?
– Il faudrait pour la guérir tuer la plus belle jument de l’écurie et lui en donner trois gouttes à avaler !
– Ah parfait, ils n’y penseront jamais ! Eh bien dansons maintenant, dit le Diable en levant son violon.
Les sorcières dansèrent jusqu’au petit matin.

Alors notre Bertrand put enfin descendre de son perchoir. Transi de peur, il n’osa raconter à personne son aventure de la nuit, mais le samedi suivant, il entendit parler de la maladie de la pauvre demoiselle de Poyanne, la fille du marquis. Elle se languissait, et on proposait une généreuse récompense à qui saurait trouver le moyen de la guérir. Très sûr de lui, Bertrand demanda immédiatement à voir monsieur le marquis, et lui indiqua le remède. Sitôt dit sitôt fait, la jeune fille fut guérie. On récompensa le jeune homme d’une grosse bourse de pièces d’or. Il acheta une métairie, et son succès fit beaucoup d’envieux autour de lui. En particulier son frère, un jeune un peu simplet, qui n’arrêtait pas de lui demander comment il avait su le fameux remède. N’y tenant plus, Bertrand lui raconta toute l’histoire. Alors son frère, dès la nuit tombée, se précipita vers le Chêne de Cassouric et se cacha dans les branches en attendant l’arrivée des sorcières. Enfin elles arrivèrent, en compagnie du Diable, et l’une d’elles avait le visage tout renfrogné. Le Diable lui demanda :
– Une mauvaise nouvelle ce soir ?
– Ah ça oui ! La fille du marquis est guérie !
– Comment ? Et par qui ?
– Probablement par celui d’en haut, répondit-elle en levant le doigt vers le ciel.
Et voilà le jeune homme tout tremblant qui se croit découvert et qui se met à crier :
– Pas vrai, pas vrai, c’est mon frère !
A ces mots, les lumières s’éteignirent. Tout disparut, et lorsque le jeune homme voulut descendre, il se retrouva au milieu d’une forêt de ronces. Il s’en extirpa tant bien que mal et rentra chez son frère en piteux état.
-Imbécile, lui dit Bertrand. Tu n’as donc pas vu que c’était le Bon Dieu qu’elle désignait ! Va donc au pré garder les vaches, tu n’es bon qu’à rester vacher…
Ce qu’il resta pour le reste de sa vie.

Les sorcières de cette histoire semblent donc avoir pour habitude de se retrouver au pied d’un chêne, ce fameux chêne de Cassouric, afin de célébrer le Sabbat.

De nombreux chênes comme celui-ci, dans les Landes, avaient la réputation de posséder des propriétés magiques. Certains étaient considérés comme bénéfiques, on les vénérait, on ramassait leurs feuilles, leurs glands ou leur écorce pour se porter chance, ou encore guérir certaines maladies. Mais d’autres au contraire, avaient la réputation d’attirer à eux les sorcières et le Diable, comme celui-ci, et on disait qu’il valait mieux ne pas s’en approcher, car on ne s’attirerait alors que des malheurs !

Parmi les chênes « magiques » les plus connus, on compte par exemple le chêne de Saint-Vincent, qui se trouve sur le site du berceau de Saint-Vincent-de-Paul. Ce chêne est très vieux, il aurait plus de 800 ans actuellement, et même si aujourd’hui il n’est plus aussi majestueux qu’autrefois, il est toujours là, toujours bien vivant, verdissant toujours à l’approche du printemps. Pourtant depuis environ 200 ans, ce chêne est creux de l’intérieur, comme s’il était rongé, mais cela n’a pas suffi à venir à bout de cet arbre centenaire. On pourrait presque croire qu’il est immortel… Ce chêne a donc une importance particulière dans le coeur de la population locale, qui le vénère depuis très longtemps. On trouve aujourd’hui, dans le creux de son tronc, une statue de la Vierge Marie, preuve que cet arbre joue un certain rôle dans la spiritualité locale.

Un autre chêne remarquable se trouvait autrefois non loin de là, à Saint-Paul-lès-Dax. C’était le chêne de Quillacq. Il était particulièrement immense, ses larges branches s’étendaient sur plus de douze mètres et ses longues racines sortaient du sol, semblables à des tentacules mouvantes. Il se trouvait sur une zone marécageuse, et une source coulait depuis son tronc. L’eau de cette source avait la réputation, comme tant d’autres, de posséder des vertus guérisseuses, et en particulier d’être efficace en tant qu’antidote contre les empoisonnements.
Malheureusement cet arbre n’existe plus aujourd’hui, il a été abattu en 1925.

chêne de quillac
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Ces deux chênes ne sont que des exemples parmi tant d’autres, de nombreux arbres dans les Landes ont été vénérés (souvenez-vous du Pin Parleur de Tosse ) et parfois le sont encore aujourd’hui.

