Le Roi Artus (et autres histoires de chasseurs)

Avec l’automne arrive la saison de la chasse, et dans les Landes, que l’on aime cette pratique ou non, qu’on la soutienne ou la critique, il s’agit bien sûr d’une tradition de longue date, une coutume bien ancrée qui rassemble aujourd’hui encore de nombreux adeptes.

La chasse, les chasseurs et leurs proies s’invitent alors parfois, vous vous en doutez, dans les contes landais, et c’est de cela que nous allons parler aujourd’hui.

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L’histoire de chasseur la plus connue est sans conteste celle du Roi Artus, un personnage de légende bien connu dans les Landes. Il s’agissait d’un roi au courage émérite, mais dont le seul défaut, aux yeux des landais, était sa passion démesurée pour la chasse. Il chassait si souvent qu’un jour, il eut même l’audace de préférer la chasse à son devoir religieux, et Dieu le punit et le maudit pour cela.

Voici ce que nous dit le Dr Jean Peyresblanques sur ce roi légendaire :

Artus était un roi passionné de chasse. Il ne vivait que pour la chasse et était toujours armé de pied en cap, où qu’il aille, suivi de ses valets et de ses chiens. On l’appelait le roi chasseur, ou le roi noir (lou rey neugue), car il était toujours sanglé dans un costume noir.
Un jour de Pâques, il assistait à la messe avec ses gens. Sa meute était restée à la porte de l’église. Soudain, au moment de la consécration, il entendit aboyer, puis le chœur des chiens enfla dans l’église à la porte ouverte. Les aboiements résonnèrent, formidables. D’un bond, le roi Artus se précipita vers la sortie pour aller débouter le sanglier. Le prêtre, surpris, s’était retourné et voyant partir le roi, il s’écria :
« Chasse, chasse, roi impie, que seul le jugement dernier te délivre ! »
Un grand vent s’éleva et un tourbillon emporta dans les airs le roi et toute sa suite, valets, piqueurs, chevaux, chiens, qui partirent à grand-trompes, dans une galopade insensée. Depuis, le roi Artus chasse sans trêve ni repos. Dans les longues nuits d’hiver, il vous est arrivé d’entendre de lugubres et lointains sons de trompe, dans le gémissement d’un vent au rythme du galop. C’était lui. Les vieux vous diront qu’on l’a vu parfois, tout noir sur son cheval maigre, en tête, avec son épieu et ses cheveux hirsutes. Hagard, il cherche à atteindre la proie que ses chiens efflanqués et féroces ont levée. Aussi acharnés que lui, ses valets le suivent à grands coups de trompe. Mais pas un cri, pas un aboiement, seuls la trompe et ce bruit de galop effréné. Tous les sept ans, il lève une mouche, la « mouche du désir », disaient les anciens ; il la force, il la force, et au moment où il va l’atteindre, un de ses chiens la gobe. Ainsi, jusqu’à la fin des temps.

Cette chasse éternelle d’Artus est la plus connue, mais ce roi n’est pas le seul à courir les airs jusqu’à la fin de temps en quête d’une proie inatteignable :

Presque tous les paysans, du Médoc, des Landes, du Comminges, assurent qu’ils ont souvent entendu dans l’air, soit en plein jour, soit pendant les belles nuits de l’été, le jappement d’une meute de chiens, le son du cor, et les cris d’une nombreuse troupe : ce sont, disent-ils, des génies, des rois, des guerriers qui aimaient la chasse et se livrent encore à cet exercice.

Alexandre du Mège, Statistique générale des départements pyrénéens ou des provinces de guienne et de Languedoc, cité dans Les Mystères des Landes de Pierre Chavot, p46.

Cette croyance selon laquelle les airs seraient hantés par d’anciens illustres chasseurs semble donc très répandue, et l’histoire du roi Artus n’est probablement qu’une variante de cette légende parmi d’autres.

Dans le Marensin, d’ailleurs, ce n’est pas Artus, mais un autre chasseur du nom d’Estournac, qui subit le même sort ; il fut puni par Dieu pour avoir poursuivi un lièvre le jour de Pâques, et depuis lors, ce sont seulement ses chiens que l’on aperçoit chaque année au même jour, criant et jappant, comme une apparition de mauvaise augure.

Le lièvre, tant qu’on parle de lui, est par ailleurs au centre d’une autre histoire de chasse aux tons fantastiques, rapportée par l’Abbé Foix, puis par Pierre Chavot dans ses Mystères des Landes. C’est une histoire qui se déroule à Mont-de-Marsan :

Des chasseurs repèrent dans une haie, un trou au-dessus d’un pommier, par où les lièvres se faufilent pour se régaler dans le champ. Par un beau clair de lune, l’un d’eux se poste dans l’arbre. A minuit pile, une hase splendide apparaît, avançant d’un pas lourd et cadencé, comme si elle portait une chaîne, et produisant un bruit inquiétant. Le chasseur se signe aussitôt et s’en remet à Dieu. L’animal approche, s’assoit sous le pommier, tranquillement, et lui demande :
« Tu n’as pas vu l’autre ? »
Se moquant de savoir qui est cet autre, le chasseur saute de son perchoir et court à perdre haleine chez une voisine pour lui raconter son aventure.
« Oh ! Je vois ce que c’est, dit-elle aussitôt. Cette hase a pris l’âme de la sorcière qui est morte il y a deux mois, vous savez, cette vieille maritorne qui ensorcelait tous les animaux. dieu n’a pas voulu de cette âme vilaine, il l’a remise dans le corps d’un lièvre femelle, et ce lièvre traînera des fers tant que l’âme y sera emprisonnée.
– Et alors, que faire ?
– Demander des prières, ce qui n’est pas difficile ; les obtenir, ce qui l’est davantage ; mais si on les obtient, la délivrance est immanquable, et le lièvre ne le sera plus. »

Ainsi, étant pratiquée depuis des lustres, la chasse possède, elle aussi, son lot de contes, de légendes fantastiques et de superstitions. Dans ces histoires, d’ailleurs, on croise des éléments qui se sont révélés récurrents dans les contes landais, notamment la fonction « magique » d’un prêtre, dont les seules paroles suffisent à maudire un homme dans la version du Roi Artus du Dr Peyresblanques, mais également les sorcières et leurs « âmes vilaines » rejetées par Dieu.

Finalement, c’est donc encore la religion qui s’invite partout… Même dans les histoires de chasseurs ! 😉

Les Lagunes de Nabias

Un peu au-dessus de la ville de Roquefort, dans la petite commune d’Arue, se trouve un site naturel qui porte le joli nom de Lagunes de Nabias. Ces étendues d’eau, entourées aujourd’hui de la forêt de pins, se trouvent là depuis des milliers d’années, puisqu’elles se sont formées lors des fontes de la dernière période glaciaire. Mais comme souvent, ce lieu représentait une énigme pour les populations locales, et une légende ne tarda pas à voir le jour, afin de fournir une explication à leur présence au milieu de la lande.

Cette légende, bien connue des locaux, est lisible dans sa version la plus courte sur le panneau placé à l’entrée du site, mais l’autrice landaise Georgette Laporte-Castède nous en offre une version plus étoffée dans son recueil Contes Populaires des Petites Landes.

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Voici ce qu’elle nous raconte :

« Autrefois, il y avait là une métairie, avec un logis, une « borde », et un fournil. Cette métairie s’appelait Nabias ; et à Nabias, vivait une famille composée de deux couples : le Maître et la Maîtresse, âgés tous deux de près de cinquante ans, et aussi leur fille et leur gendre, mariés depuis bientôt six ans, et qui n’avaient point d’enfants encore. Ils n’étaient pas nombreux, aussi vivaient-ils assez facilement.« 

Ce jour-là, le père et la fille étaient partis ensemble à la foire, le gendre s’occupait de faire brouter les brebis plus loin dans la lande, et alors la Maîtresse se retrouva seule dans la maison.
En milieu d’après-midi, elle aperçoit un homme, qui ressemble à un mendiant, s’avancer vers sa demeure.

