Le chêne de Cassouric

Cela fait bien (trop) longtemps que je ne vous ai pas raconté d’histoire de sorcières, me semble-t-il… Corrigeons cela sur le champ ! 🙂

Aujourd’hui, je vous conduis donc en Chalosse, pour une histoire das laquelle les sorcières et le Diable complotent ensemble au cours du Sabbat afin d’empoisonner la fille du marquis de Poyanne.

Autrefois, un jeune homme prénommé Bertrand s’en revenait du marché de Dax, et parcourait la lande à la tombée de la nuit. Il avait entendu des rumeurs au sujet d’un groupe de sorcières qui sévirait dans la région, mais il n’y croyait guère et avançait sans se soucier. Mais à l’approche de ce fameux chêne de Cassouric, il aperçut au loin de petites lumières qui semblaient s’approcher, et il prit peur. Vite, il grimpa dans l’arbre et se cacha dans ses branches.

A peine installé, il vit au pied de l’arbre des femmes jeunes et vieilles se prendre par la main et se mettre à danser en rond tout en bavardant. Alors, un homme tout vêtu de rouge apparut, les yeux brillants, élégant comme un prince. Il s’adressa à l’assemblée :
– Bienvenue Mesdames ! Est-ce que tout le monde est là ?
– Non il en manque une ! répondit l’une d’elle. Ah la voilà qui arrive !
L’intéressée arrivait en courant, tout essoufflée, et s’excusa.
– Pardonnez mon retard, mais c’est que j’étais occupée à empoissonner la fille du Marquis !
– Voilà qui est fort bien, répondit le Diable. A quel remède secret as-tu pensé ?
– Il faudrait pour la guérir tuer la plus belle jument de l’écurie et lui en donner trois gouttes à avaler !
– Ah parfait, ils n’y penseront jamais ! Eh bien dansons maintenant, dit le Diable en levant son violon.
Les sorcières dansèrent jusqu’au petit matin.

Alors notre Bertrand put enfin descendre de son perchoir. Transi de peur, il n’osa raconter à personne son aventure de la nuit, mais le samedi suivant, il entendit parler de la maladie de la pauvre demoiselle de Poyanne, la fille du marquis. Elle se languissait, et on proposait une généreuse récompense à qui saurait trouver le moyen de la guérir. Très sûr de lui, Bertrand demanda immédiatement à voir monsieur le marquis, et lui indiqua le remède. Sitôt dit sitôt fait, la jeune fille fut guérie. On récompensa le jeune homme d’une grosse bourse de pièces d’or. Il acheta une métairie, et son succès fit beaucoup d’envieux autour de lui. En particulier son frère, un jeune un peu simplet, qui n’arrêtait pas de lui demander comment il avait su le fameux remède. N’y tenant plus, Bertrand lui raconta toute l’histoire. Alors son frère, dès la nuit tombée, se précipita vers le Chêne de Cassouric et se cacha dans les branches en attendant l’arrivée des sorcières. Enfin elles arrivèrent, en compagnie du Diable, et l’une d’elles avait le visage tout renfrogné. Le Diable lui demanda :
– Une mauvaise nouvelle ce soir ?
– Ah ça oui ! La fille du marquis est guérie !
– Comment ? Et par qui ?
– Probablement par celui d’en haut, répondit-elle en levant le doigt vers le ciel.
Et voilà le jeune homme tout tremblant qui se croit découvert et qui se met à crier :
– Pas vrai, pas vrai, c’est mon frère !
A ces mots, les lumières s’éteignirent. Tout disparut, et lorsque le jeune homme voulut descendre, il se retrouva au milieu d’une forêt de ronces. Il s’en extirpa tant bien que mal et rentra chez son frère en piteux état.
-Imbécile, lui dit Bertrand. Tu n’as donc pas vu que c’était le Bon Dieu qu’elle désignait ! Va donc au pré garder les vaches, tu n’es bon qu’à rester vacher…
Ce qu’il resta pour le reste de sa vie.

Les sorcières de cette histoire semblent donc avoir pour habitude de se retrouver au pied d’un chêne, ce fameux chêne de Cassouric, afin de célébrer le Sabbat.

De nombreux chênes comme celui-ci, dans les Landes, avaient la réputation de posséder des propriétés magiques. Certains étaient considérés comme bénéfiques, on les vénérait, on ramassait leurs feuilles, leurs glands ou leur écorce pour se porter chance, ou encore guérir certaines maladies. Mais d’autres au contraire, avaient la réputation d’attirer à eux les sorcières et le Diable, comme celui-ci, et on disait qu’il valait mieux ne pas s’en approcher, car on ne s’attirerait alors que des malheurs !

Parmi les chênes « magiques » les plus connus, on compte par exemple le chêne de Saint-Vincent, qui se trouve sur le site du berceau de Saint-Vincent-de-Paul. Ce chêne est très vieux, il aurait plus de 800 ans actuellement, et même si aujourd’hui il n’est plus aussi majestueux qu’autrefois, il est toujours là, toujours bien vivant, verdissant toujours à l’approche du printemps. Pourtant depuis environ 200 ans, ce chêne est creux de l’intérieur, comme s’il était rongé, mais cela n’a pas suffi à venir à bout de cet arbre centenaire. On pourrait presque croire qu’il est immortel… Ce chêne a donc une importance particulière dans le coeur de la population locale, qui le vénère depuis très longtemps. On trouve aujourd’hui, dans le creux de son tronc, une statue de la Vierge Marie, preuve que cet arbre joue un certain rôle dans la spiritualité locale.

Un autre chêne remarquable se trouvait autrefois non loin de là, à Saint-Paul-lès-Dax. C’était le chêne de Quillacq. Il était particulièrement immense, ses larges branches s’étendaient sur plus de douze mètres et ses longues racines sortaient du sol, semblables à des tentacules mouvantes. Il se trouvait sur une zone marécageuse, et une source coulait depuis son tronc. L’eau de cette source avait la réputation, comme tant d’autres, de posséder des vertus guérisseuses, et en particulier d’être efficace en tant qu’antidote contre les empoisonnements.
Malheureusement cet arbre n’existe plus aujourd’hui, il a été abattu en 1925.

chêne de quillac
source

Ces deux chênes ne sont que des exemples parmi tant d’autres, de nombreux arbres dans les Landes ont été vénérés (souvenez-vous du Pin Parleur de Tosse ) et parfois le sont encore aujourd’hui.

Si vous avez d’autres exemples en tête d’arbres magiques ou guérisseurs, n’hésitez pas à nous les faire partager en commentaire ! 🙂

La forêt de Hinx

Je vous ai déjà parlé de plusieurs créatures fantastiques peuplant nos Landes… Les Bécuts, les sirènes, les loups-garous, les fées, les sorcières, etc… Ce n’est pas ce qui manque dans les légendes landaises !
Et pourtant, j’ai quand même été étonnée, en lisant ce petit conte rapporté par le Dr Jean Peyresblanques, La forêt de Hinx, de découvrir un dragon dans l’un de nos contes locaux.
Un dragon… ! J’ai toujours associé ces créature aux épopées chevaleresques telles que la légende du roi Arthur, aux mythologies, ou bien à des romans fantasy plus contemporains… Mais un dragon dans les Landes ? Ah ça non, je n’y aurais jamais pensé !

Voici ce que raconte cette petite histoire :

Il y a longtemps, très longtemps, vivait dans la grande forêt de Téthieu un dragon énorme. Il était aussi gros que les chênes les plus gros et lorsqu’il se frottait à ces géants, tout bruissait et gémissait dans la forêt. Il s’attaquait à tout ce qui passait à sa portée. Les sangliers eux-mêmes avaient déserté leurs bauges secrètes et les oiseaux avaient fui à tire-d’aile. Le rossignol ne chantait plus la nuit et les habitants de Téthieu se terraient misérablement. Toutes les familles avaient subi des pertes, et la faim aidant, la bête s’aventurait dans les barthes, y faisant des ravages. Les animaux refusaient de sortir de étables, et la nuit, lorsque la bête soufflait, les chevaux piaffaient, les chiens hurlaient, tous tremblaient. En allant poser ses nasses, un pêcheur d’anguilles l’avait vue. La bête était noire avec une grande gueule rouge, elle dévorait un veau. Sa peau avait des reflets roux et elle faisait un bruit effrayant en déchiquetant le pauvre animal.
Il n’en avait pas vu davantage, car il était parti se cacher.

Les habitants du village avaient essayé tous les pièges possibles, la bête les avait déjoués. Puis les anciens avaient employé les sortilèges, en vain. Ils s’étaient enfin résignés à demander conseil à la Cadetoune du tuc, petite vieille toute ridée et ratatinée. Elle vivait avec des corbeaux, un vieux chat et sa chèvre. D’aucuns la disaient sorcière, on allait bien voir !

« Mère Cadetoune ! » … Les trois coups sur la porte de la masure avaient à peine retenti qu’une voix aiguë répondit : « Damoure Aqui » et peu après la porte s’ouvrit et la vieille sortit. Elle n’avait jamais vu de sa vie homme si polis et empressés. L’un lui demandait de ses nouvelles, l’autre de sa chèvre et de son chat, et de sa maison.

