La gardeuse d’oie – ou la version landaise du conte de Peau-d’Âne

Il y a quelques temps, je vous racontais l’histoire de La petite anguille , un conte traditionnel landais rapporté par le folkloriste Félix Arnaudin, qui avait énormément de points communs avec le conte de Cendrillon. Tout y est ; la marâtre, la jeune fille persécutée, le prince, la belle robe, les coups de minuit et même la pantoufle de verre. Seuls quelques détails permettaient de replacer ce conte dans nos Landes et de lui donner une agréable saveur locale.

Je vous avais dit à la fin de cet article que d’autres contes de Félix Arnaudin m’avaient beaucoup fait penser aux contes traditionnels européens de notre enfance.
Et aujourd’hui je vais vous parler d’un conte (ou plutôt de deux contes, en réalité) qui se rapproche énormément de celui de Peau-d’Âne. Malgré une introduction très différente, plus on avance dans le récit, et plus, vous le verrez, l’impression de déjà-vu (ou de déjà-lu) se fait sentir…

illustration-de-h-j-ford-datant-de-1889-la-petite-gardeuse-d-oies-fairyillustration de H.J. Ford, 1889

Cette histoire s’intitule La gardeuse d’oies, et voici de qu’elle raconte :

 » Il était une fois un seigneur qui avait trois filles. Il était fort riche et passait tout son temps à la chasse.
Un jour qu’il chassait, il fut pris d’une très grande soif. Il rencontra un chevrier, sur la lande, et il lui demanda à boire. L’autre lui montra une lagune.
– Tu bois donc là, dans cette lagune, garçon ? dit le seigneur.
– Eh oui, monsieur.
Il fallait boire de l’eau de cette mare ou supporter la soif. L’homme but, mais il trouva cette eau si mauvaise qu’il s’écria :
– Si jamais je bois de nouveau de cette eau, je veux bien que le diable me saute à la barbe !
Quelques jours plus tard, le seigneur repartit chasser dans ce même coin de lande. Il faisait très chaud, et la soif le prit de nouveau tout près de la même lagune. L’homme ne voulait pas boire, mais la soif fut la plus forte ; il se mit à boire. Mais à la première gorgée, plap ! le diable lui sauta à la barbe.
– Eh ! Laisse-moi aller ! s’écria l’homme.
– N’as-tu pas dit que tu voulais que le diable te sautât à la barbe s’il t’arrivait de revenir boire dans cette flaque ?
– Si ! Si !… Mais laisse-moi m’en aller…
– Je ne te laisserai pas aller si tu ne me promets pas de me donner quelque chose.
– Et que veux-tu que je te donne ?
– Tu as trois filles bonnes à marier, toutes fort belles et charmantes. Il faut que tu m’en donnes une.
– C’est entendu.
L’homme promit. Il n’y avait pas d’autre moyen pour lui de se défaire du diable.
A son retour chez lui, il appela son aînée :
– Première fille, comment m’aimes-tu ?
– Papa, comme le bon pain ! lui répondit la fille.
Le père appela la seconde :
– Seconde fille, comment m’aimes-tu ?
– Papa, comme le bon vin ! lui répondit la seconde.
Alors, le seigneur appela la plus jeune :
– Dernière fille, comment m’aimes-tu ?
– Papa, comme le bon sel ! lui répondit la dernière.
– Au diable je te donne ! s’écria l’homme.
– Et que vous ai-je donc fait, pour que vous vouliez me donner au diable ? demanda la jeune fille toute désolée.
– Tu ne m’aimes pas. Je ne veux plus te voir et je te donne au diable, dit le seigneur.
La malheureuse fillette avait une marraine qui demeurait dans aux environs. Elle demanda à son père la permission d’aller lui faire ses adieux avant de partir.
La vieille dit à la jeune fille :
– N’aie pas peur, petite. Le diable ne t’emmènera pas bien loin. Je vais te donner un poulet roux. Quand tu auras parcouru un bout de chemin avec le diable, tu le feras chanter. Alors, quand il entendra le chant du poulet roux, le diable ne pourra pas faire autrement que te laisser partir.
Le valet conduisit la jeune fille bien loin sur la lande, à l’endroit qui était convenu avec le diable. Elle portait un paquet de ses belles robes, et le poulet de sa marraine dans un panier.
Le diable l’attendait à cheval, au bord de la lagune. Quand la jeune fille arriva, il la prit par la main et la fit monter à cheval derrière lui. Et ils s’en allèrent ainsi, à travers la lande.
Quand ils furent à quelque distance :
– Chante, poulet roux ! Chante !
Le poulet chanta et aussitôt, hup ! le diable la jeta à terre en criant :
– Homme, j’ai jeté ta fille dans un bois, va la chercher si tu veux !
Et il s’échappa au grand galop.
La jeune fille, au lieu de s’en retourner chez son père qui ne voulait plus la voir, se mit à marcher, et marcher, et marcher encore ; elle arriva dans une maison, à demi-morte de faim et de soif.
– Bonjour, braves gens.
– Bonjour, petite, dit la maîtresse. Que cherches-tu donc par les chemins ?
– Oh ! je cherche de l’ouvrage, tenez ! N’auriez vous pas besoin d’une servante dans cette maison ?
– Si, justement, nous avons besoin d’une gardeuse d’oies. Si tu veux rester ici, nous te garderons avec nous.
Et le lendemain, on l’envoya garder les oies.
Et, tandis qu’elle faisait paitre les oies, toute seule dans la lande, la jeune fille, pour se distraire, revêtait une de ses belles robes, une de celles qu’elle portait chez son père, et elle se faisait fort belle. Mais, aussitôt que les oies voyaient arriver quelqu’un au loin, elles se mettaient à crier, et elle troquait vite ses belles robes contre ses haillons. Elle rentrait le soir, vêtue de sa mauvaise robe trouée, et chemin faisant, elle ramassait quelques grains de brande qu’elle gardait sur son sein. Et tout en se chauffant, à la veillée, elle ne cessait de se gratter, et de temps en temps, elle ramenait quelques-uns de ces grains de brande qu’elle jetait dans le feu. Cela pétillait et les autres disaient :
– La gardeuse d’oies est pleine de poux… Jolie comme elle est, elle ne fait guère de toilette !
Pourtant, on finit par savoir dans le voisinage qu’il y avait dans cette maison une jeune fille, la plus belle qu’on eût jamais vue. Le fils du roi lui aussi avait entendu parler de la belle gardeuse d’oies. Un soir, il la rencontra comme elle revenait de la lande, et il fut extrêmement surpris de voir des mains si fines, et un diamant au doigt de cette fille qui gardait des oies. Il pensait bien qu’il y avait quelque chose de caché là-dessous, mais il ne savait pas quoi.
Un jour, il décida d’aller l’épier parmi ses oies. La jeune fille venait justement de revêtir une robe couleur du ciel. Mais les oies dénoncèrent le jeune homme du plus loin qu’elles l’aperçurent, et lorsqu’il arriva, il trouva la gardeuse d’oies habillée de sa robe de tous les jours, toute crasseuse et mal coiffée.
Le lendemain, le fils du roi voulut retourner voir la gardeuse d’oies. Elle, ce jour-là, avait revêtu une robe qui brillait comme les étoiles. Mais, aussitôt qu’il apparut au loin, les oies donnèrent l’alarme, et lorsqu’il arriva, il trouva la gardeuse d’oies avec sa jupe toute trouée et déchirée.
Le jour suivant, le jeune homme revint l’épier. Mais, ce jour-là, il arriva par un chemin détourné, en se dissimulant derrière les buissons, afin que les oies ne le vissent pas. Et il surprit la gardeuse vêtue d’une robe couleur du soleil, occupée à se coiffer avec un peigne d’or. Il s’approcha alors de la jeune fille interdite, lui prit sa bague et s’en alla.
Une fois rentré chez lui, le fils du roi fit crier en tous lieux qu’il avait trouvé une belle bague d’or, et que toutes les jeunes filles du pays devaient venir l’essayer le lendemain. Et il fit ajouter qu’il épouserait celle qui pourrait mettre la bague.
Pensez que toutes les filles du pays ne se firent pas prier, le lendemain, pour venir l’essayer. Mais aucune n’avait le doigt assez fin pour la passer. Enfin, la gardeuse d’oies se présenta à son tour, mal vêtue et dépenaillée : tout le monde se moquait d’elle. Mais elle passa la bague à son doigt, sans effort, et elle se trouva lui aller.
Voyant cela, le fils du roi déclara qu’il l’épouserait et il ordonna de faire tous les préparatifs de la noce.
Le jour du mariage, tous les nobles du pays avaient été invités, et le père de la jeune fille était parmi eux ; pourtant il n’avait pas reconnu sa fille, qu’il croyait depuis longtemps chez le diable. Et comme c’était un des plus grands seigneurs de la contrée, il mangeait à la table des époux.
La mariée s’occupait elle-même de le faire servir. Et, de tous les plats qui arrivaient, elle faisait mettre de côté une part sans sel et elle la donnait à son père. Tout ce qu’elle présentait était sans sel. A la fin, le vieux seigneur ne put s’empêcher de dire :
– Belle noce, oui ! Il y a de tout. Pourtant il manque une chose : le sel ! Ici tout est sans sel…
– Comment ? s’écria l’épouse. Vous ne trouvez donc pas la nourriture bonne, sans sel ?
– Oh ! non, répondit le vieillard. Les mets les plus fins, je n’ai jamais pu les apprécier sans sel.
– Eh bien, ne vous souvenez-vous pas qu’une fois, je vous dis que je vous aimais comme le bon sel, et que vous me répondîtes : « Au diable je te donne », vous en souvenez-vous ?
Lorsqu’il entendit ses paroles, le vieillard faillit mourir de saisissement. Enfin, il reprit ses esprits et sa fille lui pardonna le mal qu’il lui avait fait endurer. « 