Si vous avez d’autres exemples en tête d’arbres magiques ou guérisseurs, n’hésitez pas à nous les faire partager en commentaire ! 🙂

La forêt de Hinx

Je vous ai déjà parlé de plusieurs créatures fantastiques peuplant nos Landes… Les Bécuts, les sirènes, les loups-garous, les fées, les sorcières, etc… Ce n’est pas ce qui manque dans les légendes landaises !
Et pourtant, j’ai quand même été étonnée, en lisant ce petit conte rapporté par le Dr Jean Peyresblanques, La forêt de Hinx, de découvrir un dragon dans l’un de nos contes locaux.
Un dragon… ! J’ai toujours associé ces créature aux épopées chevaleresques telles que la légende du roi Arthur, aux mythologies, ou bien à des romans fantasy plus contemporains… Mais un dragon dans les Landes ? Ah ça non, je n’y aurais jamais pensé !

Voici ce que raconte cette petite histoire :

Il y a longtemps, très longtemps, vivait dans la grande forêt de Téthieu un dragon énorme. Il était aussi gros que les chênes les plus gros et lorsqu’il se frottait à ces géants, tout bruissait et gémissait dans la forêt. Il s’attaquait à tout ce qui passait à sa portée. Les sangliers eux-mêmes avaient déserté leurs bauges secrètes et les oiseaux avaient fui à tire-d’aile. Le rossignol ne chantait plus la nuit et les habitants de Téthieu se terraient misérablement. Toutes les familles avaient subi des pertes, et la faim aidant, la bête s’aventurait dans les barthes, y faisant des ravages. Les animaux refusaient de sortir de étables, et la nuit, lorsque la bête soufflait, les chevaux piaffaient, les chiens hurlaient, tous tremblaient. En allant poser ses nasses, un pêcheur d’anguilles l’avait vue. La bête était noire avec une grande gueule rouge, elle dévorait un veau. Sa peau avait des reflets roux et elle faisait un bruit effrayant en déchiquetant le pauvre animal.
Il n’en avait pas vu davantage, car il était parti se cacher.

Les habitants du village avaient essayé tous les pièges possibles, la bête les avait déjoués. Puis les anciens avaient employé les sortilèges, en vain. Ils s’étaient enfin résignés à demander conseil à la Cadetoune du tuc, petite vieille toute ridée et ratatinée. Elle vivait avec des corbeaux, un vieux chat et sa chèvre. D’aucuns la disaient sorcière, on allait bien voir !

« Mère Cadetoune ! » … Les trois coups sur la porte de la masure avaient à peine retenti qu’une voix aiguë répondit : « Damoure Aqui » et peu après la porte s’ouvrit et la vieille sortit. Elle n’avait jamais vu de sa vie homme si polis et empressés. L’un lui demandait de ses nouvelles, l’autre de sa chèvre et de son chat, et de sa maison.

« Il faudrait réparer le toit avec du chaume frais, dit l’un. Mais cela, on le ferait avec combien de plaisir ! N’est-on pas là pour s’entraider ?
– Caret bous aoutes. Maintenant que vous avez peur, vous venez me voir et me raconter des histoires au lieu de me chasser comme à l’accoutumée. Je sais ce que vous voulez mais je ne peux rien contre la bête, elle est trop puissante. Seule la chaire humaine peut la calmer. Si vous voulez vous en débarrasser, donnez lui la plus belle jeune fille du village, et pendant un an la bête disparaîtra. Mais tous les ans la plus jolie, voilà ce qu’il faut. C’est la tienne, Pierroulic, et puis tu es le maire, ce serait juste : ou tu vas tuer la bête, ou tu donnes ta fille… Maintenant, refaites-moi mon toit ! »

Chose dite, chose faite, et tous, rassurés, quittèrent le pauvre Pierroulic, plus gris que cendre, tout tremblant. Il rentra chez lui, cherchant en vain une solution. Sa chère Maylis âgée de 18 ans et si mignonne… Les larmes coulaient sur ses joues burinées, silencieusement. Dans sa maison pourtant, tout semblait animé. Lou Yan son fils conversait avec son ami Vincent, un grand gars d’Hinx qui n’avait pas craint, sous prétexte de voir son ami, de venir faire un brin de cour à Maylis, toute rose. Bien sûr il était arrivé par Coslous mais il fallait du courage pour traverser l’Adour et passer par les bois. Un beau gars oui, un beau gars, mais sans biens…
Tous firent silence en voyant Pierroulic, puis le pressèrent de questions. Il parla, et Maylis se mit à pleurer. Alors, Vincent, très pâle et une lueur farouche dans les yeux, lui dit :

