La légende de la bruyère

Aujourd’hui j’ai choisi de partager avec vous une histoire qui m’est chère, intitulée « La légende de la bruyère », probablement l’un de mes contes landais préférés. Je ne m’en cache pas, si j’aime cette histoire à ce point, c’est qu’elle reprend tous les codes, les symboles, les trames des contes bien connus de notre enfance tels que Blanche-Neige ou La Belle au Bois Dormant, transformant cette lecture en doux retour en enfance.

Je vous le disais dans l’article sur le conte La petite anguille, il n’est pas étonnant de retrouver dans nos contes locaux des similitudes avec les grands contes européens de Perrault ou des frères Grimm. Certains thèmes, certains archétypes, sont universels et traversent le temps et l’espace.

C’est le Dr Jean Peyresblanques qui a recueilli ce conte auprès d’une dame originaire d’Aurice, près de Saint-Sever, et qui le tenait elle-même de sa grand-mère. Je vous laisse découvrir cette jolie histoire et comprendre par vous-même cette agréable impression de déjà-vu dans laquelle elle m’a plongée.

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« Autrefois, il y a très longtemps, vivait dans les Landes une bergère de 13 ans, très jolie et très malheureuse. Sa mère était morte et son père s’était remarié avec une femme très méchante. Les voisins disaient qu’elle était sorcière. Avec son mari, la femme était très gentille, mais quand le pauvre était parti au travail, elle commençait à harceler l’enfant, lui donner du travail ; il n’y en avait jamais assez, toujours aiguilles et coudre, balai et nettoyer, chaudron et récurer… Heureusement, il y avait des brebis. Il fallait les amener au pré et dans le sous-bois. C’était aussi le travail de l’enfant. Celle-ci préférait aller dans la lande. Elle avait toujours un petit brin de bruyère sur le cœur, retenu par une épine. Elle avait l’habitude de voir les abeilles chanter et n’avait jamais peur. (…)  Dans la lande, tout le monde était son ami. »

Plus le temps passait, et plus la sorcière faisait grise mine. Agnoutine grandissait, faisait toujours son travail, et devenait de plus en plus jolie. La femme ne le supportait pas, et fut prise d’une jalousie sans nom lorsque le fils du seigneur, un beau baron d’autrefois, posa les yeux sur la jeune fille et l’avait regardée d’un air qui en disait beaucoup…
La marâtre décréta que c’en était assez, et décida d’accompagner Agnoutine dans la lande le lendemain afin de régler cette affaire une bonne fois pour toute.

« Et ainsi, elle arriva à la Lande et dit :
– Non, pas ici, un peu plus loin, non pas ici… Tiens, ici, à côté du cante coucut*. Ha ! Ha ! Fillette, tu aimes la bruyère ? Et bien, à partir de maintenant, tu demeureras bruyère. Trabuc, pachiu, pachiu, trabuc. Bruyère demeure, bruyère, bruyère, bruyère !… Maintenant tu peux dormir. Il n’y a qu’un baiser d’amoureux qui peut te tirer de là.
Et dans la lande, tout à côté du cante coucut, au milieu des ronces, des genêts, des ajoncs petits et grands, une bruyère apparut avec des pleurs sur ses fleurs roses.
– Maintenant perdue tu es, perdue tu resteras. Pas un ami ne te trouvera. »

Mais la sorcière ne savait pas que les abeilles regardent et sentent tout dans la lande, et qu’elles se mirent à la recherche d’Agnoutine. En butinant le miel de cette bruyère nouvelle, elles reconnurent l’odeur de leur amie, et depuis lors il ne se passa pas un jour sans que les abeilles virevoltent autour de la fleur afin de lui tenir compagnie et de lui raconter mille et une choses. Les brebis aussi s’échappaient et venaient dire bonjour à leur chère bergère. Ainsi la petite bruyère avait toujours quelqu’un près d’elle et le temps ne lui paraissait pas si long.
Pourtant, les années passèrent. Trois étés et trois hivers se succédèrent.