« Il faudrait réparer le toit avec du chaume frais, dit l’un. Mais cela, on le ferait avec combien de plaisir ! N’est-on pas là pour s’entraider ?
– Caret bous aoutes. Maintenant que vous avez peur, vous venez me voir et me raconter des histoires au lieu de me chasser comme à l’accoutumée. Je sais ce que vous voulez mais je ne peux rien contre la bête, elle est trop puissante. Seule la chaire humaine peut la calmer. Si vous voulez vous en débarrasser, donnez lui la plus belle jeune fille du village, et pendant un an la bête disparaîtra. Mais tous les ans la plus jolie, voilà ce qu’il faut. C’est la tienne, Pierroulic, et puis tu es le maire, ce serait juste : ou tu vas tuer la bête, ou tu donnes ta fille… Maintenant, refaites-moi mon toit ! »

Chose dite, chose faite, et tous, rassurés, quittèrent le pauvre Pierroulic, plus gris que cendre, tout tremblant. Il rentra chez lui, cherchant en vain une solution. Sa chère Maylis âgée de 18 ans et si mignonne… Les larmes coulaient sur ses joues burinées, silencieusement. Dans sa maison pourtant, tout semblait animé. Lou Yan son fils conversait avec son ami Vincent, un grand gars d’Hinx qui n’avait pas craint, sous prétexte de voir son ami, de venir faire un brin de cour à Maylis, toute rose. Bien sûr il était arrivé par Coslous mais il fallait du courage pour traverser l’Adour et passer par les bois. Un beau gars oui, un beau gars, mais sans biens…
Tous firent silence en voyant Pierroulic, puis le pressèrent de questions. Il parla, et Maylis se mit à pleurer. Alors, Vincent, très pâle et une lueur farouche dans les yeux, lui dit :

« Meste Pierroulic, pardonnez-nous, Maylise et moi sommes promis, aussi j’irai tuer la bête, et vous nous marierez. Sinon, nous serons tués tous les deux. Mais pour cela je voudrais les deux boeufs, les plus gras de Téthieu. »

Vincent fut aussitôt embrassé par sa fiancée, et Yan lui dit :

« Je vais avec toi.
-Non, moi ! dit Pierroulic.
-Aucun, c’est mon affaire ! Préparez-moi les bœufs pour après-demain. »

Et grandi de trois pouces, il partit chez lui. Il avait des idées et du courage mais quand même, ses trois frères l’aideraient bien dans son projet. En effet, après avoir fait forger une épée très tranchante, il partit se mettre à l’affût, après avoir attaché les bœufs à la lisière du bois, un baquet d’eau salée à côté. La bête, attirée par les beuglements de peur, se jeta sur le premier bœuf qu’elle dévora, et mit plus de temps à manger le second. Elle avait bien de l’appétit mais quand même, cela ne passait pas, alors elle but l’eau salée, et ayant tout mangé elle but encore à l’eau du ruisseau, tant et tant qu’elle se mit à dormir sur place, couchée sur le côté, tellement sa panse était rebondie. C’est ce qu’attendait Vincent. Il s’approcha doucement et d’un seul coup lui enfonça l’épée dans le cœur.

Il y eut un mariage extraordinaire, tout Hinx était invité. Les noces durèrent trois jours. Et pour le remercier, on donna à Vincent pour lui et ses descendants, le bois où vivait le dragon.

Aussi, depuis ce temps-là, il existe au milieu des bois de Téthieu une grande et belle forêt qui appartient à Hinx.

Voilà donc l’histoire du dragon féroce qui terrorisait les landais de Téthieu.

Mais en y réfléchissant, la présence de cette créature de légende dans un conte landais n’aurait pas tant dû me surprendre. Nous avons déjà vu à quel point les légendes voyagent, se répandent, sont réinterprétées à la sauce locale, et comment des thèmes, des archétypes, de symboles, se retrouvent dans plusieurs contes à travers le monde. Pourquoi le dragon aurait-il fait exception ?

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D’autant plus qu’une légende très similaire à celle-ci existe tout près de chez nous, à Bordeaux. C’est la légende du dragon de la Vieille-Tour, qui raconte comment une créature terrifiante avait élu domicile dans cette ancienne tour romaine, et réclamait chaque dimanche une jeune fille vierge qu’il dévorerait dans la semaine. Les dragons ont manifestement un faible pour la chaire des belles jeunes filles…! La dynamique et la symbolique sont ici assez simples : le dragon, symbole du mal absolu, du Diable même, s’en prend aux jeunes filles vierges, symboles de pureté et d’innocence. Une formule que l’on connaît bien et qui marche toujours…

La différence principale entre ces deux histoires se trouve dans le dénouement : dans la première, c’est le fiancé de la belle qui fait preuve de bravoure et qui trouve un moyen rusé de venir à bout de la terrifiante créature. Dans la version bordelaise, c’est l’une des jeunes filles victimes de la bête, Nicolette, qui par sa ruse parvient à repousser sa propre mise à mort et à découvrir le seul moyen de vaincre le dragon. Point de courageux fiancé dans la légende bordelaise, mais une jeune fille maligne et pleine de ressources qui sait se débrouiller par elle-même… Mon coeur de féministe a un petit faible pour cette dernière version, autant être honnête ! 😉

Et si vous souhaitez découvrir cette légende de la Vieille Tour de Bordeaux et vous en faire votre propre idée, vous pourrez la lire dans Les Contes et Légendes du Vieux Bordeaux de Michel Colle 🙂

Le Drac

Je vous ai déjà parlé des Sirènes , ces êtres mi-femme mi-poisson, cruelles et mortelles, qui vivent dans les profondeurs de l’océan, et dont les marins landais savaient devoir se méfier. Mais il y a dans l’océan une autre créature issue de l’imaginaire des gascons, une créature effrayante et fascinante tout à la fois : c’est le Drac.
Le Roi des Océans.
On ne peut s’empêcher en entendant ce titre royal de penser au Roi des sirènes, que l’on retrouve dans le conte d’Andersen ou dans la film d’animation de Disney sous les traits du Roi Triton. Ou peut-être pense-t-on aussi à Poséidon, le dieu grec de la mer et des océans. Ces figures légendaires, mythologiques, sont bien ancrées dans notre imaginaire collectif.

Palais-Petite-SireneIl se trouve que le Drac présente quelques similitudes avec ces deux représentations, notamment son château magnifique tout au fond de l’océan, ou encore son emprise sur les vagues et les tempêtes… Mais il est difficile de savoir si cette créature de contes gascons s’apparente réellement à l’un ou à l’autre. Et pour cause, les textes le mentionnant sont rares. A vrai dire je ne l’ai rencontré que dans un seul conte, un conte du folkloriste gersois Jean-François Bladé, intitulé tout simplement « Le Drac ».

26461252Le Roi des mers n’y apparaît par ailleurs que dans la seconde partie.
Je me permets donc de raccourcir légèrement la première partie du conte, plutôt longue, afin de mettre l’accent sur l’arrivée du Drac dans le récit.

 

Voici ce que raconte ce conte de Jean-François Bladé :

Il était une fois un homme et une femme qui avaient trois enfants : deux garçons et une fille, appelée Jeanneton, qui allait sur ses quinze ans. Elle était cent fois plus belle que le jour. Quand elle se peignait, le blé doré tombait de ses cheveux, et quand elle se lavait, des louis d’or tombaient de ses doigts par dizaines.
Jeanneton et ses frères s’aimaient plus qu’on ne peut le dire.
Un jour, leur mère mourut. Alors leur père ses remaria avec une veuve laide et méchante, qui avait une fille encore plus laide et plus méchante qu’elle. La Marâtre et sa Créature régnaient en maîtresses dans la maison et tourmentaient les trois jeunes gens.
Alors, un jour les deux garçons dirent à leur sœur qu’ils avaient décidé de partir à la guerre dans l’armée du Fils du Roi, et qu’ils reviendraient la chercher lorsqu’ils seraient bien riches. Mais ils ne partirent pas sans un souvenir de leur chère petite sœur, une statuette à son effigie qu’ils tiendraient contre leur cœur et embrasseraient sept fois par jour.

Dans l’armée du Fils du Roi, les deux jeunes frères se montrèrent si hardis et si forts que le Prince bientôt ne put plus se passer d’eux. Un jour, il aperçut la statuette de la belle Jeanneton que les deux frères embrassaient sept fois par jour et s’en étonna.
« Prince, c’est la statuette de notre petite sœur, la belle Jeanneton. Quand elle se peigne, le blé tombe de ses cheveux, et quand elle se lave les mains, les louis d’or tombent de ses doigts par dizaines. »
Fasciné par ce récit, le Prince leur ordonna d’aller chercher leur petite soeur sur le champ et de l’emmener dans son château au bord de la mer, afin qu’il puisse l’épouser, les menaçant de les mettre à mort s’ils lui avaient menti sur la beauté de Jeanneton.

Alors les deux frères montèrent à cheval et partirent au grand galop. Lorsqu’ils arrivèrent chez eux, ils annoncèrent à leur père que le Prince voulait épouser leur jeune sœur et qu’elle devait venir avec eux. Leur père accepta, mais la Marâtre et la Créature, qui n’étaient jamais loin, insistèrent pour les accompagner.

Pour paraître devant le Fils du Roi, Jeanneton se vêtit en mariée : voile, robe et souliers blancs, ainsi qu’une couronne de fleurs d’oranger. La Marâtre et sa Créature ne quittèrent pas leurs loques rogneuses. Toutes les trois montèrent dans une splendide voiture tandis que les deux frères s’installèrent à la place du cocher.
Au cours du trajet, profitant de la naïve bonté de la belle Jeanneton, la Marâtre réussit à la convaincre d’échanger sa belle robe, ses souliers et son voile avec les loques de la Créature. Elle espérait ainsi tromper le Fils du Roi afin qu’il épouse sa propre fille. Puis, sans que les deux frères ne s’en aperçoivent, elle ouvrit la porte et jeta la belle Jeanneton dans un bourbier.