« Meste Pierroulic, pardonnez-nous, Maylise et moi sommes promis, aussi j’irai tuer la bête, et vous nous marierez. Sinon, nous serons tués tous les deux. Mais pour cela je voudrais les deux boeufs, les plus gras de Téthieu. »

Vincent fut aussitôt embrassé par sa fiancée, et Yan lui dit :

« Je vais avec toi.
-Non, moi ! dit Pierroulic.
-Aucun, c’est mon affaire ! Préparez-moi les bœufs pour après-demain. »

Et grandi de trois pouces, il partit chez lui. Il avait des idées et du courage mais quand même, ses trois frères l’aideraient bien dans son projet. En effet, après avoir fait forger une épée très tranchante, il partit se mettre à l’affût, après avoir attaché les bœufs à la lisière du bois, un baquet d’eau salée à côté. La bête, attirée par les beuglements de peur, se jeta sur le premier bœuf qu’elle dévora, et mit plus de temps à manger le second. Elle avait bien de l’appétit mais quand même, cela ne passait pas, alors elle but l’eau salée, et ayant tout mangé elle but encore à l’eau du ruisseau, tant et tant qu’elle se mit à dormir sur place, couchée sur le côté, tellement sa panse était rebondie. C’est ce qu’attendait Vincent. Il s’approcha doucement et d’un seul coup lui enfonça l’épée dans le cœur.

Il y eut un mariage extraordinaire, tout Hinx était invité. Les noces durèrent trois jours. Et pour le remercier, on donna à Vincent pour lui et ses descendants, le bois où vivait le dragon.

Aussi, depuis ce temps-là, il existe au milieu des bois de Téthieu une grande et belle forêt qui appartient à Hinx.

Voilà donc l’histoire du dragon féroce qui terrorisait les landais de Téthieu.

Mais en y réfléchissant, la présence de cette créature de légende dans un conte landais n’aurait pas tant dû me surprendre. Nous avons déjà vu à quel point les légendes voyagent, se répandent, sont réinterprétées à la sauce locale, et comment des thèmes, des archétypes, de symboles, se retrouvent dans plusieurs contes à travers le monde. Pourquoi le dragon aurait-il fait exception ?

FANTASY ART Calendar [2012 Edition]

D’autant plus qu’une légende très similaire à celle-ci existe tout près de chez nous, à Bordeaux. C’est la légende du dragon de la Vieille-Tour, qui raconte comment une créature terrifiante avait élu domicile dans cette ancienne tour romaine, et réclamait chaque dimanche une jeune fille vierge qu’il dévorerait dans la semaine. Les dragons ont manifestement un faible pour la chaire des belles jeunes filles…! La dynamique et la symbolique sont ici assez simples : le dragon, symbole du mal absolu, du Diable même, s’en prend aux jeunes filles vierges, symboles de pureté et d’innocence. Une formule que l’on connaît bien et qui marche toujours…

La différence principale entre ces deux histoires se trouve dans le dénouement : dans la première, c’est le fiancé de la belle qui fait preuve de bravoure et qui trouve un moyen rusé de venir à bout de la terrifiante créature. Dans la version bordelaise, c’est l’une des jeunes filles victimes de la bête, Nicolette, qui par sa ruse parvient à repousser sa propre mise à mort et à découvrir le seul moyen de vaincre le dragon. Point de courageux fiancé dans la légende bordelaise, mais une jeune fille maligne et pleine de ressources qui sait se débrouiller par elle-même… Mon coeur de féministe a un petit faible pour cette dernière version, autant être honnête ! 😉

Et si vous souhaitez découvrir cette légende de la Vieille Tour de Bordeaux et vous en faire votre propre idée, vous pourrez la lire dans Les Contes et Légendes du Vieux Bordeaux de Michel Colle 🙂

La légende du foie gras

Je vous racontais il y a quelques temps la légende (du moins, l’une des légendes) racontant l’invention de l’armagnac, mais il existe dans les Landes, et en France de manière plus large, bien d’autres histoires venant expliquer la création de spécialités culinaires locales.
Et c’est sans surprise que l’on trouve une légende landaise autour du foie gras, ce met très réputé (bien qu’aujourd’hui très controversé), un plat de fêtes, de luxe même, qui est LA grande spécialité de notre région.