L’un des éléments du conte de Peau-d’Âne qui m’a le plus frappée quand j’étais enfant, ce sont ces robes magnifiques couleur du temps, de la lune, et du soleil. Ainsi, lorsque j’ai lu ce conte de Félix Arnaudin, la mention d’une robe couleur du ciel, d’une robe couleur des étoiles, et d’une autre couleur du soleil, m’y a bien sûr immédiatement fait penser…
Et les similitudes ne s’arrêtent pas là. On retrouve l’histoire d’une jeune fille noble obligée de fuir son domicile, qui se retrouve à travailler avec des bêtes, vêtue comme une souillon, et qui porte ses robes grandioses lorsqu’elle est seule, pour se divertir. On retrouve également le jeune prince qui en tombe amoureux, et la bague qui lui permet de la désigner aux yeux de tous comme celle qu’il doit épouser.

Définitivement, La gardeuse d’oie était pour moi la version landaise du conte de Peau-d’Âne. Pourtant, un élément, et pas des moindres manque à cette liste de points communs : la peau d’âne, justement !

 

072

Et c’est avec étonnement que je me suis aperçue que le conte suivant, dans mon recueil des contes de Félix Arnaudin, s’appelait… Peau-d’Âne. Je me suis très sérieusement demandée pendant quelques secondes si la maison d’édition n’avait pas fait une erreur et interverti les titres des deux contes, mais non ! Ce conte-ci raconte bien l’histoire d’une jeune fille, encore une fois chassée de chez elle par son père, qui se retrouve obligée de porter une peau d’âne sur le dos. Mais pour le coup, les similitudes avec le conte de Perrault s’arrêtent là, et cette histoire est finalement moins riche et, à mon goût, moins intéressante que La gardeuse d’oies (dont le titre fait d’ailleurs également écho au conte La petite gardeuse d’oies des frères Grimm… Décidément, les contes ne cessent de se croiser et de se mélanger…).

Mais si vous êtes aussi curieux que moi, et que vous souhaitez connaître l’histoire de conte, ma foi il ne vous reste qu’à trouver une copie des Contes des Landes de Félix Arnaudin, et de le lire par vous-même ! 🙂

La légende de la bruyère

Aujourd’hui j’ai choisi de partager avec vous une histoire qui m’est chère, intitulée « La légende de la bruyère », probablement l’un de mes contes landais préférés. Je ne m’en cache pas, si j’aime cette histoire à ce point, c’est qu’elle reprend tous les codes, les symboles, les trames des contes bien connus de notre enfance tels que Blanche-Neige ou La Belle au Bois Dormant, transformant cette lecture en doux retour en enfance.

Je vous le disais dans l’article sur le conte La petite anguille, il n’est pas étonnant de retrouver dans nos contes locaux des similitudes avec les grands contes européens de Perrault ou des frères Grimm. Certains thèmes, certains archétypes, sont universels et traversent le temps et l’espace.

C’est le Dr Jean Peyresblanques qui a recueilli ce conte auprès d’une dame originaire d’Aurice, près de Saint-Sever, et qui le tenait elle-même de sa grand-mère. Je vous laisse découvrir cette jolie histoire et comprendre par vous-même cette agréable impression de déjà-vu dans laquelle elle m’a plongée.

bruyeresource

« Autrefois, il y a très longtemps, vivait dans les Landes une bergère de 13 ans, très jolie et très malheureuse. Sa mère était morte et son père s’était remarié avec une femme très méchante. Les voisins disaient qu’elle était sorcière. Avec son mari, la femme était très gentille, mais quand le pauvre était parti au travail, elle commençait à harceler l’enfant, lui donner du travail ; il n’y en avait jamais assez, toujours aiguilles et coudre, balai et nettoyer, chaudron et récurer… Heureusement, il y avait des brebis. Il fallait les amener au pré et dans le sous-bois. C’était aussi le travail de l’enfant. Celle-ci préférait aller dans la lande. Elle avait toujours un petit brin de bruyère sur le cœur, retenu par une épine. Elle avait l’habitude de voir les abeilles chanter et n’avait jamais peur. (…)  Dans la lande, tout le monde était son ami. »

Plus le temps passait, et plus la sorcière faisait grise mine. Agnoutine grandissait, faisait toujours son travail, et devenait de plus en plus jolie. La femme ne le supportait pas, et fut prise d’une jalousie sans nom lorsque le fils du seigneur, un beau baron d’autrefois, posa les yeux sur la jeune fille et l’avait regardée d’un air qui en disait beaucoup…
La marâtre décréta que c’en était assez, et décida d’accompagner Agnoutine dans la lande le lendemain afin de régler cette affaire une bonne fois pour toute.

« Et ainsi, elle arriva à la Lande et dit :
– Non, pas ici, un peu plus loin, non pas ici… Tiens, ici, à côté du cante coucut*. Ha ! Ha ! Fillette, tu aimes la bruyère ? Et bien, à partir de maintenant, tu demeureras bruyère. Trabuc, pachiu, pachiu, trabuc. Bruyère demeure, bruyère, bruyère, bruyère !… Maintenant tu peux dormir. Il n’y a qu’un baiser d’amoureux qui peut te tirer de là.
Et dans la lande, tout à côté du cante coucut, au milieu des ronces, des genêts, des ajoncs petits et grands, une bruyère apparut avec des pleurs sur ses fleurs roses.
– Maintenant perdue tu es, perdue tu resteras. Pas un ami ne te trouvera. »

Mais la sorcière ne savait pas que les abeilles regardent et sentent tout dans la lande, et qu’elles se mirent à la recherche d’Agnoutine. En butinant le miel de cette bruyère nouvelle, elles reconnurent l’odeur de leur amie, et depuis lors il ne se passa pas un jour sans que les abeilles virevoltent autour de la fleur afin de lui tenir compagnie et de lui raconter mille et une choses. Les brebis aussi s’échappaient et venaient dire bonjour à leur chère bergère. Ainsi la petite bruyère avait toujours quelqu’un près d’elle et le temps ne lui paraissait pas si long.
Pourtant, les années passèrent. Trois étés et trois hivers se succédèrent.

