Je vous avais promis des sorcières, il me semble ! Ce n’est pas le choix qui manque… Les histoires de sorcières sont nombreuses dans le Sud-Ouest, et c’est à Capbreton que se déroule celle-ci :
C’est l’histoire d’un jeune marin de Capbreton, Cadet, qui était bien inquiet de voir qu’à chaque pleine lune, il retrouvait au matin sa barque toute mouillée, comme après une longue virée en mer. Il décida donc de se cacher pour voir ce qui se trafiquait durant ces nuits-là. De loin, il surveillait la barque, et vers minuit il vit sept femmes s’en approcher et s’y installer. Elles parlaient, mais il ne pouvait pas comprendre ce qu’elles disaient. Une fois toutes à bord, la barque se mit à glisser sur le sable et partit en mer à toute vitesse, sans s’inquiéter des vagues ni du courant. Les voyageuses revinrent deux heures après, toutes guillerettes, lui sembla-t-il.
A la lune suivante, de plus en plus curieux, il décida de se cacher au fond de la barque, sous de vieilles voiles, pour faire le voyage avec les sept femmes. Il attendit minuit avec impatience, et lorsqu’elles s’installèrent à leur tour, la barque fila de nouveau sur l’océan. Elle toucha le sable un moment plus tard, et les voyageuses descendirent. Il les suivit discrètement jusqu’à un immense palais avec d’énormes statues de bêtes et de sphinx. Il s’approcha et, de loin, vit un homme rouge au centre d’une ronde où se trouvaient nos sorcières, des loups-garous, des femmes à tête de serpent ou de crapaud, des hommes à tête de chèvre ou de chouette. Tous sautaient, dansaient, s’embrassaient. Il n’osa pas aller trop loin et revint sur ses pas pour se cacher à nouveau. Les sept femmes revinrent encore essoufflées de leurs danses, et reprirent leurs places dans la barque.
Une fois de retour à Capbreton, Cadet réfléchit longuement, et après être allé prier la Vierge de la Mâa dans sa vieille chapelle, il alla trouver le curé de Capbreton pour lui raconter sa mésaventure. Le curé écouta bien, et à la messe le dimanche suivant, il accueillit les fidèles sur le seuil de l’église avec le goupillon, les aspergeant d’eau bénite. Tous rentrèrent ensuite dans l’église, sauf les sept femmes, qui ne pouvaient plus y pénétrer. Et c’est avec effroi que Cadet reconnut sa jeune fiancée parmi les sept.
Du coup, il vendit sa barque et se fit moine, pria la Vierge de la Mâa toute sa vie, et oublia bien vite les sorcières.
(Retrouvez le conte dans son intégralité dans Les contes et légendes des Landes de Jean Peyreblanques)
On retrouve dans ce conte plusieurs composantes importantes du mythe populaire de la sorcière : la nuit, la pleine lune, le transport magique (qui n’est pas toujours un balai volant, même si c’est celui que l’imaginaire collectif a retenu), le Diable, et le Sabbat, cette fête démoniaque durant lesquelles les sorcières vénéraient le Diable, dansaient autour de lui, pactisaient avec lui, ou s’accouplaient avec lui. Ici le Sabbat semble ne se dérouler que pendant les pleines lunes, mais les légendes diffèrent à ce sujet, et certaines disent qu’il se tenait plusieurs fois par semaine, le mercredi et le vendredi. Le mythe de ces fêtes sataniques n’est pas l’apanage du Sud-Ouest et existe à travers toute l’Europe.
La ronde du sabbat – Louis Boulanger
Par ailleurs, si de notre point de vue contemporain ces rassemblements ne sont que des mythes farfelus, à l’époque des grandes chasses aux sorcières de la Renaissance (et non du Moyen-Âge comme on a tendance à le penser), on y croyait dur comme fer. Aux XVIème et XVIIème siècles principalement, tout ceci faisait partie de la réalité du quotidien, et les témoignages ou aveux de sorcières condamnées, racontant avec une étonnante précision le déroulement des Sabbats, sont nombreux. C’est là que la légende se mêle à la réalité historique, mais nous reviendrons sur ces fascinantes chasses aux sorcières dans un prochain article, car il y a beaucoup à dire à ce sujet !
On peut donc imaginer que c’est à cette époque-là qu’est né ce conte populaire de la Barque aux Sorcières de Capbreton, et peut-être aussi toutes les autres histoires de sorcières des Landes…
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