 » – Tiens, qui est cet homme qui vient ici, à travers le champ ? Un voisin, peut-être ? Bah, on ne dirait pas ! Ah, je parierais que c’est encore un chemineau ! Si ce n’est pas malheureux ! Ici, il nous vient des ces fainéants, crevés de faim … Tiens ! Trois ou quatre par semaine. Et ils mendient… Et ils mendient ! Il leur faut de l’eau, il leur faut du pain, et aussi parfois un abri pour la nuit !« 

La Maîtresse de Nabias n’est pas du tout généreuse, et méprise ces personnes qui viennent la déranger dans sa maison. Les poings sur les hanches et le regard noir, elle reçoit notre voyageur avec défiance et lui refuse tout ce qu’il lui demande.

 » – Donnez-moi…
– Quoi encore ?
– Un morceau de pain ! Rien qu’un morceau !
– Du pain dur ? Dans l’armoire il n’en reste plus du tout, du tout… Même pas une miette ! Je vous le jure !
– Mais Maitresse, le four est plein de pains ! Ils sont cuits, c’est sûr…. et réussis !
– Comment savez-vous cela, vous ?
– Eh, tiens… Il sentent si bon ! Je n’ai rien mangé aujourd’hui. Je ne veux ni un pain ni une galette…
– Eh bien, quoi alors ?
– Seulement un morceau, un petit morceau…
– Ah non ! Vous n’en aurez pas une tartine, ni même une bouchée ! Rien !« 

Et après lui avoir ordonné de décamper une dernière fois, la femme saisit la pelle de bois et se met à le menacer. L’homme alors fait demi-tour et s’enfuit à toutes jambes.

De son côté, le gendre surveille le troupeau et aperçoit à son tour l’homme qui se dirige vers lui. D’abord étonné, il s’adoucit lorsqu’il comprend que l’étranger meurt de faim et ne demande qu’un quignon de pain. Malheureusement, il ne lui reste au fond de ses poches que quelques croûtons de pain dur, et il se trouve bien embêté de n’avoir que cela à lui offrir. Le mendiant les accepte tout de même et le remercie de sa serviabilité. Puis il lui demande s’il habite par ici. Lorsqu’il comprend qu’il loge à Nabias également, il lui dit :

 » – Mais… Vous ne pouvez pas rentrer chez vous avant la trombe d’eau ! Avez-vous vu le ciel là-bas, vers l’Ouest ?
– Eh oui, il se couvre ! Et comme ces nuages sont vilains ! Et comme ils avancent vite vers nous ! Et la tempête ne va pas tarder.
– Nous allons avoir du mauvais temps, beaucoup de mauvais temps, c’est certain ! Il faut, vite, vous mettre à l’abri !
– Et où, Mon Dieu ? Il n’y a pas de parc à montons ici ! Oh… Et qu’allons-nous devenir, les brebis, le bélier, le chien et moi ?
– Vous voyez ? Maintenant des éclairs et le tonnerre ! Il va pleuvoir à verse sous peu !
– Ah, bonne Sainte Vierge ! Que faut-il donc que je fasse ? Si je rentre chez nous avec les bêtes mouillées… eh bien, que va me dire…
 – Qui te fait peur ainsi ? Ta femme ?
– Oh non, pas elle, non ! Mais sa mère ! Ah elle n’est point commode, je vous l’assure, et la méchanceté la ronge.
– Ecoute-moi. Tu vois là-bas, ce fourré ? Au beau milieu se trouve un jeune chêne. Va-t-en vite t’abriter là dessous.« 

Le berger croit d’abord à une plaisanterie, ne comprenant pas comment cet arbre minuscule pourrait bien les protéger, lui et toutes ses bêtes, de la terrible averse. Mais le mendiant insiste et le presse, aussi décide-t-il de l’écouter. Et alors qu’il s’approche de l’arbre, celui-ci se met à grandir, grandir, et grandir encore, jusqu’à ce que ses branches et ses feuilles soient assez larges pour former un toit au-dessus de tout ce petit monde. Le berger et son troupeau sont bien à l’abri, tandis que l’eau se déverse à torrent et semble tout recouvrir. Le mendiant quant à lui, a disparu.
Au bout d’une heure, la tempête se calme, et une fois la terre asséchée, notre berger se remet en route vers Nabias. Mais à sa grande stupéfaction, la maison n’est plus là, la borde non plus, le fournil encore moins. A la place, trois lagunes ! La plus petite à la place du four, la deuxième là où se trouvait le parc à moutons, et la dernière, la plus grande, a remplacé le logis.

 » Et la Maîtresse, qu’est-elle devenue ? Ne se serait-elle point noyée ? Mais au fait, ce chemineau qui était-ce ? Etait-il… Le Bon Dieu, le Diable, ou quelque sorcier ? Cela, personne ne l’a jamais su. Mais l’histoire, il en reste encore quelques-uns (des vieux) qui la connaissent. Il en reste quelques-uns, c’est sûr mais bien peu. Et dans quelques années, qui s’en souviendra ?« 

Que Mme Laporte-Castède se rassure, la relève est assurée, et l’histoire ne sera pas oubliée 🙂 Je vous invite par ailleurs à découvrir ce conte dans son intégralité dans son recueil, qui a le mérite de présenter les contes en français et en gascons (oui, avec un « s », car ils sont retranscris en trois patois différents à chaque fois !).

Je note qu’il est fait mention, dans cette version du conte, de trois lagunes, or aujourd’hui il n’y en a que deux… La troisième se serait-elle finalement asséchée ? Je n’ai trouvée nulle part ailleurs mention de cette troisième lagune… Si quelqu’un a une quelconque information à ce sujet, qu’il n’hésite pas à nous la faire partager !

Je suis allée me promener il y a une quinzaine de jours aux Lagunes de Nabias. Je crains malheureusement de ne pas avoir choisi la bonne époque de l’année… En cette fin d’été qui a été très sec, le niveau de la plus grande lagune était bien bas, et la deuxième, quant à elle, n’avait plus aucune goutte d’eau. Mais il n’en reste pas moins que c’est un site très agréable, magnifiquement préservé (malgré les bruits de la circulation sur l’autoroute A65 qui passe tout près..), où l’on peut profiter d’une jolie randonnée, longue de 4kms, le long du sentier botanique inauguré il y a quelques années.

Je vous invite sans réserve à aller découvrir ces lagunes, sa faune et sa flore rares, ce lieu naturel fragile qu’il est important de protéger…

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La Grotte aux Fées

Tout au Sud du département des Landes, non loin de la ville de Peyrehorade, se trouve un petit village nommé Saint-Cricq-du-Gave. Si ce village a connu une certaine renommée au Moyen-Âge, se trouvant sur la voie romaine reliant Dax à Saint-Palais, il est aujourd’hui également réputé pour posséder l’une des grottes les plus longues du département. Cette grotte est mystérieusement appelée la Grotte aux Fées.