« Le fils du seigneur était maintenant un homme, mais on ne pouvait pas dire qu’il aspirait à se marier. Son père, et sa mère, n’étaient pas contents. On lui avait présenté des belles filles. Le fils avait dit :
– Celle-ci a l’oeil de travers. Celle-là la langue tournante. Celle-là le pied cagneux…
Il n’en voulait pas. Il était toujours à la chasse. Il ne disait rien. Les pauvres parents avaient demandé à un médecin de le voir. Celui-ci avait dit :
– Cela lui passera. Il a le temps pour se marier. Il a encore le coeur barré. »

Car en réalité, notre jeune seigneur rêvait encore à la jeune et jolie bergère qu’il avait vue il y a quelques années de cela. Elle hantait son esprit, et sans cesse il la cherchait des yeux, se demandant où elle avait bien pu ainsi disparaître.
Un jour, alors qu’il revenait de la chasse bien fatigué, il arriva dans la lande et avisa le cante coucut, au pied duquel il s’installa pour se reposer un peu, et rêver, comme chaque jour, à sa bergère disparue.

« Et ainsi, la tête dans les mains, il laissa courir son regard sur la lande. A côté, dans un fourré d’ajoncs, il avisa une bruyère, grande, belle, la plus belle de toutes et avec des fleurs roses, roses, je ne peux vous expliquer, mais il y avait autour une ronde d’abeilles, c’est sûr.
Le jeune seigneur sauta sur ses pieds, et il commença à avancer dans les ajoncs. Ils piquaient, et les ronces aussi. Le chasseur ne voyait que la bruyère. A coups d’épée et coups de pieds, il arriva à la fleur. Les abeilles faisaient un doux bourdonnement, mais ne le piquèrent pas. (…)
Et avec son couteau de chasse, il en coupa une branche, la porta à ses lèvres et lui donna un baiser. Miracle, il avait dans ses bras une jeune fille, belle, belle avec des yeux brillants et des larmes comme des diamants. »

Agnoutine lui raconta toute sa triste histoire et le remercia chaudement de l’avoir délivrée de la malédiction de la sorcière. Le seigneur, tout heureux d’avoir retrouvé celle qu’il cherchait depuis tant d’années, s’empressa de lui demander de le suivre dans son château afin de l’épouser.

« La tête contre le jeune homme, la jeune fille laissait son cœur battre la chamade, et quand elle regarda le chasseur, les baisers commencèrent, un, deux, cent… Adieu, ajoncs épineux, ronces et genêts, et les brebis et les abeilles, avec le cheval tout joyeux, faisaient une ronde autour des amoureux. »

C’est avec une immense joie que les parents du jeune homme accueillirent sa nouvelle promise, et le mariage fut célébré quinze jours plus tard. Tout le village était invité, et ce fut le plus beau des mariages qu’on n’avait jamais vu.

« La jeune fille était encore plus belle avec des fleurs de bruyère sur la tête, et les abeilles avaient apporté dessus quelques gouttes de rosée, brillantes comme des diamants. Elle avait une traîne que portaient des fillettes, et les abeilles tournaient autour en bourdonnant doucement. (…)
En arrivant à l’église, elle vit son père tout desséché et vieilli, et à côté, la méchante sorcière, toujours faisant la tête. Les abeilles l’avaient vue aussi. Elle se précipitèrent dessus et se mirent à la piquer, piquer… laissant la femme morte d’un coup. (…) Le père, sa fille retrouvée et la sorcière morte, s’était revigoré. Et les voisins pensèrent : « Une sorcière de moins c’est bien, il y en a toujours trop ! »

Retrouvez ce conte dans son intégralité dans Contes et légendes des Landes de Jean Peyresblanques.

Calluna_vulgaris_(flower_closeup)

Ainsi, vous le voyez, les thèmes de la marâtre, et de sa jalousie, du baiser délivreur, et de la forêt de ronces qui séparent notre héros de sa promise, font écho à de vieilles histoires connues de tous, et dans lesquelles il est toujours plaisant de se replonger.

Cependant, les détails qui nous sont livrés tels que la lande, les brebis, la bruyère, les abeilles, plantent bien le décor dans les landes anciennes et ancrent cette histoire qui paraît si familière dans un contexte local qui lui donne toute son originalité.

J’espère que vous aurez apprécié la découverte de ce joli conte au moins autant que moi ! 🙂

 

*cante coucut = un grand pin isolé, « chante coucou »

Les Lagunes de Nabias

Un peu au-dessus de la ville de Roquefort, dans la petite commune d’Arue, se trouve un site naturel qui porte le joli nom de Lagunes de Nabias. Ces étendues d’eau, entourées aujourd’hui de la forêt de pins, se trouvent là depuis des milliers d’années, puisqu’elles se sont formées lors des fontes de la dernière période glaciaire. Mais comme souvent, ce lieu représentait une énigme pour les populations locales, et une légende ne tarda pas à voir le jour, afin de fournir une explication à leur présence au milieu de la lande.

Cette légende, bien connue des locaux, est lisible dans sa version la plus courte sur le panneau placé à l’entrée du site, mais l’autrice landaise Georgette Laporte-Castède nous en offre une version plus étoffée dans son recueil Contes Populaires des Petites Landes.

s-l1600

Voici ce qu’elle nous raconte :

« Autrefois, il y avait là une métairie, avec un logis, une « borde », et un fournil. Cette métairie s’appelait Nabias ; et à Nabias, vivait une famille composée de deux couples : le Maître et la Maîtresse, âgés tous deux de près de cinquante ans, et aussi leur fille et leur gendre, mariés depuis bientôt six ans, et qui n’avaient point d’enfants encore. Ils n’étaient pas nombreux, aussi vivaient-ils assez facilement.« 

Ce jour-là, le père et la fille étaient partis ensemble à la foire, le gendre s’occupait de faire brouter les brebis plus loin dans la lande, et alors la Maîtresse se retrouva seule dans la maison.
En milieu d’après-midi, elle aperçoit un homme, qui ressemble à un mendiant, s’avancer vers sa demeure.

 » – Tiens, qui est cet homme qui vient ici, à travers le champ ? Un voisin, peut-être ? Bah, on ne dirait pas ! Ah, je parierais que c’est encore un chemineau ! Si ce n’est pas malheureux ! Ici, il nous vient des ces fainéants, crevés de faim … Tiens ! Trois ou quatre par semaine. Et ils mendient… Et ils mendient ! Il leur faut de l’eau, il leur faut du pain, et aussi parfois un abri pour la nuit !« 

La Maîtresse de Nabias n’est pas du tout généreuse, et méprise ces personnes qui viennent la déranger dans sa maison. Les poings sur les hanches et le regard noir, elle reçoit notre voyageur avec défiance et lui refuse tout ce qu’il lui demande.

 » – Donnez-moi…
– Quoi encore ?
– Un morceau de pain ! Rien qu’un morceau !
– Du pain dur ? Dans l’armoire il n’en reste plus du tout, du tout… Même pas une miette ! Je vous le jure !
– Mais Maitresse, le four est plein de pains ! Ils sont cuits, c’est sûr…. et réussis !
– Comment savez-vous cela, vous ?
– Eh, tiens… Il sentent si bon ! Je n’ai rien mangé aujourd’hui. Je ne veux ni un pain ni une galette…
– Eh bien, quoi alors ?
– Seulement un morceau, un petit morceau…
– Ah non ! Vous n’en aurez pas une tartine, ni même une bouchée ! Rien !« 

Et après lui avoir ordonné de décamper une dernière fois, la femme saisit la pelle de bois et se met à le menacer. L’homme alors fait demi-tour et s’enfuit à toutes jambes.

