Les Sirènes

Nous l’avons déjà évoqué, les différents éléments naturels, et l’eau en particulier, avaient une grande importance dans la vie quotidienne des landais. Et l’océan, qui borde le territoire, rythmait l’existence d’une bonne partie de la population qui, sur le littoral, comptait un grand nombre de marins et de pêcheurs.

Il est une figure mythologique fort connue qui accompagna la vie de bien des peuples maritimes à travers le monde ; celle de la Sirène. Et les Landes n’y ont pas échappé.

Les marins landais entretenaient cette croyance populaire selon laquelle les sirènes, des êtres malfaisants et cruels, peut-être immortels, vivaient dans les profondeurs de l’océan. Est-il bien utile de vous rapporter la description de ces créatures fantastiques ? Depuis la mythologie grecque, les nombreuses légendes européennes, jusqu’au fameux conte de Hans Christian Andersen en 1837 et à l’adaptation de Disney plus de 150 ans après, cet être des eaux au corps de femme et à la queue de poisson a conquis l’imaginaire collectif et est devenu une créature fantastique incontournable.

9975b8a2
Des ouvrages entiers pourraient être écrits sur les origines de ce mythe et sa complexité, mais contentons-nous de voir ce que l’on en disait dans nos Landes.

Jean-François Bladé, célèbre historien et collecteur de traditions orales de la Gascogne, a livré une description détaillée de l’état de cette croyance dans les Landes au XIXème siècle :

Il y a des sirènes dans la mer. Il y en a aussi dans les rivières… Les sirènes ont des cheveux fins et longs comme la soie et elles se peignent avec des peignes d’or. De la tête à la ceinture, elles ressemblent à de belles jeunes filles de dix-huit ans. Les reste du corps est pareil au ventre et à la queue des poissons. Ces bêtes ont un langage à part pour s’expliquer entre elles. Si elles ont affaire à des chrétiens, elles parlent patois ou français.

On dit que les sirènes vivront jusqu’au jugement dernier. Certains croient que ces créatures n’ont pas d’âme. Mais beaucoup pensent qu’elles ont dans le corps des âmes des gens noyés en état de péché mortel…

Pendant le jour, les sirènes sont condamnées à vivre sous l’eau. On n’a jamais pu savoir ce qu’elles y font. La nuit, elles remontent par troupeaux et folâtrent en nageant au clair de la lune jusqu’au premier coup de l’Angélus du matin. Il arrive parfois qu’elles se battent. Alors elles s’égratignent et se mordent pour se sucer le sang. Au premier coup de l’Angélus, elles sont forcées de rentrer sous l’eau.

Force mariniers, en voyageant sur la mer, ont vu des troupeaux de sirènes nager autour des navires. Elles chantaient tout en nageant, des chansons si belles, si belles que vous n’avez jamais entendu, ni n’entendrez jamais les pareilles. Par bonheur, les patrons des navires et des barques se méfient et savent ce qu’il faut penser de ces chanteuses. Ils empoignent une barre et tombent à grand tour de bras sur les jeunes mariniers qui sont prêts à plonger pour aller trouver les sirènes. Mais les patrons ne peuvent pas toujours avoir l’œil partout, alors les sirènes tombent sur les plongeurs. Elles leur sucent la cervelle et le sang et leur mangent le foie, le cœur et les intestins. Les corps des pauvres noyés deviennent autant de sirènes au jugement dernier.

Les sirènes étaient donc très redoutées et représentaient un grand danger pour les marins. Cette réputation d’être maléfique et fourbe a traversé les siècles, mais a été mise à mal par le conte d’Andersen et sa Petite Sirène pure et innocente, qui a rencontré un tel succès qu’elle est aujourd’hui pour beaucoup la première représentation qui vient à l’esprit lorsque l’on évoque les sirènes. Du moins, c’est mon cas, puisqu’il s’agit de mon conte préféré…

Mais peut-être ne suis-je pas la seule ? En effet, l’auteur Charles Daney, dans son recueil Les contes des Landes, de la mer et du vent, publié en 2003, nous livre un personnage de sirène bien plus doux, très éloigné de la tentatrice à la voix envoûtante que l’on décrivait autrefois. Pour aller à la rencontre de cette sirène, il faut s’éloigner légèrement des limites du département actuel des Landes, et se rendre du côté du Bassin d’Arcachon.

18664280_10211808636243505_2346714727141428006_n

Charles Daney raconte que vit là la petite sirène verte du Bassin. Elle serait sortie à la surface une fois, lors d’une nuit sans lune, et aurait émerveillé de sa beauté les marins qui se trouvaient là, à tel point que les jours suivants, on ne parlait plus que de ça. Alors des étrangers sont venus de toute part, et ont ri haut et fort des croyances des habitants du Bassin, ce qui a bien attristé la petite sirène, qui a choisi alors de ne plus se montrer.