On ne peut que se douter qu’avec un tel nom, une jolie légende est rattachée à ce lieu énigmatique. Dans son livre Landes secrètes, croquis sur le vif, l’auteur Gilles Kerloc’h nous narre l’histoire de ces petites créatures qui vivent dans les grottes et filent des brins d’or :

Il y a de nombreuses années, s’élevait une belle maison, certes isolée des fermes voisines, mais judicieusement placée à côté d’un cours d’eau d’une grande pureté, traversant une grotte. Cette maison dite « de Soulenx », du nom des propriétaires, symbolisait leur richesse. Il circulait une rumeur persistante dans les fermes avoisinantes : la famille aurait conclu un pacte avec les fées résidant dans la grotte qui permettait à ces dernières de filer leurs brins d’or l’hiver, auprès du foyer de la maison. En échange, des chutes du fil doré étaient données régulièrement aux propriétaires.
La fille Soulenx se maria avec un bourgeois riche mais cupide, qui prit connaissance de la source de leurs revenus. Il en vint à demander aux fées de laisser chaque fois un peu plus de fils d’or, et encore plus et toujours plus. Ces dernières se fâchèrent et lancèrent un terrible sortilège avant de s’enfuir à jamais dans les profondeurs de leur abri : la maison tomberait en ruines et emmènerait ses résidents dans sa déchéance. Les Soulenx moururent et la maison, qui n’eut plus jamais de nouveaux occupants, s’effondra.

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Dans l’imaginaire landais, les fées sont des créatures complexes aux multiples facettes, tantôt bienveillantes, tantôt malfaisantes. On les dépeint parfois comme de petites créatures semblables à des lutins qui n’auraient de cesse de jouer des tours et des farces aux humains, parfois comme de magnifiques femmes aux longs cheveux qui se coiffent ou se lavent au bord des fontaines, qui sont légion dans le département.
Mais souvent, comme dans ce conte, les fées sont des êtres qui peuplent les grottes et qui filent le lin. Nous avions déjà rencontré ces fées-là dans les légendes Les pierres de la fée avec la pierre de Montpeyroux. Rappelez-vous, cette pierre est aussi appelée « la peyre de la Hade », ou la pierre de la fée, car l’on raconte qu’elles venaient filer le lin sur de grosses pierres comme celles-ci en guise de quenouilles.

On dit également que certaines de ces fées aident les filandières, en transformant en un instant en fil le lin le plus fin, à condition de le déposer à l’entrée de leur caverne.

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Mais si elle n’hésitent pas à venir en aide aux hommes et aux femmes qui leur en font la demande, les fées sont aussi des êtres puissants qu’il convient de ne pas offenser ! C’est le cas dans notre histoire, mais c’est aussi ce que l’on dit des fées de Saint-Etienne-d’Orthe, un autre village du canton de Peyrehorade.

Une commune d’eau, dotée de puits, de lavoirs et de fontaines, dont celle de Saint-Jean à la limite avec Pey.  Réputée et fréquentée pour ses eaux miraculeuses, elle se trouvait (parce qu’elle n’existe plus) dans le bois de Leus Peyrères, habité par des hades aux pieds de chèvre, qui aidaient le soir les femmes à filer. Vénérées dans cette région, elles pouvaient aussi se fâcher, car susceptibles ! Si la fontaine a disparu, elles sont peut-être encore là…
Les Mystères des Landes, Pierre CHAVOT, chap. Landes insolites, p189.

Aussi, la prochaine fois que vous vous promènerez près d’une grotte ou d’un cours d’eau, ayez une pensée pour ces petites fées qui gardent précieusement nos Landes… Mais gare à vous si vous les vexez, elles sauront vous le faire payer !

Les Sirènes

Nous l’avons déjà évoqué, les différents éléments naturels, et l’eau en particulier, avaient une grande importance dans la vie quotidienne des landais. Et l’océan, qui borde le territoire, rythmait l’existence d’une bonne partie de la population qui, sur le littoral, comptait un grand nombre de marins et de pêcheurs.

Il est une figure mythologique fort connue qui accompagna la vie de bien des peuples maritimes à travers le monde ; celle de la Sirène. Et les Landes n’y ont pas échappé.

Les marins landais entretenaient cette croyance populaire selon laquelle les sirènes, des êtres malfaisants et cruels, peut-être immortels, vivaient dans les profondeurs de l’océan. Est-il bien utile de vous rapporter la description de ces créatures fantastiques ? Depuis la mythologie grecque, les nombreuses légendes européennes, jusqu’au fameux conte de Hans Christian Andersen en 1837 et à l’adaptation de Disney plus de 150 ans après, cet être des eaux au corps de femme et à la queue de poisson a conquis l’imaginaire collectif et est devenu une créature fantastique incontournable.

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Des ouvrages entiers pourraient être écrits sur les origines de ce mythe et sa complexité, mais contentons-nous de voir ce que l’on en disait dans nos Landes.

Jean-François Bladé, célèbre historien et collecteur de traditions orales de la Gascogne, a livré une description détaillée de l’état de cette croyance dans les Landes au XIXème siècle :

Il y a des sirènes dans la mer. Il y en a aussi dans les rivières… Les sirènes ont des cheveux fins et longs comme la soie et elles se peignent avec des peignes d’or. De la tête à la ceinture, elles ressemblent à de belles jeunes filles de dix-huit ans. Les reste du corps est pareil au ventre et à la queue des poissons. Ces bêtes ont un langage à part pour s’expliquer entre elles. Si elles ont affaire à des chrétiens, elles parlent patois ou français.

On dit que les sirènes vivront jusqu’au jugement dernier. Certains croient que ces créatures n’ont pas d’âme. Mais beaucoup pensent qu’elles ont dans le corps des âmes des gens noyés en état de péché mortel…

Pendant le jour, les sirènes sont condamnées à vivre sous l’eau. On n’a jamais pu savoir ce qu’elles y font. La nuit, elles remontent par troupeaux et folâtrent en nageant au clair de la lune jusqu’au premier coup de l’Angélus du matin. Il arrive parfois qu’elles se battent. Alors elles s’égratignent et se mordent pour se sucer le sang. Au premier coup de l’Angélus, elles sont forcées de rentrer sous l’eau.

Force mariniers, en voyageant sur la mer, ont vu des troupeaux de sirènes nager autour des navires. Elles chantaient tout en nageant, des chansons si belles, si belles que vous n’avez jamais entendu, ni n’entendrez jamais les pareilles. Par bonheur, les patrons des navires et des barques se méfient et savent ce qu’il faut penser de ces chanteuses. Ils empoignent une barre et tombent à grand tour de bras sur les jeunes mariniers qui sont prêts à plonger pour aller trouver les sirènes. Mais les patrons ne peuvent pas toujours avoir l’œil partout, alors les sirènes tombent sur les plongeurs. Elles leur sucent la cervelle et le sang et leur mangent le foie, le cœur et les intestins. Les corps des pauvres noyés deviennent autant de sirènes au jugement dernier.

Les sirènes étaient donc très redoutées et représentaient un grand danger pour les marins. Cette réputation d’être maléfique et fourbe a traversé les siècles, mais a été mise à mal par le conte d’Andersen et sa Petite Sirène pure et innocente, qui a rencontré un tel succès qu’elle est aujourd’hui pour beaucoup la première représentation qui vient à l’esprit lorsque l’on évoque les sirènes. Du moins, c’est mon cas, puisqu’il s’agit de mon conte préféré…

Mais peut-être ne suis-je pas la seule ? En effet, l’auteur Charles Daney, dans son recueil Les contes des Landes, de la mer et du vent, publié en 2003, nous livre un personnage de sirène bien plus doux, très éloigné de la tentatrice à la voix envoûtante que l’on décrivait autrefois. Pour aller à la rencontre de cette sirène, il faut s’éloigner légèrement des limites du département actuel des Landes, et se rendre du côté du Bassin d’Arcachon.

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Charles Daney raconte que vit là la petite sirène verte du Bassin. Elle serait sortie à la surface une fois, lors d’une nuit sans lune, et aurait émerveillé de sa beauté les marins qui se trouvaient là, à tel point que les jours suivants, on ne parlait plus que de ça. Alors des étrangers sont venus de toute part, et ont ri haut et fort des croyances des habitants du Bassin, ce qui a bien attristé la petite sirène, qui a choisi alors de ne plus se montrer.