Lorsque la voiture arriva au château, le Prince, qui bouillonnait d’impatience depuis le lever du soleil, fut pris d’une colère folle lorsqu’il aperçut la Créature. Il lui ordonna de se coiffer et de se laver, mais c’étaient des poux et de la crasse qui tombèrent de ses cheveux et de ses doigts, non du blé et des louis d’or.
« Bourreau, ces deux hommes m’ont menti ! s’écria-t-il. Vite, enferme-les dans un cachot noir. Brise-leur la tête sous une pierre et laisse-les pourrir, rongés par les vers et les rats. »

Pendant ce temps, la belle Jeanneton avait été tirée du bourbier par une brave jardinière, qui la prit comme servante.
Chaque matin dès lors, elle se rendit au château afin de vendre les premières pêches de la saison. Et en retournant chez elle, elle ne manquait jamais de se baigner dans la mer. Un jour, le Prince l’aperçut alors qu’elle rentrait chez elle, et en tomba immédiatement fou amoureux. Il ordonna à ses valets d’aller la chercher et de la lui amener.

Mais la belle Jeanneton était déjà loin. Elle se baignait, tranquille et le cœur content.
Malheur ! Le Drac la guettait. Cent fois plus vite qu’un éclair, il la saisit, et l’emporta dans son château, son beau château plein de statues d’or et d’argent, son beau château bâti sous les eaux, tout au beau milieu d’un jardin planté de grands arbres et de fleurs de mer.
« Belle Jeanneton, je suis le Drac. Je suis le Roi des Eaux. Tiens, prends cette belle robe, prends cette couronne d’étoiles. Belle Jeanneton écoute, je suis amoureux fou de toi. Marions-nous. Tu seras ma Reine.
– Drac, tu n’es pas de ma race. Nous ne nous marierons jamais, jamais. »
Alors le Drac devint tout bleu de colère. Mais il était trop amoureux pour faire mal à sa maîtresse.
« Belle Jeanneton, le temps approche où tu feras à ma volonté. Jusque là, tu ne m’échapperas pas. »
Cela dit, le Drac prit un anneau d’or et le riva, à grands coups de marteau, au pied gauche de Jeanneton. A cet anneau, il attacha une chaîne dorée, fine comme un cheveu, forte comme une barre d’acier, et longue de sept cent lieues.
« Belle Jeanneton, sur la mer où je commande, tu peux courir où tu voudras. Quand tu seras lasse de courir, tu diras : « Drac, tire la chaîne, dans la mer m’emmène… » Aussitôt je tirerai ta chaîne dorée pour te ramener au château.
Ce qui fut dit fut fait. Chaque matin, Jeanneton s’en allait courir sur la mer. Quand elle était lasse, elle disait : « Drac, tire la chaîne, dans la mer m’emmène… ». Aussitôt le Drac tirait la chaîne dorée et ramenait sa prisonnière au château.

Un jour, la belle Jeanneton courait ainsi sur la mer. Elle arriva tout proche du château du Fils du Roi. Les cochers, qui faisaient baigner leurs chevaux, l’aperçurent et coururent prévenir leur maître.
« Prince, regardez, regardez courir sur la mer cette belle demoiselle, avec sa robe et sa couronne d’étoiles. »
Le Fils du Roi devint pâle comme la mort.
« Par mon âme, cette demoiselle est la même que la servante donc je suis fou amoureux. »

Jeanneton marchait toujours sur la mer. A cent pas du bord, elle s’arrêta pour chanter :

 » Le Drac m’a volée.
Par le pied il m’a attachés
Avec une chaîne dorée.
Demain, je serai revenue. »

Le soleil baissait. Alors Jeanneton dit :
 » Drac, tire sur ma chaîne, dans la mer m’emmène… »
Aussitôt le Drac tira la chaîne dorée et ramena sa prisonnière au château.

Depuis le coucher du soleil, le Prince, tout seul dans sa chapelle, pria Dieu jusqu’à la pointe de l’aube. Alors, il se choisit une hache large et tranchante, détacha son grand cheval, lui mit la bride et la selle et regarda loin, bien loin sur la mer.
A la même heure, Jeanneton se levait pour cueillir dans le jardin du château la fleur rouge, la fleur de mer, qui ressuscite les morts. Puis elle partit sur les eaux, comme à son habitude, avec sa robe et sa couronne d’étoiles, et sa fleur rouge, sa fleur de mer.

Du plus loin qu’il l’aperçut, le Prince saisit sa hache large et tranchante, sauta sur son grand cheval et se tint prêt à marcher.
A cent pas du bord, la belle Jeanneton s’arrêta. Hardi, le Fils du Roi poussa son grand cheval dans la mer, saisit le jeune fille par la ceinture, brisa la chaîne dorée d’un seul coup de hache, et repartir au grand galop.
Mais le Drac se méfiait. Sur la secousse de la chaîne dorée, il partit. Il partit sur la mer, secouant les vents et l’orage, cent fois plus vite qu’un éclair. Rien n’y fit. Le Fils du Roi était déjà à terre, avec la belle Jeanneton. A terre, fini le pouvoir du Drac.

« Merci, mon Prince. Je sais qui tu es, mais toi tu ne me connais pas. Je suis Jeanneton.
– Tu es la Belle Jeanneton ! Valets, vite, un peigne ! Vite, une bassine d’eau ! »
Jeanneton se peigna, et de ses cheveux le blé tomba par boisseaux. Jeanneton se lava les mains, et de ses doigts les louis d’or tombèrent par dizaines.
« Belle Jeanneton, je suis amoureux fou de toi. Veux-tu de moi pour mari ?
– Prince, pour me marier, il me faut le consentement de mes deux frères.
– Malheur ! Tes deux frères gisent dans un cachot noir, rongés par les vers et les rats.
– Prince, mène moi dans ce cachot noir. »
Le Fils du Roi obéit. Alors, Jeanneton toucha ses deux frères avec la fleur rouge, la fleur de mer qui ressuscite les morts. Aussitôt, la fleur se flétrit, et les deux frères se relevèrent, forts et hardis.
« Mes frères, voulez-vous du Fils du Roi pour mon mari ?
– Petite soeur, nous le voulons. »
Ce même jour, le Prince épousa la belle Jeanneton, et ils vécurent longtemps heureux.

Vous l’aurez peut-être remarqué, il n’y a dans ce texte aucune description, même vague, du Drac. On sait seulement avec certitude qu’il n’est pas humain, ce qui laisse cependant un certain nombre d’autres possibilités…

PoseidonLa première fois que j’ai lu ce conte, je me suis représentée le Drac à l’image du Bécut ; un ogre immense avec un seul oeil au milieu du front, mais avec quelques attributs aquatiques en plus, bien entendu. Mais peut-être le Drac partage-t-il en réalité le physique puissant et viril du Roi Triton et de Poséidon ?

Ma foi, la réponse est laissée à la libre interprétation de notre imagination…

Ceci dit, si je n’ai trouvé nulle part ailleurs mention de ce Roi des eaux, ma bibliographie n’est pas exhaustive… Si vous avez déjà rencontré sa route dans un autre ouvrage que celui de Bladé, n’hésitez pas à m’en faire part en commentaire ! 🙂

La gardeuse d’oie – ou la version landaise du conte de Peau-d’Âne

Il y a quelques temps, je vous racontais l’histoire de La petite anguille , un conte traditionnel landais rapporté par le folkloriste Félix Arnaudin, qui avait énormément de points communs avec le conte de Cendrillon. Tout y est ; la marâtre, la jeune fille persécutée, le prince, la belle robe, les coups de minuit et même la pantoufle de verre. Seuls quelques détails permettaient de replacer ce conte dans nos Landes et de lui donner une agréable saveur locale.

Je vous avais dit à la fin de cet article que d’autres contes de Félix Arnaudin m’avaient beaucoup fait penser aux contes traditionnels européens de notre enfance.
Et aujourd’hui je vais vous parler d’un conte (ou plutôt de deux contes, en réalité) qui se rapproche énormément de celui de Peau-d’Âne. Malgré une introduction très différente, plus on avance dans le récit, et plus, vous le verrez, l’impression de déjà-vu (ou de déjà-lu) se fait sentir…

illustration-de-h-j-ford-datant-de-1889-la-petite-gardeuse-d-oies-fairyillustration de H.J. Ford, 1889

Cette histoire s’intitule La gardeuse d’oies, et voici de qu’elle raconte :

