La Grotte aux Fées

Tout au Sud du département des Landes, non loin de la ville de Peyrehorade, se trouve un petit village nommé Saint-Cricq-du-Gave. Si ce village a connu une certaine renommée au Moyen-Âge, se trouvant sur la voie romaine reliant Dax à Saint-Palais, il est aujourd’hui également réputé pour posséder l’une des grottes les plus longues du département. Cette grotte est mystérieusement appelée la Grotte aux Fées.

On ne peut que se douter qu’avec un tel nom, une jolie légende est rattachée à ce lieu énigmatique. Dans son livre Landes secrètes, croquis sur le vif, l’auteur Gilles Kerloc’h nous narre l’histoire de ces petites créatures qui vivent dans les grottes et filent des brins d’or :

Il y a de nombreuses années, s’élevait une belle maison, certes isolée des fermes voisines, mais judicieusement placée à côté d’un cours d’eau d’une grande pureté, traversant une grotte. Cette maison dite « de Soulenx », du nom des propriétaires, symbolisait leur richesse. Il circulait une rumeur persistante dans les fermes avoisinantes : la famille aurait conclu un pacte avec les fées résidant dans la grotte qui permettait à ces dernières de filer leurs brins d’or l’hiver, auprès du foyer de la maison. En échange, des chutes du fil doré étaient données régulièrement aux propriétaires.
La fille Soulenx se maria avec un bourgeois riche mais cupide, qui prit connaissance de la source de leurs revenus. Il en vint à demander aux fées de laisser chaque fois un peu plus de fils d’or, et encore plus et toujours plus. Ces dernières se fâchèrent et lancèrent un terrible sortilège avant de s’enfuir à jamais dans les profondeurs de leur abri : la maison tomberait en ruines et emmènerait ses résidents dans sa déchéance. Les Soulenx moururent et la maison, qui n’eut plus jamais de nouveaux occupants, s’effondra.

landes

Dans l’imaginaire landais, les fées sont des créatures complexes aux multiples facettes, tantôt bienveillantes, tantôt malfaisantes. On les dépeint parfois comme de petites créatures semblables à des lutins qui n’auraient de cesse de jouer des tours et des farces aux humains, parfois comme de magnifiques femmes aux longs cheveux qui se coiffent ou se lavent au bord des fontaines, qui sont légion dans le département.
Mais souvent, comme dans ce conte, les fées sont des êtres qui peuplent les grottes et qui filent le lin. Nous avions déjà rencontré ces fées-là dans les légendes Les pierres de la fée avec la pierre de Montpeyroux. Rappelez-vous, cette pierre est aussi appelée « la peyre de la Hade », ou la pierre de la fée, car l’on raconte qu’elles venaient filer le lin sur de grosses pierres comme celles-ci en guise de quenouilles.

On dit également que certaines de ces fées aident les filandières, en transformant en un instant en fil le lin le plus fin, à condition de le déposer à l’entrée de leur caverne.

GustaveDore006

Mais si elle n’hésitent pas à venir en aide aux hommes et aux femmes qui leur en font la demande, les fées sont aussi des êtres puissants qu’il convient de ne pas offenser ! C’est le cas dans notre histoire, mais c’est aussi ce que l’on dit des fées de Saint-Etienne-d’Orthe, un autre village du canton de Peyrehorade.

Une commune d’eau, dotée de puits, de lavoirs et de fontaines, dont celle de Saint-Jean à la limite avec Pey.  Réputée et fréquentée pour ses eaux miraculeuses, elle se trouvait (parce qu’elle n’existe plus) dans le bois de Leus Peyrères, habité par des hades aux pieds de chèvre, qui aidaient le soir les femmes à filer. Vénérées dans cette région, elles pouvaient aussi se fâcher, car susceptibles ! Si la fontaine a disparu, elles sont peut-être encore là…
Les Mystères des Landes, Pierre CHAVOT, chap. Landes insolites, p189.

Aussi, la prochaine fois que vous vous promènerez près d’une grotte ou d’un cours d’eau, ayez une pensée pour ces petites fées qui gardent précieusement nos Landes… Mais gare à vous si vous les vexez, elles sauront vous le faire payer !

Les pierres de la fée

Un peu partout dans le département des Landes se dressent des pierres antiques, témoins des civilisations qui nous ont précédés ; ce sont des vestiges d’anciens tombeaux, des menhirs ou encore d’anciennes bornes militaires romaines, les explications officielles varient de l’une à l’autre… La présence de ces pierres qui ont traversé les siècles était pour nos aïeuls une énigme que l’on a tenté d’expliquer à l’aide d’une légende qui s’est propagée dans toute la région : celle des « pierres de la fée », ou « pierres de la sorcière ».