De son côté, le gendre surveille le troupeau et aperçoit à son tour l’homme qui se dirige vers lui. D’abord étonné, il s’adoucit lorsqu’il comprend que l’étranger meurt de faim et ne demande qu’un quignon de pain. Malheureusement, il ne lui reste au fond de ses poches que quelques croûtons de pain dur, et il se trouve bien embêté de n’avoir que cela à lui offrir. Le mendiant les accepte tout de même et le remercie de sa serviabilité. Puis il lui demande s’il habite par ici. Lorsqu’il comprend qu’il loge à Nabias également, il lui dit :

 » – Mais… Vous ne pouvez pas rentrer chez vous avant la trombe d’eau ! Avez-vous vu le ciel là-bas, vers l’Ouest ?
– Eh oui, il se couvre ! Et comme ces nuages sont vilains ! Et comme ils avancent vite vers nous ! Et la tempête ne va pas tarder.
– Nous allons avoir du mauvais temps, beaucoup de mauvais temps, c’est certain ! Il faut, vite, vous mettre à l’abri !
– Et où, Mon Dieu ? Il n’y a pas de parc à montons ici ! Oh… Et qu’allons-nous devenir, les brebis, le bélier, le chien et moi ?
– Vous voyez ? Maintenant des éclairs et le tonnerre ! Il va pleuvoir à verse sous peu !
– Ah, bonne Sainte Vierge ! Que faut-il donc que je fasse ? Si je rentre chez nous avec les bêtes mouillées… eh bien, que va me dire…
 – Qui te fait peur ainsi ? Ta femme ?
– Oh non, pas elle, non ! Mais sa mère ! Ah elle n’est point commode, je vous l’assure, et la méchanceté la ronge.
– Ecoute-moi. Tu vois là-bas, ce fourré ? Au beau milieu se trouve un jeune chêne. Va-t-en vite t’abriter là dessous.« 

Le berger croit d’abord à une plaisanterie, ne comprenant pas comment cet arbre minuscule pourrait bien les protéger, lui et toutes ses bêtes, de la terrible averse. Mais le mendiant insiste et le presse, aussi décide-t-il de l’écouter. Et alors qu’il s’approche de l’arbre, celui-ci se met à grandir, grandir, et grandir encore, jusqu’à ce que ses branches et ses feuilles soient assez larges pour former un toit au-dessus de tout ce petit monde. Le berger et son troupeau sont bien à l’abri, tandis que l’eau se déverse à torrent et semble tout recouvrir. Le mendiant quant à lui, a disparu.
Au bout d’une heure, la tempête se calme, et une fois la terre asséchée, notre berger se remet en route vers Nabias. Mais à sa grande stupéfaction, la maison n’est plus là, la borde non plus, le fournil encore moins. A la place, trois lagunes ! La plus petite à la place du four, la deuxième là où se trouvait le parc à moutons, et la dernière, la plus grande, a remplacé le logis.

 » Et la Maîtresse, qu’est-elle devenue ? Ne se serait-elle point noyée ? Mais au fait, ce chemineau qui était-ce ? Etait-il… Le Bon Dieu, le Diable, ou quelque sorcier ? Cela, personne ne l’a jamais su. Mais l’histoire, il en reste encore quelques-uns (des vieux) qui la connaissent. Il en reste quelques-uns, c’est sûr mais bien peu. Et dans quelques années, qui s’en souviendra ?« 

Que Mme Laporte-Castède se rassure, la relève est assurée, et l’histoire ne sera pas oubliée 🙂 Je vous invite par ailleurs à découvrir ce conte dans son intégralité dans son recueil, qui a le mérite de présenter les contes en français et en gascons (oui, avec un « s », car ils sont retranscris en trois patois différents à chaque fois !).

Je note qu’il est fait mention, dans cette version du conte, de trois lagunes, or aujourd’hui il n’y en a que deux… La troisième se serait-elle finalement asséchée ? Je n’ai trouvée nulle part ailleurs mention de cette troisième lagune… Si quelqu’un a une quelconque information à ce sujet, qu’il n’hésite pas à nous la faire partager !

Je suis allée me promener il y a une quinzaine de jours aux Lagunes de Nabias. Je crains malheureusement de ne pas avoir choisi la bonne époque de l’année… En cette fin d’été qui a été très sec, le niveau de la plus grande lagune était bien bas, et la deuxième, quant à elle, n’avait plus aucune goutte d’eau. Mais il n’en reste pas moins que c’est un site très agréable, magnifiquement préservé (malgré les bruits de la circulation sur l’autoroute A65 qui passe tout près..), où l’on peut profiter d’une jolie randonnée, longue de 4kms, le long du sentier botanique inauguré il y a quelques années.

Je vous invite sans réserve à aller découvrir ces lagunes, sa faune et sa flore rares, ce lieu naturel fragile qu’il est important de protéger…

_20170915_194424_20170915_194140_20170915_194126

 

Les Sirènes

Nous l’avons déjà évoqué, les différents éléments naturels, et l’eau en particulier, avaient une grande importance dans la vie quotidienne des landais. Et l’océan, qui borde le territoire, rythmait l’existence d’une bonne partie de la population qui, sur le littoral, comptait un grand nombre de marins et de pêcheurs.

Il est une figure mythologique fort connue qui accompagna la vie de bien des peuples maritimes à travers le monde ; celle de la Sirène. Et les Landes n’y ont pas échappé.

Les marins landais entretenaient cette croyance populaire selon laquelle les sirènes, des êtres malfaisants et cruels, peut-être immortels, vivaient dans les profondeurs de l’océan. Est-il bien utile de vous rapporter la description de ces créatures fantastiques ? Depuis la mythologie grecque, les nombreuses légendes européennes, jusqu’au fameux conte de Hans Christian Andersen en 1837 et à l’adaptation de Disney plus de 150 ans après, cet être des eaux au corps de femme et à la queue de poisson a conquis l’imaginaire collectif et est devenu une créature fantastique incontournable.

9975b8a2
Des ouvrages entiers pourraient être écrits sur les origines de ce mythe et sa complexité, mais contentons-nous de voir ce que l’on en disait dans nos Landes.

Jean-François Bladé, célèbre historien et collecteur de traditions orales de la Gascogne, a livré une description détaillée de l’état de cette croyance dans les Landes au XIXème siècle :

Il y a des sirènes dans la mer. Il y en a aussi dans les rivières… Les sirènes ont des cheveux fins et longs comme la soie et elles se peignent avec des peignes d’or. De la tête à la ceinture, elles ressemblent à de belles jeunes filles de dix-huit ans. Les reste du corps est pareil au ventre et à la queue des poissons. Ces bêtes ont un langage à part pour s’expliquer entre elles. Si elles ont affaire à des chrétiens, elles parlent patois ou français.

On dit que les sirènes vivront jusqu’au jugement dernier. Certains croient que ces créatures n’ont pas d’âme. Mais beaucoup pensent qu’elles ont dans le corps des âmes des gens noyés en état de péché mortel…

Pendant le jour, les sirènes sont condamnées à vivre sous l’eau. On n’a jamais pu savoir ce qu’elles y font. La nuit, elles remontent par troupeaux et folâtrent en nageant au clair de la lune jusqu’au premier coup de l’Angélus du matin. Il arrive parfois qu’elles se battent. Alors elles s’égratignent et se mordent pour se sucer le sang. Au premier coup de l’Angélus, elles sont forcées de rentrer sous l’eau.

Force mariniers, en voyageant sur la mer, ont vu des troupeaux de sirènes nager autour des navires. Elles chantaient tout en nageant, des chansons si belles, si belles que vous n’avez jamais entendu, ni n’entendrez jamais les pareilles. Par bonheur, les patrons des navires et des barques se méfient et savent ce qu’il faut penser de ces chanteuses. Ils empoignent une barre et tombent à grand tour de bras sur les jeunes mariniers qui sont prêts à plonger pour aller trouver les sirènes. Mais les patrons ne peuvent pas toujours avoir l’œil partout, alors les sirènes tombent sur les plongeurs. Elles leur sucent la cervelle et le sang et leur mangent le foie, le cœur et les intestins. Les corps des pauvres noyés deviennent autant de sirènes au jugement dernier.