Depuis, elle se contente de protéger le Bassin, de dorloter les huîtres, de renseigner des poissons lorsqu’ils s’égarent aux croisements des chenaux qui ne sont balisés qu’en surface, de raconter de belles histoires qui font s’éclater les anémones et mourir de rire les holothuries.

Les enfants l’aperçoivent encore quelquefois, au soir tombant, quand il fait beau et qu’ils s’assoient sous les pins de Péreire, après que le soleil ait rosi les eaux argentées du bassin. Vous aussi, à condition de regarder de toute votre âme, et si vous l’avez mérité, vous pouvez apercevoir le clair rayon vert de ses yeux et la longue ondulation de jade de ses cheveux.

Retrouvez le conte de Charles Daney en intégralité dans son recueil Les contes des landes, de la mer et du vent.

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Ainsi les terribles créatures des abysses ont évolué dans l’imaginaire de certains pour devenir des êtres doux et sensibles, protecteurs des eaux, n’attendant que d’être aimés des humains…

Et vous, quelle version des fameuses sirènes préférez-vous ? 🙂

La légende de l’Étang Noir

La légende que je vais partager avec vous aujourd’hui m’est particulièrement chère, car c’est la première légende landaise que j’ai entendue de ma vie, alors que je n’avais que 9 ans. C’est à l’école que je l’ai apprise, lors d’un séjour scolaire à Seignosse, à la Réserve Naturelle de l’Étang Noir. Je garde de ce séjour, de ce lieu et de cette histoire, un souvenir très particulier, et je sais que c’est à cet âge-là que mon goût pour les contes et légendes s’est développé…

A Seignosse, le grand Étang Blanc et l’Étang Noir, plus modeste, se font face. Avec des noms pareils, il aurait été bien étonnant de ne pas trouver de légende merveilleuse donnant une explication à leur existence ainsi qu’à leurs noms !
Et voici ce qu’elle raconte :

Il y a fort longtemps, s’élevait sur les berges de l’Étang Blanc un château majestueux où vivait le baron de Seignosse, Eric. Comme de nombreux autre hommes de son rang, il décida de partir en Croisade en Terre-Sainte et resta absent plusieurs années.

Un beau jour, les habitants de Seignosse virent de nouveau flotter sur le donjon les armes de leur Seigneur, et comprirent que celui-ci était rentré. Mais tous s’étonnèrent de la discrétion de son retour, et plus encore lorsque, les jours passant, on s’aperçut qu’on ne le voyait jamais sortir de son château. On s’inquiéta d’un possible échec de sa mission divine et de l’humeur ombrageuse du baron, mais alors que le temps passait, des rumeurs commençèrent à circuler et les villageois soupçonnaient que leur Seigneur ne soit devenu démon. On disait qu’il était rentré de nuit, seul, et plus inquiétant encore que le pieux seigneur ne s’était pas rendu aux offices religieux depuis son retour. De plus, l’on apercevait régulièrement, dans les hautes fenêtres de la tour Nord, danser des lueurs inquiétantes et étranges comme si entre ces murs le baron se livrait à des expériences alchimiques. Les villageois parlaient à présent de sorcellerie, et renommèrent cette tour la Tour du Diable. On tremblait à l’idée que cette magie diabolique ne s’échappe des murs du château pour venir détruire leur existence.

Dans le secret de ses forges, le baron s’appliquait donc à l’alchimie, la transcendance des métaux, afin d’élaborer une pierre philosophale qui lui permettrait de transformer les simples métaux en or, et de lui offrir la jeunesse éternelle. Il avait obtenu ce savoir en vendant son âme au démon, et Eric ne craignait plus ni les hommes, ni Dieu, ni la mort. Il contrôlait les esprits anciens de la Nature et les quatre éléments, ainsi que les vertus du règne animal dans le but de devenir lui-même le plus redoutable des prédateurs.
Lorsque minuit venait, il sortait explorer la campagne, à l’insu de tous, se déplaçant comme une ombre parmi les ombres. Il se frottait le visage de sang de chauve-souris afin d’adapter sa vision à l’obscurité la plus totale, et dépeçait loups, serpents, lièvres et boucs pour s’en faire des talismans. Dans sa canne de sorcier, il avait glissé les yeux d’un jeune loup, la langue et le cœur d’un chien, et ce bâton de marche le préservait des brigands, des animaux féroces et des bêtes venimeuses. Ainsi le sorcier Eric courait la lande, rapide et infatigable, comme un chasseur.

Un jour, il déposa un drap à la croisée des chemins, et à la pointe du jour, ce drap s’était transformé en peau de loup. C’était la pèth : une peau que beaucoup voyaient comme une malédiction, mais que lui percevait comme un don. Le malheureux qui marchait par inadvertance sur cette peau l’endossait, sans l’avoir souhaité, et se retrouvait condamné chaque nuit à une terrible métamorphose ; dès le crépuscule, il se changeait en loup-garou et parcourait la nuit avec de terribles envies meurtrières. Au matin, il se réveilleait les mains tâchées de sang. Mais le baron, lui, se complaisait dans cette ivresse animale. Chaque nuit il se transformait en loup féroce, et les habitants de Seignosse couraient se réfugier dans leurs modestes demeures, sachant que le matin révélerait les horreurs de la nuit passée.

C’est dans ce climat infernal qu’un beau jour, un visiteur arriva au village, une coquille Saint-Jacques accrochée à sa besace, tout maigrelet. Ce n’était pas la première fois qu’un pèlerin passait par le village, mais celui-ci avait les vêtements déchirés et maculés de sang, comme si des chiens l’avaient attaqué. Personne n’osa lui demander quelle mauvaise rencontre il avait faite la nuit précédente, et par quel miracle il en avait réchappé. Les villageois pansèrent ses plaies en silence. Puis, quand la journée se fut écoulée, l’étranger, les yeux remplis de colère, s’adressa aux hommes qui rentraient au village :

« Malheur à vous qui acceptez d’être gouvernés par le Diable ; Dieu placera dans sa balance ce qui revient à Dieu et ce qui revient aux Enfers, alors sa colère terrible s’abattra sur vos terres ; priez donc votre Dieu et qu’il vous pardonne ou ne vous pardonne pas. »

Puis il s’enfonça dans la nuit noire, laissant la peur envahir l’âme des villageois, qui se mirent à prier leur Dieu. Alors un orage terrible se déversa sur Seignosse, des éclairs déchiraient le ciel, et au milieu du vacarme assourdissant du tonnerre, on entendait au loin la cloche de la chapelle du château, qui sonnait comme un appel à l’aide.
À la pointe du jour, l’orage s’apaisa, et les habitants de Seignosse gagnèrent la forteresse dont ils étaient autrefois si fiers. Ce qui était n’était plus, et à la place du château s’étendait à perte de vue une grande étendue d’eau que les anciens baptisèrent l’Étang Noir, pour ne pas oublier qu’ici avait habité le Mal.
Dieu était descendu parmi les hommes sous les traits d’un humble pèlerin : la première nuit il avait affronté le sorcier-loup qui hantait les campagnes ; à la deuxième nuit, il noya le seigneur avec son château et ses biens, pour que l’eau du Déluge purifie la terre souillée.

On dit à présent de l’homme qui marche sur les bords de l’étang, s’il entend sonner la cloche du château à travers les âges, qu’il mourra dans l’année.