Il existe différentes versions de cette légende, et voici ce que dit l’une d’entre elles :

Des fées avaient décidé de construire un pont à Dax, avec des pierres assez grosses et solides pour résister aux crues de l’Adour. L’une d’elles, tout fière, en rapportait une si énorme et robuste qu’elle espérait rendre vertes de jalousie ses amies fées ; aucune d’entre elles n’en ramènerait d’aussi grosses ! Mais en chemin, elle fut arrêtée par un personnage inconnu qui lui demanda où elle se rendait ainsi. Agacée d’être importunée par cet étranger, elle répondit sèchement qu’elle se rendait à Dax pour construire le pont.
« Dites donc, s’il plait à Dieu ! lui répondit l’homme.
– Plaise ou ne plaise pas, la pierre géante ira à Dax ! s’écria l’insolente.
– Eh bien pose la pierre ici, et qu’elle y reste ! »
Saisie par une force supérieure, la fée laissa tomber la pierre au sol et fut incapable de la soulever de nouveau ; la pierre semblait faire corps avec la terre. La fée comprit alors que c’était le Bon Dieu qu’elle avait rencontré, et qu’il avait décidé de lui donner une leçon d’humilité. L’immense pierre resta donc vissée au sol, et la fée dut repartir les mains vides, et furieuse.

A Peyrehorade, cette histoire se termine de manière bien spécifique : la fée était si folle de rage de ne pouvoir la soulever qu’elle troua la pierre de sa quenouille, si bien que le village qui se trouvait à côté prit le nom de « pierre trouée », ou Peyrehorade.

Une même version de la légende se déroule à Sainte-Colombe près d’Hagetmau, ainsi qu’à Sarron, petite commune de l’extrême Sud-Est du département. Seul un petit détail change dans ce dernier cas : ce n’est plus une fée qui porte cette pierre à Dax, mais le Diable en personne, car il avait entrepris de lui-même de construire le pont (bien étrange que le Diable s’atèle à cette tâche qui pourrait s’avérer utile pour les hommes, mais l’histoire ne fournit pas d’explication quant à sa décision…). Plantée là par Dieu, furieux que le Diable ne lui ait pas demandé son avis, cette pierre-là porte donc logiquement le nom de « pierre du Diable », à la différence de toutes les autres.

gravure annees 1600Dax vers 1600 – gravure
source

A Pouillon et à Labrit, le récit prend une autre tournure et devient « la pierre de la sorcière ». La figure de la fée et celle de la sorcière se confondent souvent, et on le voit tout particulièrement dans la légende de la pierre de Montpeyroux, à Pouillon.

Cette histoire-là raconte que la sorcière de Mondron avait volé une énorme pierre de la cathédrale de Dax et était en chemin pour l’offrir à son maître Satan, lorsqu’elle fut arrêtée par un homme qui lui ordonna de remettre la pierre à sa place. C’était le Bon Dieu, vous l’avez compris, et devant son refus, il s’empara de la grosse pierre qui se ficha dans le sol pour toujours. Furieuse, la sorcière tenta désespérément de s’agripper à son bien, laissant dans la pierre les traces bien visibles de ses doigts crochus.

cathedrale couleursource

Vous le voyez, les deux légendes sont très proches l’une de l’autre, mais dans cette dernière version, il n’est plus question du pont mais de la cathédrale, édifice religieux qui justifie un peu plus l’intervention de Dieu. Et surtout, le personnage de la fée a été diabolisé pour devenir une sorcière se rendant au Sabbat. La confusion entre la fée et la sorcière s’épaissit un peu plus encore lorsque l’on sait que cette pierre de Montpeyroux est aussi parfois appelée la « peyre de la Hade », la pierre de la fée, mais pour une raison totalement différente : on dit que les fées venaient filer le lin sur de grosses pierres comme celle-ci en guise de quenouille.

A Labrit enfin, dans la Haute Lande, cette légende semble s’être mêlée à celle justifiant la présence de l’Oeil du Grué, ou l’Oeil du Diable, petite mare à la surface noire et figée qui a la réputation d’être maudite. Il ne semble pas y avoir la moindre trace d’une pierre antique par ici, mais la légende autour de cet endroit inquiétant est pourtant similaire : ce trou noir dans le sol aurait été créé par Satan qui, fou de rage à l’idée que Dieu ait piégé sa sorcière et lui ait volé la pierre de la cathédrale de Dax, aurait frappé le sol de toute la force de son poing. Cette mare est donc l’empreinte de la main du Diable, figée à tout jamais dans le sol de la Haute Lande. Plein de rancœur envers Dieu et les Hommes, il lança une malédiction sur ce lieu, qui engloutit depuis tous les imprudents qui osent s’y aventurer, humains comme animaux, dont on peut entendre les plaintes étouffées au fond de l’eau pendant la nuit de Noël.

Ces pierres de la fée, du Diable ou de la sorcière, sont la preuve qu’en matière de légende, rien n’est jamais figé. D’un thème commun et immuable, les versions s’entrecroisent, les récits se modifient, évoluent, on y ajoute ou retire des éléments, en fonctions des différents lieux, époques, et des différents événements auxquels l’on souhaite fournir une explication.
Cette légende s’est ainsi propagée dans toutes les Landes, prenant au passage différentes facettes, afin d’expliquer la présence de ces mystérieuses grandes pierres, posées là par ce qui semblait être une force supérieure, et rappelant aux populations que, partout dans la lande, Dieux et Diables ne sont jamais loin.