Les sirènes étaient donc très redoutées et représentaient un grand danger pour les marins. Cette réputation d’être maléfique et fourbe a traversé les siècles, mais a été mise à mal par le conte d’Andersen et sa Petite Sirène pure et innocente, qui a rencontré un tel succès qu’elle est aujourd’hui pour beaucoup la première représentation qui vient à l’esprit lorsque l’on évoque les sirènes. Du moins, c’est mon cas, puisqu’il s’agit de mon conte préféré…

Mais peut-être ne suis-je pas la seule ? En effet, l’auteur Charles Daney, dans son recueil Les contes des Landes, de la mer et du vent, publié en 2003, nous livre un personnage de sirène bien plus doux, très éloigné de la tentatrice à la voix envoûtante que l’on décrivait autrefois. Pour aller à la rencontre de cette sirène, il faut s’éloigner légèrement des limites du département actuel des Landes, et se rendre du côté du Bassin d’Arcachon.

18664280_10211808636243505_2346714727141428006_n

Charles Daney raconte que vit là la petite sirène verte du Bassin. Elle serait sortie à la surface une fois, lors d’une nuit sans lune, et aurait émerveillé de sa beauté les marins qui se trouvaient là, à tel point que les jours suivants, on ne parlait plus que de ça. Alors des étrangers sont venus de toute part, et ont ri haut et fort des croyances des habitants du Bassin, ce qui a bien attristé la petite sirène, qui a choisi alors de ne plus se montrer.

Depuis, elle se contente de protéger le Bassin, de dorloter les huîtres, de renseigner des poissons lorsqu’ils s’égarent aux croisements des chenaux qui ne sont balisés qu’en surface, de raconter de belles histoires qui font s’éclater les anémones et mourir de rire les holothuries.

Les enfants l’aperçoivent encore quelquefois, au soir tombant, quand il fait beau et qu’ils s’assoient sous les pins de Péreire, après que le soleil ait rosi les eaux argentées du bassin. Vous aussi, à condition de regarder de toute votre âme, et si vous l’avez mérité, vous pouvez apercevoir le clair rayon vert de ses yeux et la longue ondulation de jade de ses cheveux.

Retrouvez le conte de Charles Daney en intégralité dans son recueil Les contes des landes, de la mer et du vent.

236503_medium

Ainsi les terribles créatures des abysses ont évolué dans l’imaginaire de certains pour devenir des êtres doux et sensibles, protecteurs des eaux, n’attendant que d’être aimés des humains…

Et vous, quelle version des fameuses sirènes préférez-vous ? 🙂

Le Bécut

Les Landes regorgent de créatures fantastiques en tout genre, mais aucune n’est aussi connue et redoutée que le Bécut. Ce cyclope au nez en forme de groin de porc était un ogre effrayant et cruel qui dévorait les enfants, raffolant de leur chair tendre… De nombreux parents tentaient d’effrayer leurs enfants turbulents, qui désobéissaient et voulaient sortir dans la nuit, en leur racontant les plus terribles histoires de ces géants de la lande.

Pourtant, dans les histoires les plus connues, le Bécut finit toujours par être vaincu, et cette population de géants par disparaître du pays… C’est à Contis, à Sabres et à Castets que se déroulent ces histoires, et voici ce qu’elles racontent :

Le Tuc du Bécut 

Il y avait une fois un ogre terrible, un Bécut, qui vivait dans le pays. il était énorme, barbu, poilu, avec un oeil unique au milieu du front, des mollets comme une barrique à ses jambes de géant ; pensez donc ! le Diable les lui avait pincées à la naissance, et comme pour les fruits que l’on pince, ses jambes étaient devenues magnifiques et infatigables. Il en profitait, il pouvait courir aussi vite que le vent d’ouest quand il souffle en tempête. Il se nourrissait uniquement de petits enfants ou de jeunes filles. Il arrivait comme le vent, volait un enfant seul ou une fillette isolée et allait se repaître dans son antre situé près d’ici.
Les gens du pays avaient beau lui donner la chasse avec les chiens de Contis, rien n’y faisait. Les nuits sans lune, les chiens hurlaient car le Bécut rôdait. Un jour, un berger furieux alluma le feu et la forêt brûla en partie mais le Bécut s’échappa avec ses grandes jambes et se réfugia dans les marais, plus furieux que jamais. Dès lors, de son gros oeil unique, il choisit avec rapacité les enfants les plus beaux, les petits au berceau. Tous tremblaient.
Enfin, un vieux berger se décida, monté sur de grandes échasses, à aller voir la mère du vent, loin, très loin dans les Landes, du côté de Saint-Jean-de-Bouricos.

« Madame la mère du vent, pitié, je vous en supplie.
– Hoou.
– Pitié, pitié pour nous autres de Contis, aidez-nous à tuer Le Bécut !
– Haouu.
– Si, si, ayez pitié car il ne respecte personne. Il a dit « Même le vent ne m’attraperait pas si je veux. »
– Ho ! (la mère du vent gronda) haou. Va ! je te suis. »

Et lorsque le berger arriva, il lança les chiens de Contis qui se mirent à chercher dans la nuit, et le vent furieux se mit de la partie. Tout craquait, volait, tremblait, et les gens se tenaient effrayés.
« Ah il court plus vite que moi !… » Et le vent redoubla de violence.
Le lendemain, à l’aube, tout était bouleversé. Le marais où était le Bécut avait disparu. La mère du vent avait enseveli l’ogre malfaisant sous la dune de sable qui est notre Tuc du Bécut.
On félicita le vieux berger, lui demandant comment il avait fait ? Il répondit goguenard :
« L’orgueil enterre les gens. »

Voici donc comment disparut le Bécut de Contis, disparu sous le sable de la dune… Peut-être son corps s’y trouve-t-il encore aujourd’hui !

couverture-Bladé-contes-pop-gasc-ed-Aubéron-2008

A Castets aussi, c’est le péché d’orgueil qui a eut raison du géant à l’oeil unique. Un berger l’a provoqué, lui soutenant qu’il serait incapable de sauter dans l’eau de la Fontaine Vive. Voulait lui prouver le contraire, le Bécut s’y précipita et fut englouti à jamais dans les eaux du puits.

Celui de Sabres n’eut pas plus de chance et fut lui aussi vaincu par la ruse des landais :

Le Panturon du Bécut

Pas très loin d’ici dans la lande, du côté de Sabres, vivait un Bécut, grand, gros, barbu avec un oeil au milieu du front. Il était horrible. Comme son cousin de Contis, il mangeait de la viande fraîche. Mais plus intelligent, il faisait travailler des hommes et des femmes pour lui garder d’innombrables troupeaux de moutons. Il avait ainsi toujours de la chair fraîche : les agneaux en particulier, qu’il aimait bien faire rôtir lui-même. Aux bergers, il ne laissait que l’intérieur : tripes, foie, rate, poumons, et le bout des pattes nageant dans le sang.
Avec ces quatre éléments, cuits pauvrement dans de l’eau et revenus dans une coquelle, les vieilles landaises réussirent à faire une sauce exquise.
Un jour qu’il faisait rôtir son agneau, le Bécut eut un doute.
« Pourquoi Diable mes bergers sont-ils ravis quand je tue un agneau et veulent-ils le saigner eux-mêmes ? Allons voir ce qu’ils font ! »
Il les trouva tous la face enluminée : Mentoun lusen, bente counten (menton luisant, ventre content) marmonna-t-il, et aussitôt il prit la marmite pour goûter leur pitance. C’était une sauce noirâtre, grumeleuse, de piètre aspect mais qui embaumait. Il y goûta, la trouva à son goût et décida que désormais, il faudrait lui faire le panturon.
Qui furent attrapés ? Les bergers privés de leur sauce ! Aussi, résolurent-ils de se venger. Le jour de grande fête, où tous les Bécuts de la lande étaient réunis – sauf celui de Contis déjà enfoui sous la dune, et celui de Castets englouti par la fontaine vive – ils versèrent du poison dans la panturon. Tous les ogres moururent et, depuis, on ne voit plus de Bécuts dans la lande, mais il est resté un plat tout simple et très bon, le panturon.