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Il est intéressant de voir que dans cette histoire, la figure du sorcier se confond avec celle du loup-garou. Ce n’est en effet pas chose rare, car il fut un temps où l’on croyait au loup-garou avec autant de vigueur qu’aux sorciers et sorcières.
Le loup terrifia longtemps la population, comme je l’ai déjà évoqué dans La trêve de Noël des loups de la Lande, et dans l’imaginaire collectif c’était un animal diabolique, participant aux Sabbats, servant même parfois de moyen de transport aux sorcières. Le loup-garou était lui aussi traqué, arrêté, torturé et condamné.

Dans un village proche à la même époque, à Bascons, un paroissien confiait à l’abbé Foix, qui enquêtait alors sur les superstitions landaises : « Actuellement, nous sommes bien fournis, nous comptons 33 sorcières et 27 loups-garous ! »
L’ensorcellement des Landes, Eric Lafargue

De la même façon que pour les sorcières, on cherchait des moyens d’identifier les loups-garous, car de jour, le monstre pouvait être n’importe qui : un membre de la famille, un ami, un voisin… Chacun se soupçonnait et se montrait du doigt. On craignait d’autant plus les attaques car, en dehors d’une mort possible, on redoutait également de se retrouver soi-même changé en bête. En effet, si on était vaincu par le loup-garou, la peau de bête changeait de propriétaire et c’est la victime qui endossait la peau, chaque nuit, pendant 7 ans, avant qu’elle ne retourne à son véritable maître.

Mais on dit qu’il existe un moyen, assez simple en réalité, de défier un loup-garou :

On raconte que si le passant pris en embuscade trouve en lui la force de vaincre sa peur, et qu’il provoque le loup-garou en lui jetant cette phrase – Tiro-t’ la besto (enlève donc la peau) – alors, le loup-garou dépose la peau et c’est un combat loyal entre deux hommes qui s’engage. Si l’on parvenait à blesser l’homme loup et que le sang coulât, cet homme était libéré de la peau et de ses pouvoirs.
L’ensorcellement des Landes, Eric Lafargue

Cette croyance en les hommes-loups persista également à travers les siècles, et l’on trouve dans les Landes des histoires de loups-garous jusqu’à l’aube du XXème siècle…

Et si vous ne connaissez pas encore cette magnifique Réserve Naturelle, je ne peux que vous encourager à aller vous y promener ! Tout les infos par ici !

La Fontaine Chaude de Dax

Dax est une ville réputée dans la France entière pour ses cures thermales, et chaque année de nombreux curistes accourent pour profiter des bienfaits de son eau.

Au coeur de la ville se dresse l’imposante Fontaine Chaude, symbole de la ville bien connu des Landais. Elle est aussi appelée Source de la Nèhe, en référence à une divinité celte des eaux, une déesse protectrice tutélaire de la cité.
La fontaine actuelle a été construite au XIXème siècle sous Louis XVIII, et entoure le bassin d’eau chaude, à l’emplacement supposé et des anciens thermes romains.

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Et puisque nous parlons des romains, une légende tenace nous raconte que c’est à eux, et plus précisément à l’un de leurs chiens, que nous devons la découverte de cette source et de ses bienfaits.

Voici comment le Dr Jean Peyresblanques nous a rapporté cette histoire :

« Les soldats de César étaient là. Les Tarbelles étaient revenus dans leur ville si humide que les Romains, par dérision, l’appellaient Aqua Tarbellica.  Ils y avaient installé une garnison dont le chien d’un centurion était la mascotte. C’était un de ces braves chiens gaulois, ni très grand ni très gros, au poil hirsute et à l’œil brillant d’intelligence, de qui descendent nos bons chiens de berger. Il était assez âgé et perclus de rhumatisme, passant son temps à chauffer au soleil de l’été ses membres raides.

Une révolte éclata soudain dans les sauvages montagnes ibériques, et deux centuries durent partir. Notre centurion était de ceux-là et, navré de voir son chien abandonné, infirme, il résolut, la mort dans l’âme, de la noyer dans l’Adour. Puis il partit.

L’hiver passé en rude campagne, la légion aux rangs éclaircis revint dans sa région, Tarbelle, bien lasse et décimée. Notre centurion y était toujours, passé même commandant de la colonne. Approchant de leur camp, les soldats pressaient leurs pas pesants, joyeux malgré leur fatigue. Lui, songeait à son chien, pensant qu’avec son flair ils auraient pu éviter bien des déboires. Soudain, un aboiement retentit à l’entrée du camp, une boule noire bondit vers lui et, avant d’avoir pu esquisser un geste de défense, il se sentit léché, bousculé, dans une tornade de jappements joyeux et de sauts qui affolaient sa monture. Il sauta de cheval et, n’en croyant pas ses yeux, devant ses soldats ébahis, il se mit à appeler son chien qui se roulait à ses pieds.

Mais comment son chien, âgé et quasi paralytique, était-il là, le poil soyeux, l’œil vif, le jarret nerveux ? Des gardes interrogés n’en savaient rien. Le chien était revenu, allait, venait, on le nourrissait, mais qui ?

Le centurion voulut élucider ce mystère et pista son chien. Il le vit tous les jours, de bon matin, se diriger vers les marais fumants qui séparaient la ville de l’Adour et s’y perdre. Il revenait quelques heures après. N’y tenant plus, un jour il le suivit et s’aperçut que sa bête allait s’allonger dans les boues chaudes qui entouraient une source thermale. Notre officier, meurtri par sa campagne, fit l’expérience de son chien, puis les soldats qui souffraient eux aussi. Bref, notre légion fut remise sur pied.

Rentré à Rome, l’histoire du chien mascotte, guéri par les boues et guérissant son maître, fut bientôt connue de tous. Les ordres furent donnés et une belle ville romaine fut construite, centrée autour de cette fontaine d’eau chaude, avec des bains mais aussi des bains de boue. Leur vertu curative fit vite ses preuves et lorsque Julie, fille de l’empereur Auguste, ressentit un jour des douleurs, c’est à Dax qu’elle vint chercher soulagement à ses maux. Le voyage de Rome, véritable expédition pour l’époque, fut justifié par le résultat, et en remerciement, elle donna son nom à la cité qui devint Aquae Augustae.
Seulement c’était il y a longtemps et les Gascons sont gens pratiques, de contraction en contraction, au Moyen-Âge c’était Acqs, et aujourd’hui Dax. Mais on n’a jamais oublié les bonnes leçons du chien du centurion. La fontaine d’eau chaude est toujours là, et les bains de boue amènent toujours le soulagement des rhumatismes. »

Cette histoire fait partie des légendes landaises les plus connues, et peut-être êtes-vous nombreux à l’avoir déjà lue ou entendue ! On peut difficilement se renseigner sur l’histoire de cette fontaine sans en entendre parler…

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Comme pour toute légende, il est difficile de démêler le vrai du faux dans cette histoire. La ville a bien été renommée Aquae Augustae, mais l’on dit aussi que ce fut grâce à la venue de l’empereur Auguste lui-même, qui y aurait séjourné en l’an 25 ou 26.
De plus, il semble que cette source était en réalité connue et vénérée avant même l’occupation romaine, par les populations locales qui vivaient près de ces marais. Mais c’est lorsque la cité romaine s’est développée autour de cette source que cette eau et la ville même ont gagné en notoriété.

Quand au fameux chien du centurion, qui peut dire s’il a réellement existé ? Mais pas besoin de cette certitude pour attirer la sympathie des dacquois, et la ville a même érigé une statue du légionnaire et de son fidèle chien, rendant ainsi hommage à cette jolie histoire que l’on n’est pas prêt d’oublier…

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Le Bécut

Les Landes regorgent de créatures fantastiques en tout genre, mais aucune n’est aussi connue et redoutée que le Bécut. Ce cyclope au nez en forme de groin de porc était un ogre effrayant et cruel qui dévorait les enfants, raffolant de leur chair tendre… De nombreux parents tentaient d’effrayer leurs enfants turbulents, qui désobéissaient et voulaient sortir dans la nuit, en leur racontant les plus terribles histoires de ces géants de la lande.

