La petite Quitterie

Aujourd’hui, j’aimerais vous faire découvrir un auteur que j’ai découvert au cours de  mes recherches sur les contes et légendes des Landes, et que j’aime beaucoup ; Charles Daney.

Né en 1927 à Gujan-Mestras, résidant aujourd’hui à Arcachon, Charles Daney a publié plusieurs livres dédiés principalement à la Gironde, dont quelques recueils de contes inspirés de notre sud-ouest et de son vaste imaginaire.
J’ai eu la chance de tomber sur l’un de ses ouvrages dans la bibliothèque de Mériadeck à Bordeaux, alors que je faisais mes recherches. Son titre, « Contes et légendes des Landes, de la Mer, et du Vent », a tout de suite retenu mon attention et emballé mon imagination. J’ai alors découvert dans ses pages une écriture riche et poétique, et un amour pour la lande qui se ressent à chaque paragraphe.

J’ai choisi de partager avec vous le texte de « La petite Quitterie », ce joli petit conte qui m’arrache à chaque lecture un petit sourire ému…

C’était l’année d’après les grands incendies de la lande, quand les nuages cuivrés des vols de criquets obscurcissaient jusqu’au ciel des Bordelais. Ceux-ci, gens instruits et qui se croyaient d’autant plus savants qu’ils habitaient la ville, avaient lu l’histoire des neuf plaies d’Egypte. C’est pourquoi ils attendaient en gémissant la suite des calamités. Il n’y avait franc-bourgeois en cette ville qui ne prédit guerre, peste, ou massacre.

Cette année-là vivait en un petit bourg de bout de lande une toute petite fille qui allait sur ses sept ans et se prénommait Quitterie, en hommage à la sainte landaise. Elle avait appris à lire dans les nuages le jour, les étoiles la nuit, les sillons de la terre en toutes saisons et l’écume des vagues par force 5. Solitaire comme toute vraie landaise, elle ne se sentait jamais seule, ayant appris à jouer de ses doigts écartés pour voir les clins d’œil du soleil ou écouter les chuintements du vent. Elle aimait très, très fort son petit coin de lande.

A cette époque on se battait encore à coup de branches contre le feu et à grand renfort de casseroles contre les criquets. Le feu, il est vrai, se glissait par la tourbe loin derrière, enflammant d’un coup les aiguilles de pin et la résine en pot, faisant flamber les arbres comme des torches. Les larves de criquet de leur côté avançaient de front sur les molinies, s’effondraient dans les tranchées mais franchissaient les lignes du feu allumé devant elles en barrières ardentes.

Personne ne reconnaissait plus la lande dans ces espaces noircis où l’odeur âcre du feu remplaçait les senteurs de miel et de térébinthe chères aux cœurs landais.

Quitterie l’aimait tant, sa lande, qu’elle s’est mise à errer comme un petit écureuil triste dans le désert brûlé. Elle était si triste, si triste, et pourtant si gentille que les fées l’ont adoptée. Elle aimait bien les fées d’ailleurs, les ayant déjà aperçues entre ses doigts lorsqu’elles sautaient les crêtes de l’incendie comme font filles et garçons des feux de la Saint-Jean ou chevauchant des criquets comme s’ils eussent été de vulgaires dragons volants. Elle savait qu’il fallait se méfier seulement du soleil qui sèche jusqu’aux bruyères quand il chauffe le sable à blanc, du vent qui casse jusqu’aux grands chênes de l’airial quand souffle la tourmente, de la pluie qui suinte de terre entre les molinies quand elle imbibe le sable jusqu’à plus soif, du sable qui ensevelit les maisons et les champs, des touristes qui ne craignent rien sinon que le ciel leur tombe en pluie sur la tête.

Quitterie connaissait la puissance et la gentillesse des fées. Elle leur a parlé doucement, tout doucement. Nous ne savons pas ce qu’elle a pu dire, ni ce que les fées ont répondu, mais c’est pour lui faire plaisir que les fées ont arrêté le feu et les criquets, qu’elles ont calmé le soleil, le vent, la pluie et le sable. Ce jour-là, la petite Quitterie a choisi de ne plus grandir pour rester avec ses fées, et, pour ne pas inquiéter ses parents, elle est partie sans bruit, sur la pointe des pieds, par un soir de pleine lune, pour ne jamais revenir. Ses parents aimaient bien la petite Quitterie mais comme font les grandes personnes qui ne croient que les journaux, la télé ou les livres où ils s’enferment en rond pour ne plus penser, pour ne pas s’ennuyer, disent-ils, comme si l’on pouvait s’ennuyer tant qu’il reste un brin de soleil, une pincée d’herbe, un souffle d’air, ou même simplement une toute petite fille qui aime son pays et qui le dit. Alors elle a préféré ne pas avoir à expliquer son choix. Ils n’auraient pas compris.

La petite Quitterie protège toujours la lande contre le feu, les criquets, la sécheresse, les tornades, le retour des marais et les invasions de sable. Elle ne peut malheureusement rien contre les touristes cuirassés de leurs autos, de leur sans-gêne et de leur orgueil, ce qui provoque parfois la colère des fées. Mais l’orgueil des hommes ne peut pas grand chose non plus tant qu’il reste dans la lande une petite fille qui aime son pays autant que l’aime la petite Quitterie qui n’a pas voulu grandir pour garder avec les fées le beau pays de son enfance.

Je ne m’étendrai pas plus sur ce texte qui se suffit largement à lui-même…

Je vous laisse l’apprécier encore, en vous invitant simplement à découvrir les autres histoires contées par Charles Daney dans quelques-uns de ces ouvrages :

A bientôt ! 🙂

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