La légende des Bécuts ne se limite pas aux Landes et l’on retrouve des récits similaires dans les Pyrénées, ainsi que chez nos voisins gersois.
Le collecteur de contes Jean-François Bladé nous a ainsi offert un récit différent ce ceux que l’on connait dans les Landes, dans lequel les Bécuts vivent « dans un pays sauvage et noir, dans un pays de hautes montagnes, où les gaves tombent de trois mille pieds ». Il faut marcher sept mois pour s’y rendre. Les Bécuts y élèvent de nombreux troupeaux de vaches et de moutons aux cornes d’or. Ils les élèvent pour leur viande mais n’ont que faire des cornes d’or qu’ils laissent tomber au sol. Et gare aux courageux qui voudraient les ramasser pour faire fortune ! Si un Bécut les attrape, il les fera rôtir vivants !
Le conte de Jean-François Bladé raconte ainsi comment un jeune homme et sa soeur se sont fait capturés alors qu’ils ramassaient des cornes d’or, et comment le garçon a charmé le géant grâce aux contes de son pays, parlant toute la nuit pour repousser le moment où l’ogre le ferait cuire… Le jeune homme finit par crever l’oeil du Bécut alors que celui-ci s’était endormi, afin de l’affaiblir et de pouvoir s’enfuir en s’enveloppant dans la peau d’un mouton que le cyclope venait de dépecer. Comme toujours le Bécut finit par être vaincu, et les deux jeunes gens réussissent à s’enfuir avec deux grands sacs remplis de cornes d’or qu’ils rapportèrent à leur mère.

Il est intéressant de voir que, dans cette version comme dans celle de Sabres, les Bécuts sont des créatures qui élèvent des troupeaux. Ce n’est pas sans rappeler la mythologie grecque ; Homère et Virgile nous rapportent que les Cyclopes sont des géants sauvages et anthropophages qui vivent en élevant des moutons.

Le plus célèbre de ces cyclope est Polyphème, le Cyclope qu’Ulysse et ses compagnons rencontrèrent dans le chant IX de l’Odyssée d’Homère. Et ce qui leur arriva dans l’antre de Polyphème nous rappelle curieusement le conte de Jean-François Bladé…
En effet, en explorant la terre sur laquelle ils avaient accosté, Ulysse et ses compagnons découvrirent un caverne remplie en abondance de nourriture, et ils décidèrent de se servir. Mais c’est dans l’antre de Polyphème qu’ils se trouvaient, et celui-ci les enferma dans la grotte et en dévora deux au passage. Afin de rendre Polyphème moins alerte, Ulysse lui donna une barrique d’un vin très fort. Une fois le géant endormi, Ulysse et ses hommes utilisèrent un pieu durci au feu et crevèrent l’œil du géant. Le lendemain matin, Ulysse accrocha ses hommes ainsi que lui-même sous les brebis de Polyphème. Ainsi, lorsque, comme à son habitude, le Cyclope sortit ses moutons pour les mener au pâturage, les hommes furent transportés hors de la caverne.

TIBALDI, Pellegrino - L'aveuglement de Polyph_meL’aveuglement de Polyphème, Pellegrino Tibaldi, 1554

Vous pouvez le constater, les deux histoires sont très similaires, et il est très probable que ce passage de l’Odyssée ait inspiré ce conte gascon rapporté par Bladé, adapté à la sauce locale avec un monstre bien de chez nous…
Une nouvelle preuve que les légendes n’ont pas de frontières, et que les mythes ne cessent de se croiser et de s’adapter !

La petite anguille – Ou la version landaise du conte de Cendrillon

Je vous le disais dans mon précédent article, les contes et les légendes sont des récits, traditionnellement transmis de manière orale, qui évoluent et se modifient à travers les lieux et les époques. S’il en est déjà ainsi pour les légendes locales, les grands contes classiques recueillis par Charles Perrault ou les frères Grimm, et que l’on connait tous aujourd’hui dans leur version figée, ne font pourtant pas exception.

C’est ainsi que dans le recueil de contes de Félix Arnaudin, célèbre collecteur de contes et témoin de la vie landaise au XIXème siècle, j’ai découvert la version landaise du conte de Cendrillon. Quelle ne fut pas ma surprise, en tournant les pages, de retrouver la figure de la jeune souillon, de la marâtre, du prince et des souliers de verre ! Mais bien entendu, ce n’est pas une copie conforme du conte que l’on connait bien, et certains éléments sont bien différents. Parmi eux, le plus évident est certainement la figure de la Marraine la bonne fée, qui disparait et devient… Une anguille !
La petite touche bien landaise de l’histoire…
C’est donc cette petite anguille qui va venir au secours de la jeune fille quand elle en aura besoin, et qui lui fournira les belles robes de princesse.

1311147-Gustave_Doré_illustration_pour_CendrillonGustave Doré, illustration pour Cendrillon

Voici donc ce que raconte l’histoire de cette Cendrillon locale :

« Il était une fois deux veufs qui s’étaient remariés ensemble. L’homme avait une fille et la femme en avait une autre. La fille de l’homme était fort jolie, laborieuse et avenante autant qu’on pouvait le souhaiter, et sa belle-mère la détestait.
Un jour, le père était allé à la pêche et il avait pris une grosse anguille. On avait envoyé sa fille la nettoyer à la fontaine et, au moment où elle s’apprêtait à éventrer la bête, celle-ci lui dit :

– Laisse-moi m’échapper, petite, laisse-moi m’échapper dans la fontaine.

Mais la fille craignait sa tante.

– Non, non, n’aie pas peur, dit l’anguille, tu diras que j’ai glissé dans la fontaine.

La fillette la laissa aller et l’anguille plongea droit au fond de l’eau. Puis elle remonta à la surface et dit :

– Petite, quand tu auras quelque chagrin, tu viendras m’appeler ici : « Anguille, anguillon ! » et je viendrai aussitôt à ton aide.

Quand la petite fille revint à la maison, la marâtre la gronda fort pour avoir laissé échapper l’anguille.

– Tu seras punie, lui dit-elle. Nous sommes aujourd’hui samedi. Eh bien tu n’iras pas à la messe avec nous demain.

Le lendemain matin, toute la famille partit pour l’église, sauf la fillette qui resta pour garder la maison. Et, avant de partir, la méchante femme lui laissa à trier vingt-cinq sacs de gros millet mêlés à vingt-cinq sacs de petit. La fille prit la cruche en pleurant et s’en alla appeler l’anguille à la fontaine :

– Anguille, anguillon.

Aussitôt l’anguille apparut dans l’eau.

– Que veux-tu, petite ?
– Oh ! Les gens de chez nous sont tous allés au bourg et ma tante m’a laissé vingt-cinq sacs de gros millet et vingt-cinq sacs de petit à trier avant son retour. Je ne le ferai jamais…
– Ne pleure plus petite, dit l’anguille, je vais te donner quelque chose. Prends cette pomme ; tu l’ouvriras et tu prendras ce qui est dedans, puis tu t’en iras à la messe. Tu reviendras aussitôt après l’Elévation.

La jeune fille suivit toutes les indications de l’anguille. Dans la pomme, elle trouva une robe comme jamais elle n’en avait vu, toute brodée d’or et d’argent. A l’église, tout le monde la regardait, mais personne ne reconnut cette dame si belle. A l’Elévation, elle sortit de la messe et, quand elle rentra chez elle, elle trouva toute sa besogne faite. Elle retira vite sa belle robe et se mit à attendre les autres.
La marâtre, naturellement, fut surprise et fort dépitée de constater que la jeune fille avait fait tout ce qu’elle lui avait commandé, mais elle n’en laissa rien paraître.

– Oh, si tu savais !… dit la fille de la femme. Aujourd’hui il y avait à l’église une dame d’une beauté…
– Oh, pardi ! répondit l’autre. Toi, tu vois tout, et moi, ici, grondée et mal vue…

Le dimanche suivant, la tante laissa à la jeune fille un char de cendres et un char de terre à trier. Comme ils partaient tous pour l’église, la jeune fille alla à la fontaine :

– Anguille, anguillon.
– Que veux-tu, petite ?
– Oh ! Ma tante est partie pour la messe en me laissant un char des cendres et un char de terre à trier. Je ne le ferai jamais…
– Ne pleure plus, petite, dit l’anguille. Prends cette noix ! Tu l’ouvriras et tu prendras ce qu’il y a dedans. Puis tu t’en iras à la messe, mais reviens-en dès l’Elévation.