 » Il était une fois un seigneur qui avait trois filles. Il était fort riche et passait tout son temps à la chasse.
Un jour qu’il chassait, il fut pris d’une très grande soif. Il rencontra un chevrier, sur la lande, et il lui demanda à boire. L’autre lui montra une lagune.
– Tu bois donc là, dans cette lagune, garçon ? dit le seigneur.
– Eh oui, monsieur.
Il fallait boire de l’eau de cette mare ou supporter la soif. L’homme but, mais il trouva cette eau si mauvaise qu’il s’écria :
– Si jamais je bois de nouveau de cette eau, je veux bien que le diable me saute à la barbe !
Quelques jours plus tard, le seigneur repartit chasser dans ce même coin de lande. Il faisait très chaud, et la soif le prit de nouveau tout près de la même lagune. L’homme ne voulait pas boire, mais la soif fut la plus forte ; il se mit à boire. Mais à la première gorgée, plap ! le diable lui sauta à la barbe.
– Eh ! Laisse-moi aller ! s’écria l’homme.
– N’as-tu pas dit que tu voulais que le diable te sautât à la barbe s’il t’arrivait de revenir boire dans cette flaque ?
– Si ! Si !… Mais laisse-moi m’en aller…
– Je ne te laisserai pas aller si tu ne me promets pas de me donner quelque chose.
– Et que veux-tu que je te donne ?
– Tu as trois filles bonnes à marier, toutes fort belles et charmantes. Il faut que tu m’en donnes une.
– C’est entendu.
L’homme promit. Il n’y avait pas d’autre moyen pour lui de se défaire du diable.
A son retour chez lui, il appela son aînée :
– Première fille, comment m’aimes-tu ?
– Papa, comme le bon pain ! lui répondit la fille.
Le père appela la seconde :
– Seconde fille, comment m’aimes-tu ?
– Papa, comme le bon vin ! lui répondit la seconde.
Alors, le seigneur appela la plus jeune :
– Dernière fille, comment m’aimes-tu ?
– Papa, comme le bon sel ! lui répondit la dernière.
– Au diable je te donne ! s’écria l’homme.
– Et que vous ai-je donc fait, pour que vous vouliez me donner au diable ? demanda la jeune fille toute désolée.
– Tu ne m’aimes pas. Je ne veux plus te voir et je te donne au diable, dit le seigneur.
La malheureuse fillette avait une marraine qui demeurait dans aux environs. Elle demanda à son père la permission d’aller lui faire ses adieux avant de partir.
La vieille dit à la jeune fille :
– N’aie pas peur, petite. Le diable ne t’emmènera pas bien loin. Je vais te donner un poulet roux. Quand tu auras parcouru un bout de chemin avec le diable, tu le feras chanter. Alors, quand il entendra le chant du poulet roux, le diable ne pourra pas faire autrement que te laisser partir.
Le valet conduisit la jeune fille bien loin sur la lande, à l’endroit qui était convenu avec le diable. Elle portait un paquet de ses belles robes, et le poulet de sa marraine dans un panier.
Le diable l’attendait à cheval, au bord de la lagune. Quand la jeune fille arriva, il la prit par la main et la fit monter à cheval derrière lui. Et ils s’en allèrent ainsi, à travers la lande.
Quand ils furent à quelque distance :
– Chante, poulet roux ! Chante !
Le poulet chanta et aussitôt, hup ! le diable la jeta à terre en criant :
– Homme, j’ai jeté ta fille dans un bois, va la chercher si tu veux !
Et il s’échappa au grand galop.
La jeune fille, au lieu de s’en retourner chez son père qui ne voulait plus la voir, se mit à marcher, et marcher, et marcher encore ; elle arriva dans une maison, à demi-morte de faim et de soif.
– Bonjour, braves gens.
– Bonjour, petite, dit la maîtresse. Que cherches-tu donc par les chemins ?
– Oh ! je cherche de l’ouvrage, tenez ! N’auriez vous pas besoin d’une servante dans cette maison ?
– Si, justement, nous avons besoin d’une gardeuse d’oies. Si tu veux rester ici, nous te garderons avec nous.
Et le lendemain, on l’envoya garder les oies.
Et, tandis qu’elle faisait paitre les oies, toute seule dans la lande, la jeune fille, pour se distraire, revêtait une de ses belles robes, une de celles qu’elle portait chez son père, et elle se faisait fort belle. Mais, aussitôt que les oies voyaient arriver quelqu’un au loin, elles se mettaient à crier, et elle troquait vite ses belles robes contre ses haillons. Elle rentrait le soir, vêtue de sa mauvaise robe trouée, et chemin faisant, elle ramassait quelques grains de brande qu’elle gardait sur son sein. Et tout en se chauffant, à la veillée, elle ne cessait de se gratter, et de temps en temps, elle ramenait quelques-uns de ces grains de brande qu’elle jetait dans le feu. Cela pétillait et les autres disaient :
– La gardeuse d’oies est pleine de poux… Jolie comme elle est, elle ne fait guère de toilette !
Pourtant, on finit par savoir dans le voisinage qu’il y avait dans cette maison une jeune fille, la plus belle qu’on eût jamais vue. Le fils du roi lui aussi avait entendu parler de la belle gardeuse d’oies. Un soir, il la rencontra comme elle revenait de la lande, et il fut extrêmement surpris de voir des mains si fines, et un diamant au doigt de cette fille qui gardait des oies. Il pensait bien qu’il y avait quelque chose de caché là-dessous, mais il ne savait pas quoi.
Un jour, il décida d’aller l’épier parmi ses oies. La jeune fille venait justement de revêtir une robe couleur du ciel. Mais les oies dénoncèrent le jeune homme du plus loin qu’elles l’aperçurent, et lorsqu’il arriva, il trouva la gardeuse d’oies habillée de sa robe de tous les jours, toute crasseuse et mal coiffée.
Le lendemain, le fils du roi voulut retourner voir la gardeuse d’oies. Elle, ce jour-là, avait revêtu une robe qui brillait comme les étoiles. Mais, aussitôt qu’il apparut au loin, les oies donnèrent l’alarme, et lorsqu’il arriva, il trouva la gardeuse d’oies avec sa jupe toute trouée et déchirée.
Le jour suivant, le jeune homme revint l’épier. Mais, ce jour-là, il arriva par un chemin détourné, en se dissimulant derrière les buissons, afin que les oies ne le vissent pas. Et il surprit la gardeuse vêtue d’une robe couleur du soleil, occupée à se coiffer avec un peigne d’or. Il s’approcha alors de la jeune fille interdite, lui prit sa bague et s’en alla.
Une fois rentré chez lui, le fils du roi fit crier en tous lieux qu’il avait trouvé une belle bague d’or, et que toutes les jeunes filles du pays devaient venir l’essayer le lendemain. Et il fit ajouter qu’il épouserait celle qui pourrait mettre la bague.
Pensez que toutes les filles du pays ne se firent pas prier, le lendemain, pour venir l’essayer. Mais aucune n’avait le doigt assez fin pour la passer. Enfin, la gardeuse d’oies se présenta à son tour, mal vêtue et dépenaillée : tout le monde se moquait d’elle. Mais elle passa la bague à son doigt, sans effort, et elle se trouva lui aller.
Voyant cela, le fils du roi déclara qu’il l’épouserait et il ordonna de faire tous les préparatifs de la noce.
Le jour du mariage, tous les nobles du pays avaient été invités, et le père de la jeune fille était parmi eux ; pourtant il n’avait pas reconnu sa fille, qu’il croyait depuis longtemps chez le diable. Et comme c’était un des plus grands seigneurs de la contrée, il mangeait à la table des époux.
La mariée s’occupait elle-même de le faire servir. Et, de tous les plats qui arrivaient, elle faisait mettre de côté une part sans sel et elle la donnait à son père. Tout ce qu’elle présentait était sans sel. A la fin, le vieux seigneur ne put s’empêcher de dire :
– Belle noce, oui ! Il y a de tout. Pourtant il manque une chose : le sel ! Ici tout est sans sel…
– Comment ? s’écria l’épouse. Vous ne trouvez donc pas la nourriture bonne, sans sel ?
– Oh ! non, répondit le vieillard. Les mets les plus fins, je n’ai jamais pu les apprécier sans sel.
– Eh bien, ne vous souvenez-vous pas qu’une fois, je vous dis que je vous aimais comme le bon sel, et que vous me répondîtes : « Au diable je te donne », vous en souvenez-vous ?
Lorsqu’il entendit ses paroles, le vieillard faillit mourir de saisissement. Enfin, il reprit ses esprits et sa fille lui pardonna le mal qu’il lui avait fait endurer. « 

L’un des éléments du conte de Peau-d’Âne qui m’a le plus frappée quand j’étais enfant, ce sont ces robes magnifiques couleur du temps, de la lune, et du soleil. Ainsi, lorsque j’ai lu ce conte de Félix Arnaudin, la mention d’une robe couleur du ciel, d’une robe couleur des étoiles, et d’une autre couleur du soleil, m’y a bien sûr immédiatement fait penser…
Et les similitudes ne s’arrêtent pas là. On retrouve l’histoire d’une jeune fille noble obligée de fuir son domicile, qui se retrouve à travailler avec des bêtes, vêtue comme une souillon, et qui porte ses robes grandioses lorsqu’elle est seule, pour se divertir. On retrouve également le jeune prince qui en tombe amoureux, et la bague qui lui permet de la désigner aux yeux de tous comme celle qu’il doit épouser.

Définitivement, La gardeuse d’oie était pour moi la version landaise du conte de Peau-d’Âne. Pourtant, un élément, et pas des moindres manque à cette liste de points communs : la peau d’âne, justement !

 

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Et c’est avec étonnement que je me suis aperçue que le conte suivant, dans mon recueil des contes de Félix Arnaudin, s’appelait… Peau-d’Âne. Je me suis très sérieusement demandée pendant quelques secondes si la maison d’édition n’avait pas fait une erreur et interverti les titres des deux contes, mais non ! Ce conte-ci raconte bien l’histoire d’une jeune fille, encore une fois chassée de chez elle par son père, qui se retrouve obligée de porter une peau d’âne sur le dos. Mais pour le coup, les similitudes avec le conte de Perrault s’arrêtent là, et cette histoire est finalement moins riche et, à mon goût, moins intéressante que La gardeuse d’oies (dont le titre fait d’ailleurs également écho au conte La petite gardeuse d’oies des frères Grimm… Décidément, les contes ne cessent de se croiser et de se mélanger…).

