Éloignons-nous un peu de la côte landaise, de ses pins et de l’océan, pour nous enfoncer un peu plus dans les terres, vers les collines de la Chalosse. C’est à Poyaller, dans la commune de Saint-Aubin, que se déroule notre histoire. Je tenais tout particulièrement à la partager avec vous, car c’est la toute première légende que j’ai lue lorsque j’ai commencé mes recherches, et qui m’a tout de suite confortée dans l’idée qu’il y avait dans les Landes de superbes histoires à lire, à entendre et à raconter…
Etat de la Tour de Poyaller, vers 1900
(dessin extrait de la monographie de Mugron -abbé Meyranx -1911)
Il y avait à la fin du XVIème siècle un seigneur cupide qui régnait sur le château de Poyaller et le domaine alentour. Sa cupidité était telle qu’il décida, malgré l’étendue de sa foi et les fermes interdictions de l’Eglise, de pactiser avec le Diable afin d’étendre encore sa fortune. Il offrit à Satan son corps et son âme, et en échange le Diable lui promit que son coffre resterait plein jusqu’à la fin de ses jours. Et il tint parole. Sa fortune prospéra encore et encore, sa famille menait grand train et s’enrichissait toujours plus, les fêtes les plus somptueuses étaient données chaque semaine pour les seigneurs des environs… Mais les années s’écoulaient et malgré l’opulence, le poids de son secret commençait à peser sur la conscience du seigneur, et la culpabilité le rongeait.
Il eut alors vent d’une grande nouvelle, celle des Croisades que l’on menait en Terre Sainte, et pris d’un élan d’espoir, il décida de se joindre au voyage, espérant que la valeur de son épée suffirait à le racheter auprès de Dieu. Il partit donc et se montra intrépide, mais le Diable rôdait toujours… Le seigneur tomba finalement aux mains des ennemis et fut prisonnier.
Les années passaient sans espoir de retour, et à Poyaller son domaine sombrait dans la ruine et la désolation. Son épouse, poussée par la solitude et la tristesse de ne pas voir revenir son seigneur, s’était entourée du plus beau monde et avait organisé fêtes et repas afin de se distraire, dilapidant ainsi les biens du domaine. Sept années avaient passé, et ainsi ruinée et meurtrie par les rumeurs de la mort de son époux, elle décida de se remarier.
C’est alors que le Diable choisit d’intervenir, et il fit son apparition dans la cellule du seigneur de Poyaller, lui apprenant que sa femme allait se remarier, que son domaine était au bord de la ruine, et qu’il était temps pour lui de rentrer. Le seigneur n’était pas dupe, et il savait bien qu’avec le Diable, on n’obtient rien sans compensation. Mais Satan lui promit qu’il ne demanderait rien de plus qu’une part de ce qu’il mangerait au banquet qui célèbrerait son retour. L’accord fut scellé, le Diable prit le seigneur sur son dos et ils partirent à la vitesse du vent en direction de Poyaller. Ils arrivèrent à l’aube des noces de sa femme et de son prétendant, et le Diable se transforma en un chien noir aux yeux flamboyants lorsqu’ils se présentèrent aux portes du domaine. Les serviteurs qui s’affairaient aux préparatifs des noces ne le reconnurent pas, ainsi vêtu de guenilles et amaigri par ses années de captivité, mais il réussit à les convaincre de l’amener auprès de la maîtresse des lieux. Elle déclara ne pas reconnaître son mari disparu, mais il savait comment prouver sa véritable identité ; il porta ses doigts à sa bouche et poussa un long sifflement. Aussitôt, son vieux chien sortit du château en courant et se mit à bondir autour de lui, tout heureux de retrouver son maître. Celui-ci siffla deux fois, et c’est son cheval que l’on entendit pousser un terrible hennissement tandis qu’il s’échappait des écuries pour venir poser sa lourde tête sur l’épaule du seigneur. Alors son épouse reconnut son erreur, et saisie d’émotion, se jeta dans les bras de son mari. On décida d’envoyer au fiancé qui se languissait à l’église de Saint-Aubin une poignée de noix, ce qui était la coutume à l’époque pour éconduire un prétendant.
On offrit bien évidemment un somptueux banquet pour célébrer le retour du seigneur, mais celui-ci déclara qu’il ne mangerait rien d’autre que des noix. Et tandis que le chien noir aux yeux flamboyants l’observait avec attention, le seigneur cassa tranquillement les cerneaux, mangea les noix avec plaisir, et se contenta de balancer avec dédain les coquilles vides à la tête du chien. Celui-ci émit un grognement furieux et, d’un bond, il sauta à travers les parois de la tour, laissant derrière lui un trou béant. Le seigneur raconta alors sa mésaventure à la foule effrayée et expliqua que s’il avait donné du pain au Diable, il y aurait eu pénurie de blé dans la région ; s’il lui avait donné du vin, il n’y aurait plus eu de vignes ; s’il avait mangé des cailles dodues ou du chevreuil qu’on lui proposait, le gibier aurait disparu. Il s’était donc contenté de noix, estimant que si les magnifiques noyers du jardin ne donnaient plus de fruits, ce n’était pas un trop grand prix à payer. Furieux et honteux d’avoir été ainsi dupé, le Diable ne revint jamais à Poyaller.
Cette légende du seigneur de Poyaller est peut-être l’une des plus connues des Landes, je l’ai rencontrée à trois reprises lors de mes recherches, et je serai curieuse de savoir si les habitants de Saint-Aubin la connaissent…
Le château de Poyaller avait depuis bien longtemps la réputation d’être un lieu maudit. Quelques générations de seigneurs qui vécurent là se marièrent plusieurs fois et n’arrivaient pas à concevoir d’enfants, ce qui troubla les lignes de succession du domaine. A cette époque où la sorcellerie était considérée comme une pratique courante dans tous les villages, il n’en fallait pas plus pour que l’on estime que cette famille avait subi une malédiction, lancée par une sorcière qui leur aurait « noué l’aiguillette ».
Bernard de Bénac, le seigneur qui apparaît dans cette histoire, hérita du domaine en 1578 et fit naître cette légende… Et la malédiction ne s’arrêta pas avec lui, puisque plusieurs évènements vinrent appuyer cette croyance dans les siècles suivants : de nombreux troubles et malheurs concernant les serviteurs de l’Eglise au XVIIème siècle firent penser que les sorcières étaient toujours à l’œuvre dans le village ; par deux fois au XIXème siècle, l’ouragan et la foudre vinrent détruire les édifices religieux ; et deux fois encore au début du XXème siècle ; enfin, ce lieu a été le théâtre lors de la Seconde Guerre Mondiale de l’arrestation et l’exécution de plusieurs résistants français… La succession d’évènements malheureux, couplée à cette légende diabolique du seigneur de Poyaller, est venue nourrir l’imaginaire collectif qui continue de penser que ce lieu est maudit. Alors, est-ce l’œuvre d’une sorcière, du Diable, d’une malédiction… Ou seulement de beaucoup de malchance ? C’est à vous d’en juger !
belle narration. ces lieux , à défauts des faits , sont évoqués dans le beau livre » La Roste en Chalosse » d’André Sourigues……j’ai passé deux étés ‘ en 1957 et 1958 dans la ferme » Pelin » à Saint Aubin…..j’étais pré-adolescent….ce furent des vacances rudes mais j’ai encore à 72 ans toutes ces images en tète….j’y suis retourné plusieurs fois….ma famille d’accyueil a , hélas , disparu . Patrice Féton
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