Voici ce qu’elle raconte :

« Cette histoire se déroule il y a fort longtemps, lors de l’occupation romaine.
En ce temps-là, les romains avaient soumis le peuple des Tarbelles, qui vivait désormais sous leurs ordres. Il y avait une famille de paysans qui travaillaient près de la villa romaine du Mont, qu’on appelle aujourd’hui Montfort, et dans cette famille il y avait une petite fille de 8 ans, Yantine, avec de jolies boucles brunes qui dansaient autour de ses joues rondes et de son doux sourire. Cette famille de paysans cultivait la terre et élevait des volailles car le maître aimait manger des oies, comme cela se faisait à Rome.

De la couvée d’avril, Yantine avait recueilli un pauvre petit oison tout déplumé, un pauvre petit malheureux que ses frères picoraient et martyrisaient. Elle lui fit un nid bien chaud, avec de la paille et de la fourrure, et elle le nourrissait avec ce qu’elle mangeait elle-même, c’est-à-dire de la bouillie de maïs. Et très vite, l’oie devint grande. Elle restait toujours près de Yantine, réclamant ses caresses et quémandant à manger, car elle était devenue très gourmande et raffolait du maïs, rien que de maïs. L’oie devint grosse et grasse, car à chaque bouchée de la petite fille, elle en réclamait sa part. Elle caquetait et enfournait, enfournait et caquetait, jusqu’à presque s’étouffer, le bec dressé et sifflant, les yeux tout rouges. Alors Yantine s’empressait de masser son long cou soyeux de ses petites mains afin de faire descendre la bouchée trop gourmande. Et de nouveau notre oie caquetait. Et elle devint énorme.

Un jour qu’il visitait le domaine, le maître romain la vit, si grasse, si appétissante, et il voulut la manger. Il ordonna aux paysans de la lui apporter le jeudi suivant.
La pauvre Yantine pleura, pleura, mais rien n’y fit, il fallait bien s’exécuter. On apporta l’oie au maître. Et le lendemain, grand émoi, le père fut mandé à la villa de toute urgence, car le maître voulait le voir.
L’homme fut introduit auprès du romain et le trouva, lui et ses invités, allongés sur leur lit, le visage illuminé et luisant de graisse.
– Ah, tu nous as fait manger un plat digne des Dieux ! Par Jupiter, cette oie était succulente, et son foie, oh son foie ! Il faut que tu en élèves d’autres, beaucoup d’autres, et ta fortune sera faite !
Alors notre homme rentra chez lui, un peu inquiet, et raconta tout à sa femme qui lui répondit :
– Ne vois-tu pas que notre bête était grosse car elle n’a mangé que de la bouillie de maïs ? Demande donc beaucoup de maïs au maître, et tout ira bien !
Ainsi fut fait, on lui donna autant de maïs qu’il voulait, et les oies furent nourries et gavées au maïs. Elles eurent des foies gras magnifiques, et les Romains en firent leur délice.
C’est comme ça que le foie gras conquit Rome et resta l’apanage de notre contrée. »

Ce serait donc à l’époque des Romains qu’aurait été inventé le foie gras. Mais peut-être aurez-vous noté quelques incohérences dans cette histoire… Comme souvent, la légende prend des libertés, et ne prétend pas coller parfaitement à la réalité historique bien évidemment…
En effet, le maïs n’existait absolument pas en France à l’époque des Romains, ni même pendant les siècles qui ont suivi ; il n’a été introduit en France qu’au XVIème siècle ! Impossible donc que la source de nourriture principale de notre petite famille Tarbelle eut été le maïs…
La pratique du gavage, par contre, remonte bien à l’Antiquité, et du temps des romains on gavait les volailles avec, entre autres, des figues séchées. Le goût devait certainement être bien différent !

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Bas relief d’une nécropole égyptienne montrant le gavage des oies.

Mais si on le souhaite, on peut se laisser aller à imaginer que cette histoire landaise a malgré tout une part de vérité, en tout cas en ce qui concerne le pratique du gavage au maïs. Et si c’est le cas, notre Yantine vivait probablement plutôt au XVIIème siècle, et le maître était plus vraisemblablement le marquis de Poyanne…

Mais qu’importe, les landais ont préféré détourner la réalité et enjoliver cette histoire en la plaçant à l’époque des romains, peut-être car ce temps très éloigné fascine et éveille l’imagination…

 

Source : Contes et légendes des Landes, Dr Jean Peyersblanques