La jeune fille suivit toutes les indications de l’anguille. Dans la noix, elle découvrit une robe encore plus belle que la première. A l’église, tout le monde la regarda, encore plus que l’autre semaine, mais nul ne la reconnut. Cependant, le fils du Roi qui était à la messe, remarqua cette dame si belle, et elle lui plut. Mais elle sortit de l’église après l’Elévation et s’enfuit chez elle, si bien que, lorsque ses parents arrivèrent, ils la trouvèrent au coin du feu, faisant cuire la soupe, vêtue de sa robe de tous les jours. Et les deux chars de cendre et de terre étaient démêlés.

– Oh si tu savais !… lui dit la fille de la femme. Aujourd’hui, le fils du Roi était à la messe. Et la belle dame de dimanche dernier était, elle aussi, devant nous.

Le dimanche suivant, la tante commanda à la jeune fille un travail surhumain : elle devait préparer le dîner, mais la soupe ne devait pas toucher la marmite, la table ne devait pas toucher les carreaux, la nappe ne devait pas toucher la table, les couverts, cuillères et fourchettes ne devaient pas se toucher, enfin tout devait se tenir en l’air. La pauvre petite, toute désolée, s’en alla à la fontaine appeler l’anguille :

– Anguille, anguillon…
– Que veux-tu, petite ?
– Oh ! Ma tante est partie pour la messe en me commandant de préparer le dîner. Il faut que la soupe ne touche pas le pot et que la table tienne en l’air toute seule. Je ne le ferai jamais…
– Ne pleure plus, petite, dit l’anguille. Prends cette amande ; tu l’ouvriras et tu prendras ce qu’il y a dedans. Ensuite, tu t’en iras à la messe, mais reviens vite après l’Elévation. Et prends garde qu’on te surveille et qu’on va vouloir t’arrêter.

La jeune fille se conforma exactement aux indications de l’anguille. A l’intérieur de l’amande, elle trouva une robe comme elle n’en avait jamais vu de semblable, tout en soie et garnie de perles et de diamants, avec une paire de souliers de verre. Elle s’en alla à la messe et comme les autres semaines, elle sortit de l’église après l’Elévation. Mais le fils du Roi la guettait et il s’était caché derrière la porte de l’église.
Quand la jeune fille sortit, le fils du Roi voulut l’arrêter. Aussitôt, elle se mit à courir et lui échappa. Mais, dans sa course, elle perdit un petit soulier de verre et le jeune homme la ramassa.
Quand les autres arrivèrent à la maison, ils trouvèrent la jeune fille assise au coin du feu, vêtue de sa robe de tous les jours. Le dîner était prêt, ainsi que sa tante l’avait commandé : les assiettes ne touchaient pas la nappe, la nappe ne touchait pas la table, la table ne touchait pas les carreaux, et la soupe ne touchait pas le pot.

– Oh ! Si tu savais !… dit la fille de la femme. Aujourd’hui, le fils du Roi était encore à la messe. Et la belle dame aussi. Après l’Elévation, elle s’est échappée mais elle a perdu un soulier de verre. Le fils du Roi l’a ramassé et a fait publier à la sortie de la messe que toutes les filles des environs devaient venir au palais demain, pour essayer ce soulier. Et il épousera celle à qui il ira bien.

Pensez si toutes les jeunes filles du pays se rendirent avec plaisir au château, le lundi ! Il n’en manqua aucune, sauf la fille qui n’avait pas de mère, et à qui sa marâtre avait interdit d’y aller.
Toutes essayèrent le petit soulier de verre, mais aucune n’avait le pied assez petit. Il allait assez bien à la fille de la tante, mais il était pourtant un peu court.

– Oh ! il lui va bien, il lui va bien, répétait la mère.

Mais comme le soulier était en verre, on voyait bien que les doigts de pied étaient repliés.
Alors, le fils du Roi demanda à toutes les mères :

– N’y aurait-il pas dans la contrée quelque autre fille qui n’est pas venue ?
– Oh ! dit la tante. Nous avons bien encore chez nous une souillon. Mais ce n’est pas la peine de la faire venir : elle ne sort jamais du coin du feu…
– Eh bien, dit le prince, il faut tout de même aller la chercher.

On y alla donc. La pauvre fille arriva au château. Elle n’était ni bien vêtue ni bien coiffée, mais son visage était beau comme un jour bien clair. On lui essaya le soulier : il lui allait bien.

– Voici mon épouse, déclara le fils du Roi.

La marâtre enrageait et disait pis que pendre de la fille. Rien n’y fit. Le fils du Roi la garda et le mariage se fit. Et comme le roi se sentait vieux, il laissa la couronne à son fils. (…) »

En réalité, le conte local ne se termine pas là, mais la suite n’ayant plus rien en commun avec Cendrillon, je vous laisserai la découvrir par vous-même dans l’ouvrage de Félix Arnaudin.

Le conte s’est donc adapté à la région landaise, et en plus de la figure de la marraine remplacée par l’anguille, un autre élément important se trouve modifié : plus de bal princier comme lieu de rencontre et de coups de minuit en guise de couvre-feu, mais la messe du dimanche, et l’Elévation (la présentation du pain et du vin avant l’Eucharistie). On peut imaginer que ce contexte était mieux adapté à une histoire se déroulant dans les Landes, la religion ayant une grande place dans la vie de la population de cette époque. Vous l’aurez peut-être déjà remarqué au cours des précédents articles, il est rare de lire un conte landais sans que la religion n’y soit mêlée d’une façon ou d’une autre…

Ainsi, le conte de Cendrillon ne compte pas que les deux versions bien connues de Perrault et des frères Grimm (et je suis personnellement reconnaissante que la version landaise nous ait épargné les mutilations que s’infligent les deux belles-sœurs afin de faire rentrer leur pied dans le soulier, comme c’est le cas dans celle de Grimm…), mais également une version landaise, dans laquelle les couleurs locales ne manquent pas de se faire sentir. Et je suis prête à parier que d’autres versions modifiées existent également dans d’autres régions de France, peut-être même dans d’autres coins de l’Europe…

Cendrillon n’est d’ailleurs pas la seule à avoir son pendant landais… Je vous dévoilerai bientôt les versions locales des contes de Peau d’Âne et de La Belle au Bois Dormant ! Restez connectés ! 🙂

La trêve de Noël des loups de la Lande

Autrefois, les loups étaient nombreux dans les Landes, et comme partout ailleurs, ils suscitaient une grande peur. Cet animal était redouté au point qu’il fut rapidement désigné comme créature diabolique, serviteur de Satan et ami des sorcières. Il existe pourtant un conte landais dans lequel les loups et les hommes firent la paix, ne serait-ce que pour une nuit…

Je me permets de retranscrire mot pour mot ce petit conte tel que Jean Peyresblanques l’a noté dans ses Contes et Légendes des Landes, et tel que je l’ai découvert dans un autre livre, Les mythes et légendes du loup de Roger Maudhuy. Il est écrit de manière concise et efficace, et l’on ne saurait faire mieux…

« Dans la grande Lande, à Saint-Jean-de-Bouricos, il y a très longtemps, le vieux curé, le soir de Noël, revenait de voir un mourant. Il se hâtait. Tout était couvert de neige. Les pins se dressaient, noires sentinelles, en lisière de la lande. Il savait que les loups étaient descendus, car son fidèle sacristain, chasseur impénitent, lui avait dit :
« Vous ne risquez rien, Monsieur le curé, j’ai mis un piège avec un appât. »