Mais si vous êtes aussi curieux que moi, et que vous souhaitez connaître l’histoire de conte, ma foi il ne vous reste qu’à trouver une copie des Contes des Landes de Félix Arnaudin, et de le lire par vous-même ! 🙂

La légende du foie gras

Je vous racontais il y a quelques temps la légende (du moins, l’une des légendes) racontant l’invention de l’armagnac, mais il existe dans les Landes, et en France de manière plus large, bien d’autres histoires venant expliquer la création de spécialités culinaires locales.
Et c’est sans surprise que l’on trouve une légende landaise autour du foie gras, ce met très réputé (bien qu’aujourd’hui très controversé), un plat de fêtes, de luxe même, qui est LA grande spécialité de notre région.

Voici ce qu’elle raconte :

« Cette histoire se déroule il y a fort longtemps, lors de l’occupation romaine.
En ce temps-là, les romains avaient soumis le peuple des Tarbelles, qui vivait désormais sous leurs ordres. Il y avait une famille de paysans qui travaillaient près de la villa romaine du Mont, qu’on appelle aujourd’hui Montfort, et dans cette famille il y avait une petite fille de 8 ans, Yantine, avec de jolies boucles brunes qui dansaient autour de ses joues rondes et de son doux sourire. Cette famille de paysans cultivait la terre et élevait des volailles car le maître aimait manger des oies, comme cela se faisait à Rome.

De la couvée d’avril, Yantine avait recueilli un pauvre petit oison tout déplumé, un pauvre petit malheureux que ses frères picoraient et martyrisaient. Elle lui fit un nid bien chaud, avec de la paille et de la fourrure, et elle le nourrissait avec ce qu’elle mangeait elle-même, c’est-à-dire de la bouillie de maïs. Et très vite, l’oie devint grande. Elle restait toujours près de Yantine, réclamant ses caresses et quémandant à manger, car elle était devenue très gourmande et raffolait du maïs, rien que de maïs. L’oie devint grosse et grasse, car à chaque bouchée de la petite fille, elle en réclamait sa part. Elle caquetait et enfournait, enfournait et caquetait, jusqu’à presque s’étouffer, le bec dressé et sifflant, les yeux tout rouges. Alors Yantine s’empressait de masser son long cou soyeux de ses petites mains afin de faire descendre la bouchée trop gourmande. Et de nouveau notre oie caquetait. Et elle devint énorme.

Un jour qu’il visitait le domaine, le maître romain la vit, si grasse, si appétissante, et il voulut la manger. Il ordonna aux paysans de la lui apporter le jeudi suivant.
La pauvre Yantine pleura, pleura, mais rien n’y fit, il fallait bien s’exécuter. On apporta l’oie au maître. Et le lendemain, grand émoi, le père fut mandé à la villa de toute urgence, car le maître voulait le voir.
L’homme fut introduit auprès du romain et le trouva, lui et ses invités, allongés sur leur lit, le visage illuminé et luisant de graisse.
– Ah, tu nous as fait manger un plat digne des Dieux ! Par Jupiter, cette oie était succulente, et son foie, oh son foie ! Il faut que tu en élèves d’autres, beaucoup d’autres, et ta fortune sera faite !
Alors notre homme rentra chez lui, un peu inquiet, et raconta tout à sa femme qui lui répondit :
– Ne vois-tu pas que notre bête était grosse car elle n’a mangé que de la bouillie de maïs ? Demande donc beaucoup de maïs au maître, et tout ira bien !
Ainsi fut fait, on lui donna autant de maïs qu’il voulait, et les oies furent nourries et gavées au maïs. Elles eurent des foies gras magnifiques, et les Romains en firent leur délice.
C’est comme ça que le foie gras conquit Rome et resta l’apanage de notre contrée. »

Ce serait donc à l’époque des Romains qu’aurait été inventé le foie gras. Mais peut-être aurez-vous noté quelques incohérences dans cette histoire… Comme souvent, la légende prend des libertés, et ne prétend pas coller parfaitement à la réalité historique bien évidemment…
En effet, le maïs n’existait absolument pas en France à l’époque des Romains, ni même pendant les siècles qui ont suivi ; il n’a été introduit en France qu’au XVIème siècle ! Impossible donc que la source de nourriture principale de notre petite famille Tarbelle eut été le maïs…
La pratique du gavage, par contre, remonte bien à l’Antiquité, et du temps des romains on gavait les volailles avec, entre autres, des figues séchées. Le goût devait certainement être bien différent !

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Bas relief d’une nécropole égyptienne montrant le gavage des oies.

Mais si on le souhaite, on peut se laisser aller à imaginer que cette histoire landaise a malgré tout une part de vérité, en tout cas en ce qui concerne le pratique du gavage au maïs. Et si c’est le cas, notre Yantine vivait probablement plutôt au XVIIème siècle, et le maître était plus vraisemblablement le marquis de Poyanne…

Mais qu’importe, les landais ont préféré détourner la réalité et enjoliver cette histoire en la plaçant à l’époque des romains, peut-être car ce temps très éloigné fascine et éveille l’imagination…

 

Source : Contes et légendes des Landes, Dr Jean Peyersblanques

Les fleurs d’Huchet

Vous l’aurez certainement compris au fil des articles, de nombreuses légendes ont vu le jour afin de donner une explication à l’existence de telle ou telle chose, au nom donné à tel endroit, ou au goût de tel aliment…
C’est ainsi que la présence dans les Landes de pierres dressées a inspiré les légendes des Pierres de la fée, que l’on a imaginé qu’un baron sorcier à l’âme sombre aurait donné son nom à l’Étang Noir, ou encore que le Diable lui-même était à l’origine du goût brûlant de l’Armagnac

N’importe quel élément de la nature, n’importe quelle invention de l’Homme, peut être le point de départ d’une légende.
Et même la plus petite et simple des choses, comme une fleur…

C’est ainsi qu’au gré de mes lectures, je suis tombée sur ce joli conte qui nous explique comment les fleurs telles que les œillets et les immortelles sont apparues sur nos dunes landaises.
C’est une nouvelle fois le Dr Jean Peyresblanques qui nous a rapporté cette petite histoire (et je ne peux que vous encourager une fois de plus à vous procurer son livre Les Contes et Légendes des Landes, qui est une incroyable référence à la matière. Les quelques extraits que je diffuse ici ne sauraient suffire à lui rendre hommage).

Avec cette histoire, je vous invite à voyager un peu, non seulement vers notre bien connu Courant d’Huchet, mais bien plus loin encore, vers le lointain pays d’Egypte…

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Autrefois, il y a très longtemps, vivait en Egypte une gentille petite fille. Son front pur était surmonté du Pschent royal, et elle vivait heureuse aux côtés de son frère, le roi. Elle aimait se promener au bord du Nil et cueillir des nénuphars. Elle contemplait, dans les couchants fuligineux, la masse imposante des pyramides.

Un jour, au retour d’une promenade sur le Nil, elle descendit de sa galère, une fleur d’hibiscus à la main, une jolie fleur rose toute fragile. Le grand prêtre l’attendait, le visage grave et triste.

– Majesté, il vous faut partir. L’ennemi est à nos portes !

La mort dans l’âme, la pauvre petite princesse partit avec sa galère dorée. Elle voyagea longtemps, sans trouver d’endroit où se cacher. Là, les côtes étaient trop rocheuses, là on était trop près de l’Egypte, là les hommes étaient féroces. Elle rentra enfin dans un petit golfe qui lui parut adorable, entre des berges de sable. Elle y laissa tomber une graine de son hibiscus, mais apparurent alors des hommes qui mangeaient des coquillages.
La petite princesse prit peur, et vite, la galère reprit la mer et s’arrêta au boucau voisin. C’était un petit courant qui folâtrait ensuite entre les joncs. La princesse pensa au papyrus de son pays et décida de rester. Elle jeta son hibiscus dans le flot et il se mit aussitôt à fleurir, alors qu’à ses pieds les nénuphars aux larges corolles dardaient les blancs pétales de fleurs au coeur de soufre.

rnn57-rnn_courant_dhuchet_003Un hibiscus au Courant d’Huchet
source

Les canards sauvages qui nichaient là vinrent la saluer, les uns avec leur casque noir et leur col vert, d’autres avec leur casque vert. Elle les appelait ses petits soldats volants.
Hélas, elle s’ennuyait. Les canards décidèrent alors de lui porter une fleur (rose, dirent-ils, puisqu’elle aime beaucoup les hibiscus). Mais les fleurs sont orgueilleuses : la rose ne voulut pas se sacrifier pour une fille d’Egypte, elle la reine des Perses ; le pêcher préféra rester dans sa Chine aux princesses délicates ; les bougainvilliers tenaient trop aux brunes maories ; le glaïeul prétendit que l’air marin gâtait son teint.
Seul le petit oeillet, tout gracieux, accepta de ravir les yeux de notre princesse. Il s’installa modestement sur le sable chaud de la dune et apprit à fleurir, simplement mais avec une odeur exquise. Souvent, allongée sur le sable blond, ses longs cheveux noirs encadrant l’ovale pur de son visage, notre princesse rêvait dans le parfum de notre oeillet, les yeux fixés sur l’horizon.