Pourtant, dans les histoires les plus connues, le Bécut finit toujours par être vaincu, et cette population de géants par disparaître du pays… C’est à Contis, à Sabres et à Castets que se déroulent ces histoires, et voici ce qu’elles racontent :

Le Tuc du Bécut 

Il y avait une fois un ogre terrible, un Bécut, qui vivait dans le pays. il était énorme, barbu, poilu, avec un oeil unique au milieu du front, des mollets comme une barrique à ses jambes de géant ; pensez donc ! le Diable les lui avait pincées à la naissance, et comme pour les fruits que l’on pince, ses jambes étaient devenues magnifiques et infatigables. Il en profitait, il pouvait courir aussi vite que le vent d’ouest quand il souffle en tempête. Il se nourrissait uniquement de petits enfants ou de jeunes filles. Il arrivait comme le vent, volait un enfant seul ou une fillette isolée et allait se repaître dans son antre situé près d’ici.
Les gens du pays avaient beau lui donner la chasse avec les chiens de Contis, rien n’y faisait. Les nuits sans lune, les chiens hurlaient car le Bécut rôdait. Un jour, un berger furieux alluma le feu et la forêt brûla en partie mais le Bécut s’échappa avec ses grandes jambes et se réfugia dans les marais, plus furieux que jamais. Dès lors, de son gros oeil unique, il choisit avec rapacité les enfants les plus beaux, les petits au berceau. Tous tremblaient.
Enfin, un vieux berger se décida, monté sur de grandes échasses, à aller voir la mère du vent, loin, très loin dans les Landes, du côté de Saint-Jean-de-Bouricos.

« Madame la mère du vent, pitié, je vous en supplie.
– Hoou.
– Pitié, pitié pour nous autres de Contis, aidez-nous à tuer Le Bécut !
– Haouu.
– Si, si, ayez pitié car il ne respecte personne. Il a dit « Même le vent ne m’attraperait pas si je veux. »
– Ho ! (la mère du vent gronda) haou. Va ! je te suis. »

Et lorsque le berger arriva, il lança les chiens de Contis qui se mirent à chercher dans la nuit, et le vent furieux se mit de la partie. Tout craquait, volait, tremblait, et les gens se tenaient effrayés.
« Ah il court plus vite que moi !… » Et le vent redoubla de violence.
Le lendemain, à l’aube, tout était bouleversé. Le marais où était le Bécut avait disparu. La mère du vent avait enseveli l’ogre malfaisant sous la dune de sable qui est notre Tuc du Bécut.
On félicita le vieux berger, lui demandant comment il avait fait ? Il répondit goguenard :
« L’orgueil enterre les gens. »

Voici donc comment disparut le Bécut de Contis, disparu sous le sable de la dune… Peut-être son corps s’y trouve-t-il encore aujourd’hui !

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A Castets aussi, c’est le péché d’orgueil qui a eut raison du géant à l’oeil unique. Un berger l’a provoqué, lui soutenant qu’il serait incapable de sauter dans l’eau de la Fontaine Vive. Voulait lui prouver le contraire, le Bécut s’y précipita et fut englouti à jamais dans les eaux du puits.

Celui de Sabres n’eut pas plus de chance et fut lui aussi vaincu par la ruse des landais :

Le Panturon du Bécut

Pas très loin d’ici dans la lande, du côté de Sabres, vivait un Bécut, grand, gros, barbu avec un oeil au milieu du front. Il était horrible. Comme son cousin de Contis, il mangeait de la viande fraîche. Mais plus intelligent, il faisait travailler des hommes et des femmes pour lui garder d’innombrables troupeaux de moutons. Il avait ainsi toujours de la chair fraîche : les agneaux en particulier, qu’il aimait bien faire rôtir lui-même. Aux bergers, il ne laissait que l’intérieur : tripes, foie, rate, poumons, et le bout des pattes nageant dans le sang.
Avec ces quatre éléments, cuits pauvrement dans de l’eau et revenus dans une coquelle, les vieilles landaises réussirent à faire une sauce exquise.
Un jour qu’il faisait rôtir son agneau, le Bécut eut un doute.
« Pourquoi Diable mes bergers sont-ils ravis quand je tue un agneau et veulent-ils le saigner eux-mêmes ? Allons voir ce qu’ils font ! »
Il les trouva tous la face enluminée : Mentoun lusen, bente counten (menton luisant, ventre content) marmonna-t-il, et aussitôt il prit la marmite pour goûter leur pitance. C’était une sauce noirâtre, grumeleuse, de piètre aspect mais qui embaumait. Il y goûta, la trouva à son goût et décida que désormais, il faudrait lui faire le panturon.
Qui furent attrapés ? Les bergers privés de leur sauce ! Aussi, résolurent-ils de se venger. Le jour de grande fête, où tous les Bécuts de la lande étaient réunis – sauf celui de Contis déjà enfoui sous la dune, et celui de Castets englouti par la fontaine vive – ils versèrent du poison dans la panturon. Tous les ogres moururent et, depuis, on ne voit plus de Bécuts dans la lande, mais il est resté un plat tout simple et très bon, le panturon.

La légende des Bécuts ne se limite pas aux Landes et l’on retrouve des récits similaires dans les Pyrénées, ainsi que chez nos voisins gersois.
Le collecteur de contes Jean-François Bladé nous a ainsi offert un récit différent ce ceux que l’on connait dans les Landes, dans lequel les Bécuts vivent « dans un pays sauvage et noir, dans un pays de hautes montagnes, où les gaves tombent de trois mille pieds ». Il faut marcher sept mois pour s’y rendre. Les Bécuts y élèvent de nombreux troupeaux de vaches et de moutons aux cornes d’or. Ils les élèvent pour leur viande mais n’ont que faire des cornes d’or qu’ils laissent tomber au sol. Et gare aux courageux qui voudraient les ramasser pour faire fortune ! Si un Bécut les attrape, il les fera rôtir vivants !
Le conte de Jean-François Bladé raconte ainsi comment un jeune homme et sa soeur se sont fait capturés alors qu’ils ramassaient des cornes d’or, et comment le garçon a charmé le géant grâce aux contes de son pays, parlant toute la nuit pour repousser le moment où l’ogre le ferait cuire… Le jeune homme finit par crever l’oeil du Bécut alors que celui-ci s’était endormi, afin de l’affaiblir et de pouvoir s’enfuir en s’enveloppant dans la peau d’un mouton que le cyclope venait de dépecer. Comme toujours le Bécut finit par être vaincu, et les deux jeunes gens réussissent à s’enfuir avec deux grands sacs remplis de cornes d’or qu’ils rapportèrent à leur mère.

Il est intéressant de voir que, dans cette version comme dans celle de Sabres, les Bécuts sont des créatures qui élèvent des troupeaux. Ce n’est pas sans rappeler la mythologie grecque ; Homère et Virgile nous rapportent que les Cyclopes sont des géants sauvages et anthropophages qui vivent en élevant des moutons.

Le plus célèbre de ces cyclope est Polyphème, le Cyclope qu’Ulysse et ses compagnons rencontrèrent dans le chant IX de l’Odyssée d’Homère. Et ce qui leur arriva dans l’antre de Polyphème nous rappelle curieusement le conte de Jean-François Bladé…
En effet, en explorant la terre sur laquelle ils avaient accosté, Ulysse et ses compagnons découvrirent un caverne remplie en abondance de nourriture, et ils décidèrent de se servir. Mais c’est dans l’antre de Polyphème qu’ils se trouvaient, et celui-ci les enferma dans la grotte et en dévora deux au passage. Afin de rendre Polyphème moins alerte, Ulysse lui donna une barrique d’un vin très fort. Une fois le géant endormi, Ulysse et ses hommes utilisèrent un pieu durci au feu et crevèrent l’œil du géant. Le lendemain matin, Ulysse accrocha ses hommes ainsi que lui-même sous les brebis de Polyphème. Ainsi, lorsque, comme à son habitude, le Cyclope sortit ses moutons pour les mener au pâturage, les hommes furent transportés hors de la caverne.