« Le fils du seigneur était maintenant un homme, mais on ne pouvait pas dire qu’il aspirait à se marier. Son père, et sa mère, n’étaient pas contents. On lui avait présenté des belles filles. Le fils avait dit :
– Celle-ci a l’oeil de travers. Celle-là la langue tournante. Celle-là le pied cagneux…
Il n’en voulait pas. Il était toujours à la chasse. Il ne disait rien. Les pauvres parents avaient demandé à un médecin de le voir. Celui-ci avait dit :
– Cela lui passera. Il a le temps pour se marier. Il a encore le coeur barré. »

Car en réalité, notre jeune seigneur rêvait encore à la jeune et jolie bergère qu’il avait vue il y a quelques années de cela. Elle hantait son esprit, et sans cesse il la cherchait des yeux, se demandant où elle avait bien pu ainsi disparaître.
Un jour, alors qu’il revenait de la chasse bien fatigué, il arriva dans la lande et avisa le cante coucut, au pied duquel il s’installa pour se reposer un peu, et rêver, comme chaque jour, à sa bergère disparue.

« Et ainsi, la tête dans les mains, il laissa courir son regard sur la lande. A côté, dans un fourré d’ajoncs, il avisa une bruyère, grande, belle, la plus belle de toutes et avec des fleurs roses, roses, je ne peux vous expliquer, mais il y avait autour une ronde d’abeilles, c’est sûr.
Le jeune seigneur sauta sur ses pieds, et il commença à avancer dans les ajoncs. Ils piquaient, et les ronces aussi. Le chasseur ne voyait que la bruyère. A coups d’épée et coups de pieds, il arriva à la fleur. Les abeilles faisaient un doux bourdonnement, mais ne le piquèrent pas. (…)
Et avec son couteau de chasse, il en coupa une branche, la porta à ses lèvres et lui donna un baiser. Miracle, il avait dans ses bras une jeune fille, belle, belle avec des yeux brillants et des larmes comme des diamants. »

Agnoutine lui raconta toute sa triste histoire et le remercia chaudement de l’avoir délivrée de la malédiction de la sorcière. Le seigneur, tout heureux d’avoir retrouvé celle qu’il cherchait depuis tant d’années, s’empressa de lui demander de le suivre dans son château afin de l’épouser.

« La tête contre le jeune homme, la jeune fille laissait son cœur battre la chamade, et quand elle regarda le chasseur, les baisers commencèrent, un, deux, cent… Adieu, ajoncs épineux, ronces et genêts, et les brebis et les abeilles, avec le cheval tout joyeux, faisaient une ronde autour des amoureux. »

C’est avec une immense joie que les parents du jeune homme accueillirent sa nouvelle promise, et le mariage fut célébré quinze jours plus tard. Tout le village était invité, et ce fut le plus beau des mariages qu’on n’avait jamais vu.

« La jeune fille était encore plus belle avec des fleurs de bruyère sur la tête, et les abeilles avaient apporté dessus quelques gouttes de rosée, brillantes comme des diamants. Elle avait une traîne que portaient des fillettes, et les abeilles tournaient autour en bourdonnant doucement. (…)
En arrivant à l’église, elle vit son père tout desséché et vieilli, et à côté, la méchante sorcière, toujours faisant la tête. Les abeilles l’avaient vue aussi. Elle se précipitèrent dessus et se mirent à la piquer, piquer… laissant la femme morte d’un coup. (…) Le père, sa fille retrouvée et la sorcière morte, s’était revigoré. Et les voisins pensèrent : « Une sorcière de moins c’est bien, il y en a toujours trop ! »

Retrouvez ce conte dans son intégralité dans Contes et légendes des Landes de Jean Peyresblanques.

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Ainsi, vous le voyez, les thèmes de la marâtre, et de sa jalousie, du baiser délivreur, et de la forêt de ronces qui séparent notre héros de sa promise, font écho à de vieilles histoires connues de tous, et dans lesquelles il est toujours plaisant de se replonger.

Cependant, les détails qui nous sont livrés tels que la lande, les brebis, la bruyère, les abeilles, plantent bien le décor dans les landes anciennes et ancrent cette histoire qui paraît si familière dans un contexte local qui lui donne toute son originalité.

J’espère que vous aurez apprécié la découverte de ce joli conte au moins autant que moi ! 🙂

 

*cante coucut = un grand pin isolé, « chante coucou »

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