Dans l’émeraude changeante de l’océan, elle cherchait, en vain la pauvrette, les couleurs vives du Nil et le lapis-lazuli égyptien. Un jour, elle décida de quitter cette terre qui l’avait cachée. Son pays lui manquait tant et le temps avait passé ; peut-être pourrait-elle rentrer sans danger. Cependant elle voulut remercier tous ses amis :

– Pour vous mes amis, les canards et tous les oiseaux des grands voyages, pour vous mes amis les sangliers et les biches de la forêt, ce courant sera toujours un havre de paix et de repos, une halte où l’on aime boire en compagnie des hibiscus et des nénuphars. Sur la dune, toi mon petit oeillet, tu fleuriras toujours modestement et odorant, mais pour que tu ne t’ennuies pas, je te donne une petite plante toute verte qui fleurira toute l’année : l’immortelle.

Ainsi, depuis la venue de la petite reine, l’oeillet et l’immortelle fleurissent-ils toujours sur nos dunes landaises, et, caché par l’une d’elles, le Courant d’Huchet aux hibiscus délicats dévide ses méandres mystérieux.
Allez-y mes amis, et vous verrez ces fleurs royales !

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Désormais, lorsque vous apercevrez ces fleurs le long des dunes ou sur le courant d’Huchet, ayez une pensée pour cette petite princesse égyptienne qui avait fait de notre nature landaise son sanctuaire…

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Les loups-garous

Aujourd’hui je vais vous parler de cette créature maléfique et redoutable qui courait autrefois à travers la lande et qui terrorisait la population : le loup-garou.

A l’époque où l’on pourchassait les sorcières et où on les faisait brûler sur un bûcher, les loups-garous étaient également considérés comme des serviteurs du Diable, des créatures aux pouvoirs diaboliques qu’il fallait traquer et punir, au même titre que les sorcières. On croyait que ces loups monstrueux étaient en réalité des sorciers qui avaient le pouvoir de se transformer en bête sanguinaire une fois la nuit tombée, afin de goûter à l’ivresse et à la puissance animale, et perpétrer des massacres.

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Dans les Landes, on racontait que pour acquérir ce pouvoir, un sorcier devait se procurer la pèth, une peau de loup offerte par le Diable. Pour cela, il devait se rendre à la croisée de quatre chemins à minuit, et y étendre un drap, qui se transformerait en peau de loup une fois l’aube revenue. Pour un sorcier, cette peau était une bénédiction, une source de pouvoir supplémentaire qui lui donnait puissance et force, et lui permettait de goûter au sang humain.
Malheureusement, il pouvait arriver qu’un honnête homme se retrouve bien malgré lui en possession de cette peau… En effet, si un homme marchait par mégarde sur ce drap étendu en pleine nuit, c’est lui qui se retrouvait en sa possession, et qui était alors frappé de cette terrible malédiction ; chaque nuit il devait devenir loup-garou, et chaque matin se réveiller les mains pleines de sang, et sans aucun souvenir de ce qui s’était déroulé au cours de la nuit.

Le plus connu de ces sorciers loups-garous est probablement le baron de Seignosse, Eric, donc je vous racontais l’histoire dans La légende de l’Étang Noir. Mais bien d’autres histoires de loups-garous existent dans les Landes, qui bien souvent ne prennent pas la forme de vieilles légendes que l’on se racontait au coin du feu pour se faire peur, ou pour donner une explication au nom d’un lieu comme c’est le cas pour l’étang noir. Souvent ces histoires de loups-garous étaient racontés comme des faits réels, des histoires avérées qui se seraient déroulées dans un village voisin.

Dans le village de Commensacq par exemple, dans les hautes landes, il y avait un certain Bertrand que l’on disait loup-garou. Tout le monde le savait, et tout le monde savait aussi qu’il cachait sa peau de loup dans un vieux chêne à la sortie du village. Quand Bertrand se levait tard le matin et était en retard à son travail, on disait « Ah, Bertrand a dû courir toute la nuit ! ». Mais un jour, on ne le voyait jamais sortir de sa maison. Alors on décida d’aller l’y chercher et on le trouva dans son lit, tout sanglant et à demi-mort. Il avait les jambes criblées de plomb. Quelqu’un avait dû lui tirer dessus alors qu’il avait sa forme de loup, et il était venu se réfugier dans son lit pour mourir.

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Mais parfois, quand un loup-garou faisait trop de dégâts, on cherchait à le démasquer, à révéler son identité, plutôt que le tuer directement. Félix Arnaudin nous a rapporté l’une de ces histoire :

       Un loup-garou courait chaque nuit dans un même quartier, et tous les soirs on l’entendait qui léchait le fond de l’auge près d’une maison. On accusait un dénommé Martignolles d’être ce loup-garou. Le maître de la maison guettait ce chien, et il avait un gendre qui habitait chez eux. Un jour il lui dit :

– Ce soir, il nous fait attraper le loup-garou. Tu vas placer l’auge là, derrière le trou à paître, et tu te caches. Quand le chien sera devant l’auge, ferme vite la porte de l’étable.

Tout se passa fort bien. Aussitôt le chien enfermé, le beau-père arriva, portant une grande chandelle de résine.

– Ah ! Fils de garce de Martignolles, je t’ai attrapé à la fin ! Je t’ai attrapé ! Tiens, je vais te faire cuire un peu ! »

Et, avec la chandelle de résine, il lui brûla toutes les babines. Le chien avait le museau tout plein de cloques, c’était affreux à voir ; et il poussait de tels hurlements que le maître dit à son gendre :

– Lâche-le maintenant, et laisse-le aller. Il souffle si fort que j’ai peur qu’il nous démolisse la maison !

Le lendemain, après manger, ils partent tous deux en direction de l’auberge que tenait le dénommé Martignolles.

– Bonjour, dirent-ils à la patronne. Où est donc le maître ?
– Oh ! dit-elle d’une voix toute douce. Il est allé garder les brebis. Il est malade, tiens !
– Ah, il est malade !
– Oh oui ! Les brebis se sont prises dans les broussailles, et lui, en allant les retirer, il s’est égratigné tout le visage.

Juste à ce moment, l’homme arrivait. Son visage était en effet tout boursouflé.

– Les brebis se sont mises dans les ronces… En allant les sortir de là, je me suis égratigné les joues.

Puis en observant le beau-père qui se tenait là, il dit :

– Tu est un méchant homme … Toi et ceux de chez toi… Je ne vous aime pas.
– Et quand m’as-tu trouvé méchant, moi, pauvre homme ? dit l’autre.
– Tu es un méchant homme, je ne t’aime pas, je ne t’aime pas, je ne t’aime pas !

Alors après ça, vous pensez…

-Je vous avais dit qu’il était loup-garou. Je lui ai brûlé les babines. Ai-je menti ?

Et tout le monde dut bien reconnaître que ce Martignolles était bien un loup-garou pourri.

Illustration LoupIllustration, Journal et choses de la Grande Lande, Félix Arnaudin

La peur du loup-garou a longtemps imprégné la population, et cela s’explique par la forte présence du loup, ce prédateur redouté et diabolisé, qui peuplait les Landes autrefois. Cet animal, malgré le fait qu’il n’attaquait quasiment jamais les humains, terrifiait les hommes depuis des siècles déjà, et avait une réputation de monstre sanguinaire et cruel, de dévoreur d’enfants. Cette image lui a tant collé à la peau que lorsque la peur du Diable et de ses serviteurs s’est répandue dans les campagnes, on y a associé cet animal que l’on redoutait tant. On en a fini par croire que certains de ces loups étaient des sorciers déguisés, à tel point qu’il est parfois arrivé qu’un loup soit capturé vivant, jugé et brûlé…

Le loup a tellement souffert de cette mauvaise réputation qu’il a fini par être complètement exterminé, effacé du paysage français. Depuis quelques années, le loup fait doucement réapparition du côté des Alpes françaises, et sa présence sur le territoire fait encore polémique aujourd’hui, malgré le fait qu’il soit classé parmi les espèces protégées et en danger…

La légende de la bruyère

Aujourd’hui j’ai choisi de partager avec vous une histoire qui m’est chère, intitulée « La légende de la bruyère », probablement l’un de mes contes landais préférés. Je ne m’en cache pas, si j’aime cette histoire à ce point, c’est qu’elle reprend tous les codes, les symboles, les trames des contes bien connus de notre enfance tels que Blanche-Neige ou La Belle au Bois Dormant, transformant cette lecture en doux retour en enfance.

Je vous le disais dans l’article sur le conte La petite anguille, il n’est pas étonnant de retrouver dans nos contes locaux des similitudes avec les grands contes européens de Perrault ou des frères Grimm. Certains thèmes, certains archétypes, sont universels et traversent le temps et l’espace.

C’est le Dr Jean Peyresblanques qui a recueilli ce conte auprès d’une dame originaire d’Aurice, près de Saint-Sever, et qui le tenait elle-même de sa grand-mère. Je vous laisse découvrir cette jolie histoire et comprendre par vous-même cette agréable impression de déjà-vu dans laquelle elle m’a plongée.