TIBALDI, Pellegrino - L'aveuglement de Polyph_meL’aveuglement de Polyphème, Pellegrino Tibaldi, 1554

Vous pouvez le constater, les deux histoires sont très similaires, et il est très probable que ce passage de l’Odyssée ait inspiré ce conte gascon rapporté par Bladé, adapté à la sauce locale avec un monstre bien de chez nous…
Une nouvelle preuve que les légendes n’ont pas de frontières, et que les mythes ne cessent de se croiser et de s’adapter !

La Pierre de Griman

Comme je l’ai évoqué dans un précédent article, il y a dans les Landes un certain nombre de vieilles pierres dont la présence mystérieuse au sein du paysage a emballé l’imaginaire collectif.

La pierre dont je vais vous parler aujourd’hui a non seulement une légende qui lui est propre, mais a également la réputation de posséder des vertus magiques.
Il s’agit de la Pierre de Griman.

Elle se trouve sur la route qui relie Sabres à Morcenx, non loin du lieu-dit Peyticq, à une trentaine de mètres de la route, au beau milieu de la lande. Elle est très facilement trouvable, grâce à un petit panneau posé au bord de la route, et des balises qui indiquent ensuite le chemin au milieu des pins, des fougères et des ronces. Cette pierre n’est pas bien spectaculaire ; carrée, plate, elle mesure environ un mètre sur un mètre et ne dépasse pas du sol de plus d’une trentaine de centimètres. Sa présence au milieu du désert landais reste un mystère… Est-ce un vestige d’un ancien monument mégalithique ? D’une sépulture ? D’une ancienne borne romaine ? Comme pour les Pierres de la Fée, les avis divergent, mais sa présence n’est certainement pas due au hasard.

L’imaginaire landais s’est donc emparée de ce mystère, et la légende raconte qu’à cet endroit autrefois, se dressait une chapelle et son clocher (on retrouve comme toujours la présence de la religion dans une histoire vouée à expliquer un phénomène), qui ont tous deux été engloutis sous terre, dans un gouffre insondable. Certains disent avoir même entendu parfois le lointain son souterrain des cloches… La pierre serait demeurée là, seul souvenir de l’église disparue, pour en perpétuer la mémoire. Cette croyance est renforcée par le fait que, malgré tous les efforts tentés, personne n’a jamais pu déplacer cette pierre, ni même la faire bouger. Pour le peuple, c’était la preuve que cette pierre était destinée à rester là, au milieu du désert, pour leur rappeler la présence de la chapelle et de sa malheureuse disparition.

Mais ce n’est pas tout. Une autre légende, bien mystérieuse, rapporte qu’un jour, un pauvre passait dans le désert landais, s’est arrêté devant cette pierre, et s’est agenouillée devant elle. Un résinier le vit, et fut curieux de savoir ce qu’il faisait là. Le pauvre répondit : « tous les enfants qui ne marcheront pas au bout de l’an, qu’on les porte sur cette pierre, ils marcheront ». Et après cette réponse, le pauvre disparut comme une ombre.

La légende ne précise pas l’identité de cet homme… Est-ce un Saint ? Ou Dieu lui-même ? On ne peut que le supposer.
Toujours est-il que cette croyance s’est répandue dans toutes les Landes. La tradition voulait qu’on y emmène les enfants qui avaient des difficultés pour marcher, qu’on leur fasse faire 9 fois le tour de la petite pierre, puis que l’on y laisse en offrande les chaussures ou les chaussons de l’enfant.
Ce petit rituel accompagné d’une offrande laisse penser que cette pratique est très ancienne et puise ses origines dans le paganisme, qui s’est transformé en croyance populaire. Il y a fort à parier que l’Eglise ne voyait pas d’un bon œil la dévotion que portait le peuple à cette pierre et à ses pouvoirs magiques, et que c’est peut-être elle qui est à l’origine de la légende de la vieille chapelle engloutie, afin de détourner, comme souvent, une vieille tradition païenne et la rattacher au christianisme…

Quoiqu’il en soit, il semble que cette croyance fasse encore des adeptes de nos jours, si l’on en croit les petits souliers d’enfants que l’on trouve encore aujourd’hui sur la pierre de Griman…

Les pierres de la fée

Un peu partout dans le département des Landes se dressent des pierres antiques, témoins des civilisations qui nous ont précédés ; ce sont des vestiges d’anciens tombeaux, des menhirs ou encore d’anciennes bornes militaires romaines, les explications officielles varient de l’une à l’autre… La présence de ces pierres qui ont traversé les siècles était pour nos aïeuls une énigme que l’on a tenté d’expliquer à l’aide d’une légende qui s’est propagée dans toute la région : celle des « pierres de la fée », ou « pierres de la sorcière ».

Il existe différentes versions de cette légende, et voici ce que dit l’une d’entre elles :

Des fées avaient décidé de construire un pont à Dax, avec des pierres assez grosses et solides pour résister aux crues de l’Adour. L’une d’elles, tout fière, en rapportait une si énorme et robuste qu’elle espérait rendre vertes de jalousie ses amies fées ; aucune d’entre elles n’en ramènerait d’aussi grosses ! Mais en chemin, elle fut arrêtée par un personnage inconnu qui lui demanda où elle se rendait ainsi. Agacée d’être importunée par cet étranger, elle répondit sèchement qu’elle se rendait à Dax pour construire le pont.
« Dites donc, s’il plait à Dieu ! lui répondit l’homme.
– Plaise ou ne plaise pas, la pierre géante ira à Dax ! s’écria l’insolente.
– Eh bien pose la pierre ici, et qu’elle y reste ! »
Saisie par une force supérieure, la fée laissa tomber la pierre au sol et fut incapable de la soulever de nouveau ; la pierre semblait faire corps avec la terre. La fée comprit alors que c’était le Bon Dieu qu’elle avait rencontré, et qu’il avait décidé de lui donner une leçon d’humilité. L’immense pierre resta donc vissée au sol, et la fée dut repartir les mains vides, et furieuse.

A Peyrehorade, cette histoire se termine de manière bien spécifique : la fée était si folle de rage de ne pouvoir la soulever qu’elle troua la pierre de sa quenouille, si bien que le village qui se trouvait à côté prit le nom de « pierre trouée », ou Peyrehorade.

Une même version de la légende se déroule à Sainte-Colombe près d’Hagetmau, ainsi qu’à Sarron, petite commune de l’extrême Sud-Est du département. Seul un petit détail change dans ce dernier cas : ce n’est plus une fée qui porte cette pierre à Dax, mais le Diable en personne, car il avait entrepris de lui-même de construire le pont (bien étrange que le Diable s’atèle à cette tâche qui pourrait s’avérer utile pour les hommes, mais l’histoire ne fournit pas d’explication quant à sa décision…). Plantée là par Dieu, furieux que le Diable ne lui ait pas demandé son avis, cette pierre-là porte donc logiquement le nom de « pierre du Diable », à la différence de toutes les autres.

gravure annees 1600Dax vers 1600 – gravure
source

A Pouillon et à Labrit, le récit prend une autre tournure et devient « la pierre de la sorcière ». La figure de la fée et celle de la sorcière se confondent souvent, et on le voit tout particulièrement dans la légende de la pierre de Montpeyroux, à Pouillon.