Il avançait rapidement, lorsqu’il entendit de petits gémissements. Guidé par eux, il arriva en limite des broussailles et des pins. Il vit un grand loup gris pris au piège. C’était une louve immense, avec deux petits louveteaux à ses côtés qui gémissaient.
« Pauvre bête ! s’écria le prêtre, ne bouge pas ! » Et posant les saintes huiles sans aucune crainte, il ouvrit le piège et sortit la patte de la louve. Celle-ci n’avait pas bougé, le surveillant de ses yeux jaunes. Le curé regarda la patte abîmée, ajoutant : « Ne bouge pas, je reviens te soigner. »
Lorsqu’il revint, la bête était toujours là, léchant sa patte brisée. Consolidant cette dernière avec des planchettes et de la charpie, le brave homme finit son travail sans peur, la louve se leva alors difficilement sur trois pattes et lécha les mains qui l’avaient soignée.
« Ecoute, lui dit-il. C’est aujourd’hui Noël, c’est la grande fête de la Nativité. Tu vas me promettre, cette nuit-là, de ne toucher ni aux gens ni aux bêtes, tu entends… »
Et dans les yeux de la louve, il vit une lueur de reconnaissance.
A la messe de minuit, à mi-cérémonie, on entendit un long hurlement : les loups. Toute l’assemblée était terrorisée. « N’ayez pas peur ! dit le pasteur, et il marcha vers la porte de l’église qu’il ouvrit toute grande, une meute de loups était là avec la louve à sa tête. Le prêtre, nullement impressionné, la bénit.
« C’est Noël pour tout le monde, allez ! loups, et tenez votre promesse. »
Un long hurlement retentit et tous les loups disparurent, la louve en dernier, qui vint lécher la main du prêtre. Tous furent rassurés…
Depuis lors, le soir de Noël, les loups ne chassent pas. Même si tu entends dans la nuit ou pendant la messe des hurlements de loup, il ne faut pas avoir peur. C’est la trêve de Noël des loups de la lande. »

_DSC3089nb

Aujourd’hui les loups ont disparu dans les Landes, mais la petite église romane de Bouricos où se déroule cette histoire existe toujours. Située un peu en-dehors de la commune de Pontenx-les-Forges, elle se dresse au milieu d’un airial paisible dans lequel on trouve aussi quelques vieilles maisons qui accueillent les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle.

IMG_20170413_190314_538
Bouricos est très réputé pour la foire qui se tient depuis des siècles chaque année le 24 juin, à la Saint-Jean. Car en plus de la chapelle qui a inspiré ce joli conte, on trouve à Bouricos une fontaine dite miraculeuse, fréquentée depuis la nuit des temps pour ses vertus guérisseuses sur les problèmes de peaux, les rhumatismes et autres problèmes d’articulation. Cette fontaine de Saint-Jean-Baptiste est donc vénérée tous les 24 juin ; après la messe, les visiteurs vont en procession à la fontaine, l’eau et la foule y sont bénites, et chacun boit ou puise dans le puits de la fontaine. D’après la légende, Saint-Jean-Baptiste lui-même aurait fait halte en ce lieu lors d’un pèlerinage et aurait utilisé cette eau pour calmer ses membres endoloris par la marche.

IMG_20170413_190603_018

Cette source n’est qu’un exemple parmi d’autres, car il existe un très grand nombre de fontaines miraculeuses dans les Landes. On en trouve plus de 200, et si elles ne sont pas toutes aujourd’hui aussi fréquentées qu’autrefois, une trentaine d’entre elles sont encore vénérées par des cérémonies religieuses comme celle-ci. C’est là encore un vaste sujet, sur lequel nous reviendrons, car il est certain que l’on croisera de nouveau un certain nombre de ces sources guérisseuses au fil de nos recherches …

La Barque aux Sorcières

_DSC2939

Je vous avais promis des sorcières, il me semble ! Ce n’est pas le choix qui manque… Les histoires de sorcières sont nombreuses dans le Sud-Ouest, et c’est à Capbreton que se déroule celle-ci :

                     C’est l’histoire d’un jeune marin de Capbreton, Cadet, qui était bien inquiet de voir qu’à chaque pleine lune, il retrouvait au matin sa barque toute mouillée, comme après une longue virée en mer. Il décida donc de se cacher pour voir ce qui se trafiquait durant ces nuits-là. De loin, il surveillait la barque, et vers minuit il vit sept femmes s’en approcher et s’y installer. Elles parlaient, mais il ne pouvait pas comprendre ce qu’elles disaient. Une fois toutes à bord, la barque se mit à glisser sur le sable et partit en mer à toute vitesse, sans s’inquiéter des vagues ni du courant. Les voyageuses revinrent deux heures après, toutes guillerettes, lui sembla-t-il.

A la lune suivante, de plus en plus curieux, il décida de se cacher au fond de la barque, sous de vieilles voiles, pour faire le voyage avec les sept femmes. Il attendit minuit avec impatience, et lorsqu’elles s’installèrent à leur tour, la barque fila de nouveau sur l’océan. Elle toucha le sable un moment plus tard, et les voyageuses descendirent. Il les suivit discrètement jusqu’à un immense palais avec d’énormes statues de bêtes et de sphinx. Il s’approcha et, de loin, vit un homme rouge au centre d’une ronde où se trouvaient nos sorcières, des loups-garous, des femmes à tête de serpent ou de crapaud, des hommes à tête de chèvre ou de chouette. Tous sautaient, dansaient, s’embrassaient. Il n’osa pas aller trop loin et revint sur ses pas pour se cacher à nouveau. Les sept femmes revinrent encore essoufflées de leurs danses, et reprirent leurs places dans la barque.

Une fois de retour à Capbreton, Cadet réfléchit longuement, et après être allé prier la Vierge de la Mâa dans sa vieille chapelle, il alla trouver le curé de Capbreton pour lui raconter sa mésaventure. Le curé écouta bien, et à la messe le dimanche suivant, il accueillit les fidèles sur le seuil de l’église avec le goupillon, les aspergeant d’eau bénite. Tous rentrèrent ensuite dans l’église, sauf les sept femmes, qui ne pouvaient plus y pénétrer. Et c’est avec effroi que Cadet reconnut sa jeune fiancée parmi les sept.

Du coup, il vendit sa barque et se fit moine, pria la Vierge de la Mâa toute sa vie, et oublia bien vite les sorcières.

(Retrouvez le conte dans son intégralité dans Les contes et légendes des Landes de Jean Peyreblanques)

On retrouve dans ce conte plusieurs composantes importantes du mythe populaire de la sorcière : la nuit, la pleine lune, le transport magique (qui n’est pas toujours un balai volant, même si c’est celui que l’imaginaire collectif a retenu), le Diable, et le Sabbat, cette fête démoniaque durant lesquelles les sorcières vénéraient le Diable, dansaient autour de lui, pactisaient avec lui, ou s’accouplaient avec lui. Ici le Sabbat semble ne se dérouler que pendant les pleines lunes, mais les légendes diffèrent à ce sujet, et certaines disent qu’il se tenait plusieurs fois par semaine, le mercredi et le vendredi. Le mythe de ces fêtes sataniques n’est pas l’apanage du Sud-Ouest et existe à travers toute l’Europe.

12191006_10206953984200238_5841530441769803665_nLa ronde du sabbat – Louis Boulanger

Par ailleurs, si de notre point de vue contemporain ces rassemblements ne sont que des mythes farfelus, à l’époque des grandes chasses aux sorcières de la Renaissance (et non du Moyen-Âge comme on a tendance à le penser), on y croyait dur comme fer. Aux XVIème et XVIIème siècles principalement, tout ceci faisait partie de la réalité du quotidien, et les témoignages ou aveux de sorcières condamnées, racontant avec une étonnante précision le déroulement des Sabbats, sont nombreux. C’est là que la légende se mêle à la réalité historique, mais nous reviendrons sur ces fascinantes chasses aux sorcières dans un prochain article, car il y a beaucoup à dire à ce sujet !

On peut donc imaginer que c’est à cette époque-là qu’est né ce conte populaire de la Barque aux Sorcières de Capbreton, et peut-être aussi toutes les autres histoires de sorcières des Landes…