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« Autrefois, il y a très longtemps, vivait dans les Landes une bergère de 13 ans, très jolie et très malheureuse. Sa mère était morte et son père s’était remarié avec une femme très méchante. Les voisins disaient qu’elle était sorcière. Avec son mari, la femme était très gentille, mais quand le pauvre était parti au travail, elle commençait à harceler l’enfant, lui donner du travail ; il n’y en avait jamais assez, toujours aiguilles et coudre, balai et nettoyer, chaudron et récurer… Heureusement, il y avait des brebis. Il fallait les amener au pré et dans le sous-bois. C’était aussi le travail de l’enfant. Celle-ci préférait aller dans la lande. Elle avait toujours un petit brin de bruyère sur le cœur, retenu par une épine. Elle avait l’habitude de voir les abeilles chanter et n’avait jamais peur. (…)  Dans la lande, tout le monde était son ami. »

Plus le temps passait, et plus la sorcière faisait grise mine. Agnoutine grandissait, faisait toujours son travail, et devenait de plus en plus jolie. La femme ne le supportait pas, et fut prise d’une jalousie sans nom lorsque le fils du seigneur, un beau baron d’autrefois, posa les yeux sur la jeune fille et l’avait regardée d’un air qui en disait beaucoup…
La marâtre décréta que c’en était assez, et décida d’accompagner Agnoutine dans la lande le lendemain afin de régler cette affaire une bonne fois pour toute.

« Et ainsi, elle arriva à la Lande et dit :
– Non, pas ici, un peu plus loin, non pas ici… Tiens, ici, à côté du cante coucut*. Ha ! Ha ! Fillette, tu aimes la bruyère ? Et bien, à partir de maintenant, tu demeureras bruyère. Trabuc, pachiu, pachiu, trabuc. Bruyère demeure, bruyère, bruyère, bruyère !… Maintenant tu peux dormir. Il n’y a qu’un baiser d’amoureux qui peut te tirer de là.
Et dans la lande, tout à côté du cante coucut, au milieu des ronces, des genêts, des ajoncs petits et grands, une bruyère apparut avec des pleurs sur ses fleurs roses.
– Maintenant perdue tu es, perdue tu resteras. Pas un ami ne te trouvera. »

Mais la sorcière ne savait pas que les abeilles regardent et sentent tout dans la lande, et qu’elles se mirent à la recherche d’Agnoutine. En butinant le miel de cette bruyère nouvelle, elles reconnurent l’odeur de leur amie, et depuis lors il ne se passa pas un jour sans que les abeilles virevoltent autour de la fleur afin de lui tenir compagnie et de lui raconter mille et une choses. Les brebis aussi s’échappaient et venaient dire bonjour à leur chère bergère. Ainsi la petite bruyère avait toujours quelqu’un près d’elle et le temps ne lui paraissait pas si long.
Pourtant, les années passèrent. Trois étés et trois hivers se succédèrent.

« Le fils du seigneur était maintenant un homme, mais on ne pouvait pas dire qu’il aspirait à se marier. Son père, et sa mère, n’étaient pas contents. On lui avait présenté des belles filles. Le fils avait dit :
– Celle-ci a l’oeil de travers. Celle-là la langue tournante. Celle-là le pied cagneux…
Il n’en voulait pas. Il était toujours à la chasse. Il ne disait rien. Les pauvres parents avaient demandé à un médecin de le voir. Celui-ci avait dit :
– Cela lui passera. Il a le temps pour se marier. Il a encore le coeur barré. »

Car en réalité, notre jeune seigneur rêvait encore à la jeune et jolie bergère qu’il avait vue il y a quelques années de cela. Elle hantait son esprit, et sans cesse il la cherchait des yeux, se demandant où elle avait bien pu ainsi disparaître.
Un jour, alors qu’il revenait de la chasse bien fatigué, il arriva dans la lande et avisa le cante coucut, au pied duquel il s’installa pour se reposer un peu, et rêver, comme chaque jour, à sa bergère disparue.

« Et ainsi, la tête dans les mains, il laissa courir son regard sur la lande. A côté, dans un fourré d’ajoncs, il avisa une bruyère, grande, belle, la plus belle de toutes et avec des fleurs roses, roses, je ne peux vous expliquer, mais il y avait autour une ronde d’abeilles, c’est sûr.
Le jeune seigneur sauta sur ses pieds, et il commença à avancer dans les ajoncs. Ils piquaient, et les ronces aussi. Le chasseur ne voyait que la bruyère. A coups d’épée et coups de pieds, il arriva à la fleur. Les abeilles faisaient un doux bourdonnement, mais ne le piquèrent pas. (…)
Et avec son couteau de chasse, il en coupa une branche, la porta à ses lèvres et lui donna un baiser. Miracle, il avait dans ses bras une jeune fille, belle, belle avec des yeux brillants et des larmes comme des diamants. »

Agnoutine lui raconta toute sa triste histoire et le remercia chaudement de l’avoir délivrée de la malédiction de la sorcière. Le seigneur, tout heureux d’avoir retrouvé celle qu’il cherchait depuis tant d’années, s’empressa de lui demander de le suivre dans son château afin de l’épouser.

« La tête contre le jeune homme, la jeune fille laissait son cœur battre la chamade, et quand elle regarda le chasseur, les baisers commencèrent, un, deux, cent… Adieu, ajoncs épineux, ronces et genêts, et les brebis et les abeilles, avec le cheval tout joyeux, faisaient une ronde autour des amoureux. »

C’est avec une immense joie que les parents du jeune homme accueillirent sa nouvelle promise, et le mariage fut célébré quinze jours plus tard. Tout le village était invité, et ce fut le plus beau des mariages qu’on n’avait jamais vu.

« La jeune fille était encore plus belle avec des fleurs de bruyère sur la tête, et les abeilles avaient apporté dessus quelques gouttes de rosée, brillantes comme des diamants. Elle avait une traîne que portaient des fillettes, et les abeilles tournaient autour en bourdonnant doucement. (…)
En arrivant à l’église, elle vit son père tout desséché et vieilli, et à côté, la méchante sorcière, toujours faisant la tête. Les abeilles l’avaient vue aussi. Elle se précipitèrent dessus et se mirent à la piquer, piquer… laissant la femme morte d’un coup. (…) Le père, sa fille retrouvée et la sorcière morte, s’était revigoré. Et les voisins pensèrent : « Une sorcière de moins c’est bien, il y en a toujours trop ! »

Retrouvez ce conte dans son intégralité dans Contes et légendes des Landes de Jean Peyresblanques.

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Ainsi, vous le voyez, les thèmes de la marâtre, et de sa jalousie, du baiser délivreur, et de la forêt de ronces qui séparent notre héros de sa promise, font écho à de vieilles histoires connues de tous, et dans lesquelles il est toujours plaisant de se replonger.

Cependant, les détails qui nous sont livrés tels que la lande, les brebis, la bruyère, les abeilles, plantent bien le décor dans les landes anciennes et ancrent cette histoire qui paraît si familière dans un contexte local qui lui donne toute son originalité.

J’espère que vous aurez apprécié la découverte de ce joli conte au moins autant que moi ! 🙂

 

*cante coucut = un grand pin isolé, « chante coucou »

Les Lagunes de Nabias

Un peu au-dessus de la ville de Roquefort, dans la petite commune d’Arue, se trouve un site naturel qui porte le joli nom de Lagunes de Nabias. Ces étendues d’eau, entourées aujourd’hui de la forêt de pins, se trouvent là depuis des milliers d’années, puisqu’elles se sont formées lors des fontes de la dernière période glaciaire. Mais comme souvent, ce lieu représentait une énigme pour les populations locales, et une légende ne tarda pas à voir le jour, afin de fournir une explication à leur présence au milieu de la lande.

Cette légende, bien connue des locaux, est lisible dans sa version la plus courte sur le panneau placé à l’entrée du site, mais l’autrice landaise Georgette Laporte-Castède nous en offre une version plus étoffée dans son recueil Contes Populaires des Petites Landes.

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Voici ce qu’elle nous raconte :

« Autrefois, il y avait là une métairie, avec un logis, une « borde », et un fournil. Cette métairie s’appelait Nabias ; et à Nabias, vivait une famille composée de deux couples : le Maître et la Maîtresse, âgés tous deux de près de cinquante ans, et aussi leur fille et leur gendre, mariés depuis bientôt six ans, et qui n’avaient point d’enfants encore. Ils n’étaient pas nombreux, aussi vivaient-ils assez facilement.« 

Ce jour-là, le père et la fille étaient partis ensemble à la foire, le gendre s’occupait de faire brouter les brebis plus loin dans la lande, et alors la Maîtresse se retrouva seule dans la maison.
En milieu d’après-midi, elle aperçoit un homme, qui ressemble à un mendiant, s’avancer vers sa demeure.

 » – Tiens, qui est cet homme qui vient ici, à travers le champ ? Un voisin, peut-être ? Bah, on ne dirait pas ! Ah, je parierais que c’est encore un chemineau ! Si ce n’est pas malheureux ! Ici, il nous vient des ces fainéants, crevés de faim … Tiens ! Trois ou quatre par semaine. Et ils mendient… Et ils mendient ! Il leur faut de l’eau, il leur faut du pain, et aussi parfois un abri pour la nuit !« 

La Maîtresse de Nabias n’est pas du tout généreuse, et méprise ces personnes qui viennent la déranger dans sa maison. Les poings sur les hanches et le regard noir, elle reçoit notre voyageur avec défiance et lui refuse tout ce qu’il lui demande.