Cette histoire-là raconte que la sorcière de Mondron avait volé une énorme pierre de la cathédrale de Dax et était en chemin pour l’offrir à son maître Satan, lorsqu’elle fut arrêtée par un homme qui lui ordonna de remettre la pierre à sa place. C’était le Bon Dieu, vous l’avez compris, et devant son refus, il s’empara de la grosse pierre qui se ficha dans le sol pour toujours. Furieuse, la sorcière tenta désespérément de s’agripper à son bien, laissant dans la pierre les traces bien visibles de ses doigts crochus.

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Vous le voyez, les deux légendes sont très proches l’une de l’autre, mais dans cette dernière version, il n’est plus question du pont mais de la cathédrale, édifice religieux qui justifie un peu plus l’intervention de Dieu. Et surtout, le personnage de la fée a été diabolisé pour devenir une sorcière se rendant au Sabbat. La confusion entre la fée et la sorcière s’épaissit un peu plus encore lorsque l’on sait que cette pierre de Montpeyroux est aussi parfois appelée la « peyre de la Hade », la pierre de la fée, mais pour une raison totalement différente : on dit que les fées venaient filer le lin sur de grosses pierres comme celle-ci en guise de quenouille.

A Labrit enfin, dans la Haute Lande, cette légende semble s’être mêlée à celle justifiant la présence de l’Oeil du Grué, ou l’Oeil du Diable, petite mare à la surface noire et figée qui a la réputation d’être maudite. Il ne semble pas y avoir la moindre trace d’une pierre antique par ici, mais la légende autour de cet endroit inquiétant est pourtant similaire : ce trou noir dans le sol aurait été créé par Satan qui, fou de rage à l’idée que Dieu ait piégé sa sorcière et lui ait volé la pierre de la cathédrale de Dax, aurait frappé le sol de toute la force de son poing. Cette mare est donc l’empreinte de la main du Diable, figée à tout jamais dans le sol de la Haute Lande. Plein de rancœur envers Dieu et les Hommes, il lança une malédiction sur ce lieu, qui engloutit depuis tous les imprudents qui osent s’y aventurer, humains comme animaux, dont on peut entendre les plaintes étouffées au fond de l’eau pendant la nuit de Noël.

Ces pierres de la fée, du Diable ou de la sorcière, sont la preuve qu’en matière de légende, rien n’est jamais figé. D’un thème commun et immuable, les versions s’entrecroisent, les récits se modifient, évoluent, on y ajoute ou retire des éléments, en fonctions des différents lieux, époques, et des différents événements auxquels l’on souhaite fournir une explication.
Cette légende s’est ainsi propagée dans toutes les Landes, prenant au passage différentes facettes, afin d’expliquer la présence de ces mystérieuses grandes pierres, posées là par ce qui semblait être une force supérieure, et rappelant aux populations que, partout dans la lande, Dieux et Diables ne sont jamais loin.

La trêve de Noël des loups de la Lande

Autrefois, les loups étaient nombreux dans les Landes, et comme partout ailleurs, ils suscitaient une grande peur. Cet animal était redouté au point qu’il fut rapidement désigné comme créature diabolique, serviteur de Satan et ami des sorcières. Il existe pourtant un conte landais dans lequel les loups et les hommes firent la paix, ne serait-ce que pour une nuit…

Je me permets de retranscrire mot pour mot ce petit conte tel que Jean Peyresblanques l’a noté dans ses Contes et Légendes des Landes, et tel que je l’ai découvert dans un autre livre, Les mythes et légendes du loup de Roger Maudhuy. Il est écrit de manière concise et efficace, et l’on ne saurait faire mieux…

« Dans la grande Lande, à Saint-Jean-de-Bouricos, il y a très longtemps, le vieux curé, le soir de Noël, revenait de voir un mourant. Il se hâtait. Tout était couvert de neige. Les pins se dressaient, noires sentinelles, en lisière de la lande. Il savait que les loups étaient descendus, car son fidèle sacristain, chasseur impénitent, lui avait dit :
« Vous ne risquez rien, Monsieur le curé, j’ai mis un piège avec un appât. »

Il avançait rapidement, lorsqu’il entendit de petits gémissements. Guidé par eux, il arriva en limite des broussailles et des pins. Il vit un grand loup gris pris au piège. C’était une louve immense, avec deux petits louveteaux à ses côtés qui gémissaient.
« Pauvre bête ! s’écria le prêtre, ne bouge pas ! » Et posant les saintes huiles sans aucune crainte, il ouvrit le piège et sortit la patte de la louve. Celle-ci n’avait pas bougé, le surveillant de ses yeux jaunes. Le curé regarda la patte abîmée, ajoutant : « Ne bouge pas, je reviens te soigner. »
Lorsqu’il revint, la bête était toujours là, léchant sa patte brisée. Consolidant cette dernière avec des planchettes et de la charpie, le brave homme finit son travail sans peur, la louve se leva alors difficilement sur trois pattes et lécha les mains qui l’avaient soignée.
« Ecoute, lui dit-il. C’est aujourd’hui Noël, c’est la grande fête de la Nativité. Tu vas me promettre, cette nuit-là, de ne toucher ni aux gens ni aux bêtes, tu entends… »
Et dans les yeux de la louve, il vit une lueur de reconnaissance.
A la messe de minuit, à mi-cérémonie, on entendit un long hurlement : les loups. Toute l’assemblée était terrorisée. « N’ayez pas peur ! dit le pasteur, et il marcha vers la porte de l’église qu’il ouvrit toute grande, une meute de loups était là avec la louve à sa tête. Le prêtre, nullement impressionné, la bénit.
« C’est Noël pour tout le monde, allez ! loups, et tenez votre promesse. »
Un long hurlement retentit et tous les loups disparurent, la louve en dernier, qui vint lécher la main du prêtre. Tous furent rassurés…
Depuis lors, le soir de Noël, les loups ne chassent pas. Même si tu entends dans la nuit ou pendant la messe des hurlements de loup, il ne faut pas avoir peur. C’est la trêve de Noël des loups de la lande. »

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Aujourd’hui les loups ont disparu dans les Landes, mais la petite église romane de Bouricos où se déroule cette histoire existe toujours. Située un peu en-dehors de la commune de Pontenx-les-Forges, elle se dresse au milieu d’un airial paisible dans lequel on trouve aussi quelques vieilles maisons qui accueillent les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle.

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Bouricos est très réputé pour la foire qui se tient depuis des siècles chaque année le 24 juin, à la Saint-Jean. Car en plus de la chapelle qui a inspiré ce joli conte, on trouve à Bouricos une fontaine dite miraculeuse, fréquentée depuis la nuit des temps pour ses vertus guérisseuses sur les problèmes de peaux, les rhumatismes et autres problèmes d’articulation. Cette fontaine de Saint-Jean-Baptiste est donc vénérée tous les 24 juin ; après la messe, les visiteurs vont en procession à la fontaine, l’eau et la foule y sont bénites, et chacun boit ou puise dans le puits de la fontaine. D’après la légende, Saint-Jean-Baptiste lui-même aurait fait halte en ce lieu lors d’un pèlerinage et aurait utilisé cette eau pour calmer ses membres endoloris par la marche.

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Cette source n’est qu’un exemple parmi d’autres, car il existe un très grand nombre de fontaines miraculeuses dans les Landes. On en trouve plus de 200, et si elles ne sont pas toutes aujourd’hui aussi fréquentées qu’autrefois, une trentaine d’entre elles sont encore vénérées par des cérémonies religieuses comme celle-ci. C’est là encore un vaste sujet, sur lequel nous reviendrons, car il est certain que l’on croisera de nouveau un certain nombre de ces sources guérisseuses au fil de nos recherches …