 » – Donnez-moi…
– Quoi encore ?
– Un morceau de pain ! Rien qu’un morceau !
– Du pain dur ? Dans l’armoire il n’en reste plus du tout, du tout… Même pas une miette ! Je vous le jure !
– Mais Maitresse, le four est plein de pains ! Ils sont cuits, c’est sûr…. et réussis !
– Comment savez-vous cela, vous ?
– Eh, tiens… Il sentent si bon ! Je n’ai rien mangé aujourd’hui. Je ne veux ni un pain ni une galette…
– Eh bien, quoi alors ?
– Seulement un morceau, un petit morceau…
– Ah non ! Vous n’en aurez pas une tartine, ni même une bouchée ! Rien !« 

Et après lui avoir ordonné de décamper une dernière fois, la femme saisit la pelle de bois et se met à le menacer. L’homme alors fait demi-tour et s’enfuit à toutes jambes.

De son côté, le gendre surveille le troupeau et aperçoit à son tour l’homme qui se dirige vers lui. D’abord étonné, il s’adoucit lorsqu’il comprend que l’étranger meurt de faim et ne demande qu’un quignon de pain. Malheureusement, il ne lui reste au fond de ses poches que quelques croûtons de pain dur, et il se trouve bien embêté de n’avoir que cela à lui offrir. Le mendiant les accepte tout de même et le remercie de sa serviabilité. Puis il lui demande s’il habite par ici. Lorsqu’il comprend qu’il loge à Nabias également, il lui dit :

 » – Mais… Vous ne pouvez pas rentrer chez vous avant la trombe d’eau ! Avez-vous vu le ciel là-bas, vers l’Ouest ?
– Eh oui, il se couvre ! Et comme ces nuages sont vilains ! Et comme ils avancent vite vers nous ! Et la tempête ne va pas tarder.
– Nous allons avoir du mauvais temps, beaucoup de mauvais temps, c’est certain ! Il faut, vite, vous mettre à l’abri !
– Et où, Mon Dieu ? Il n’y a pas de parc à montons ici ! Oh… Et qu’allons-nous devenir, les brebis, le bélier, le chien et moi ?
– Vous voyez ? Maintenant des éclairs et le tonnerre ! Il va pleuvoir à verse sous peu !
– Ah, bonne Sainte Vierge ! Que faut-il donc que je fasse ? Si je rentre chez nous avec les bêtes mouillées… eh bien, que va me dire…
 – Qui te fait peur ainsi ? Ta femme ?
– Oh non, pas elle, non ! Mais sa mère ! Ah elle n’est point commode, je vous l’assure, et la méchanceté la ronge.
– Ecoute-moi. Tu vois là-bas, ce fourré ? Au beau milieu se trouve un jeune chêne. Va-t-en vite t’abriter là dessous.« 

Le berger croit d’abord à une plaisanterie, ne comprenant pas comment cet arbre minuscule pourrait bien les protéger, lui et toutes ses bêtes, de la terrible averse. Mais le mendiant insiste et le presse, aussi décide-t-il de l’écouter. Et alors qu’il s’approche de l’arbre, celui-ci se met à grandir, grandir, et grandir encore, jusqu’à ce que ses branches et ses feuilles soient assez larges pour former un toit au-dessus de tout ce petit monde. Le berger et son troupeau sont bien à l’abri, tandis que l’eau se déverse à torrent et semble tout recouvrir. Le mendiant quant à lui, a disparu.
Au bout d’une heure, la tempête se calme, et une fois la terre asséchée, notre berger se remet en route vers Nabias. Mais à sa grande stupéfaction, la maison n’est plus là, la borde non plus, le fournil encore moins. A la place, trois lagunes ! La plus petite à la place du four, la deuxième là où se trouvait le parc à moutons, et la dernière, la plus grande, a remplacé le logis.

 » Et la Maîtresse, qu’est-elle devenue ? Ne se serait-elle point noyée ? Mais au fait, ce chemineau qui était-ce ? Etait-il… Le Bon Dieu, le Diable, ou quelque sorcier ? Cela, personne ne l’a jamais su. Mais l’histoire, il en reste encore quelques-uns (des vieux) qui la connaissent. Il en reste quelques-uns, c’est sûr mais bien peu. Et dans quelques années, qui s’en souviendra ?« 

Que Mme Laporte-Castède se rassure, la relève est assurée, et l’histoire ne sera pas oubliée 🙂 Je vous invite par ailleurs à découvrir ce conte dans son intégralité dans son recueil, qui a le mérite de présenter les contes en français et en gascons (oui, avec un « s », car ils sont retranscris en trois patois différents à chaque fois !).

Je note qu’il est fait mention, dans cette version du conte, de trois lagunes, or aujourd’hui il n’y en a que deux… La troisième se serait-elle finalement asséchée ? Je n’ai trouvée nulle part ailleurs mention de cette troisième lagune… Si quelqu’un a une quelconque information à ce sujet, qu’il n’hésite pas à nous la faire partager !

Je suis allée me promener il y a une quinzaine de jours aux Lagunes de Nabias. Je crains malheureusement de ne pas avoir choisi la bonne époque de l’année… En cette fin d’été qui a été très sec, le niveau de la plus grande lagune était bien bas, et la deuxième, quant à elle, n’avait plus aucune goutte d’eau. Mais il n’en reste pas moins que c’est un site très agréable, magnifiquement préservé (malgré les bruits de la circulation sur l’autoroute A65 qui passe tout près..), où l’on peut profiter d’une jolie randonnée, longue de 4kms, le long du sentier botanique inauguré il y a quelques années.

Je vous invite sans réserve à aller découvrir ces lagunes, sa faune et sa flore rares, ce lieu naturel fragile qu’il est important de protéger…

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La Grotte aux Fées

Tout au Sud du département des Landes, non loin de la ville de Peyrehorade, se trouve un petit village nommé Saint-Cricq-du-Gave. Si ce village a connu une certaine renommée au Moyen-Âge, se trouvant sur la voie romaine reliant Dax à Saint-Palais, il est aujourd’hui également réputé pour posséder l’une des grottes les plus longues du département. Cette grotte est mystérieusement appelée la Grotte aux Fées.

On ne peut que se douter qu’avec un tel nom, une jolie légende est rattachée à ce lieu énigmatique. Dans son livre Landes secrètes, croquis sur le vif, l’auteur Gilles Kerloc’h nous narre l’histoire de ces petites créatures qui vivent dans les grottes et filent des brins d’or :

Il y a de nombreuses années, s’élevait une belle maison, certes isolée des fermes voisines, mais judicieusement placée à côté d’un cours d’eau d’une grande pureté, traversant une grotte. Cette maison dite « de Soulenx », du nom des propriétaires, symbolisait leur richesse. Il circulait une rumeur persistante dans les fermes avoisinantes : la famille aurait conclu un pacte avec les fées résidant dans la grotte qui permettait à ces dernières de filer leurs brins d’or l’hiver, auprès du foyer de la maison. En échange, des chutes du fil doré étaient données régulièrement aux propriétaires.
La fille Soulenx se maria avec un bourgeois riche mais cupide, qui prit connaissance de la source de leurs revenus. Il en vint à demander aux fées de laisser chaque fois un peu plus de fils d’or, et encore plus et toujours plus. Ces dernières se fâchèrent et lancèrent un terrible sortilège avant de s’enfuir à jamais dans les profondeurs de leur abri : la maison tomberait en ruines et emmènerait ses résidents dans sa déchéance. Les Soulenx moururent et la maison, qui n’eut plus jamais de nouveaux occupants, s’effondra.

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Dans l’imaginaire landais, les fées sont des créatures complexes aux multiples facettes, tantôt bienveillantes, tantôt malfaisantes. On les dépeint parfois comme de petites créatures semblables à des lutins qui n’auraient de cesse de jouer des tours et des farces aux humains, parfois comme de magnifiques femmes aux longs cheveux qui se coiffent ou se lavent au bord des fontaines, qui sont légion dans le département.
Mais souvent, comme dans ce conte, les fées sont des êtres qui peuplent les grottes et qui filent le lin. Nous avions déjà rencontré ces fées-là dans les légendes Les pierres de la fée avec la pierre de Montpeyroux. Rappelez-vous, cette pierre est aussi appelée « la peyre de la Hade », ou la pierre de la fée, car l’on raconte qu’elles venaient filer le lin sur de grosses pierres comme celles-ci en guise de quenouilles.

On dit également que certaines de ces fées aident les filandières, en transformant en un instant en fil le lin le plus fin, à condition de le déposer à l’entrée de leur caverne.

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Mais si elle n’hésitent pas à venir en aide aux hommes et aux femmes qui leur en font la demande, les fées sont aussi des êtres puissants qu’il convient de ne pas offenser ! C’est le cas dans notre histoire, mais c’est aussi ce que l’on dit des fées de Saint-Etienne-d’Orthe, un autre village du canton de Peyrehorade.

Une commune d’eau, dotée de puits, de lavoirs et de fontaines, dont celle de Saint-Jean à la limite avec Pey.  Réputée et fréquentée pour ses eaux miraculeuses, elle se trouvait (parce qu’elle n’existe plus) dans le bois de Leus Peyrères, habité par des hades aux pieds de chèvre, qui aidaient le soir les femmes à filer. Vénérées dans cette région, elles pouvaient aussi se fâcher, car susceptibles ! Si la fontaine a disparu, elles sont peut-être encore là…
Les Mystères des Landes, Pierre CHAVOT, chap. Landes insolites, p189.

Aussi, la prochaine fois que vous vous promènerez près d’une grotte ou d’un cours d’eau, ayez une pensée pour ces petites fées qui gardent précieusement nos Landes… Mais gare à vous si vous les vexez, elles sauront vous le faire payer !