Depuis, elle se contente de protéger le Bassin, de dorloter les huîtres, de renseigner des poissons lorsqu’ils s’égarent aux croisements des chenaux qui ne sont balisés qu’en surface, de raconter de belles histoires qui font s’éclater les anémones et mourir de rire les holothuries.

Les enfants l’aperçoivent encore quelquefois, au soir tombant, quand il fait beau et qu’ils s’assoient sous les pins de Péreire, après que le soleil ait rosi les eaux argentées du bassin. Vous aussi, à condition de regarder de toute votre âme, et si vous l’avez mérité, vous pouvez apercevoir le clair rayon vert de ses yeux et la longue ondulation de jade de ses cheveux.

Retrouvez le conte de Charles Daney en intégralité dans son recueil Les contes des landes, de la mer et du vent.

236503_medium

Ainsi les terribles créatures des abysses ont évolué dans l’imaginaire de certains pour devenir des êtres doux et sensibles, protecteurs des eaux, n’attendant que d’être aimés des humains…

Et vous, quelle version des fameuses sirènes préférez-vous ? 🙂

La légende de l’Étang Noir

La légende que je vais partager avec vous aujourd’hui m’est particulièrement chère, car c’est la première légende landaise que j’ai entendue de ma vie, alors que je n’avais que 9 ans. C’est à l’école que je l’ai apprise, lors d’un séjour scolaire à Seignosse, à la Réserve Naturelle de l’Étang Noir. Je garde de ce séjour, de ce lieu et de cette histoire, un souvenir très particulier, et je sais que c’est à cet âge-là que mon goût pour les contes et légendes s’est développé…

A Seignosse, le grand Étang Blanc et l’Étang Noir, plus modeste, se font face. Avec des noms pareils, il aurait été bien étonnant de ne pas trouver de légende merveilleuse donnant une explication à leur existence ainsi qu’à leurs noms !
Et voici ce qu’elle raconte :

Il y a fort longtemps, s’élevait sur les berges de l’Étang Blanc un château majestueux où vivait le baron de Seignosse, Eric. Comme de nombreux autre hommes de son rang, il décida de partir en Croisade en Terre-Sainte et resta absent plusieurs années.

Un beau jour, les habitants de Seignosse virent de nouveau flotter sur le donjon les armes de leur Seigneur, et comprirent que celui-ci était rentré. Mais tous s’étonnèrent de la discrétion de son retour, et plus encore lorsque, les jours passant, on s’aperçut qu’on ne le voyait jamais sortir de son château. On s’inquiéta d’un possible échec de sa mission divine et de l’humeur ombrageuse du baron, mais alors que le temps passait, des rumeurs commençèrent à circuler et les villageois soupçonnaient que leur Seigneur ne soit devenu démon. On disait qu’il était rentré de nuit, seul, et plus inquiétant encore que le pieux seigneur ne s’était pas rendu aux offices religieux depuis son retour. De plus, l’on apercevait régulièrement, dans les hautes fenêtres de la tour Nord, danser des lueurs inquiétantes et étranges comme si entre ces murs le baron se livrait à des expériences alchimiques. Les villageois parlaient à présent de sorcellerie, et renommèrent cette tour la Tour du Diable. On tremblait à l’idée que cette magie diabolique ne s’échappe des murs du château pour venir détruire leur existence.

Dans le secret de ses forges, le baron s’appliquait donc à l’alchimie, la transcendance des métaux, afin d’élaborer une pierre philosophale qui lui permettrait de transformer les simples métaux en or, et de lui offrir la jeunesse éternelle. Il avait obtenu ce savoir en vendant son âme au démon, et Eric ne craignait plus ni les hommes, ni Dieu, ni la mort. Il contrôlait les esprits anciens de la Nature et les quatre éléments, ainsi que les vertus du règne animal dans le but de devenir lui-même le plus redoutable des prédateurs.
Lorsque minuit venait, il sortait explorer la campagne, à l’insu de tous, se déplaçant comme une ombre parmi les ombres. Il se frottait le visage de sang de chauve-souris afin d’adapter sa vision à l’obscurité la plus totale, et dépeçait loups, serpents, lièvres et boucs pour s’en faire des talismans. Dans sa canne de sorcier, il avait glissé les yeux d’un jeune loup, la langue et le cœur d’un chien, et ce bâton de marche le préservait des brigands, des animaux féroces et des bêtes venimeuses. Ainsi le sorcier Eric courait la lande, rapide et infatigable, comme un chasseur.

Un jour, il déposa un drap à la croisée des chemins, et à la pointe du jour, ce drap s’était transformé en peau de loup. C’était la pèth : une peau que beaucoup voyaient comme une malédiction, mais que lui percevait comme un don. Le malheureux qui marchait par inadvertance sur cette peau l’endossait, sans l’avoir souhaité, et se retrouvait condamné chaque nuit à une terrible métamorphose ; dès le crépuscule, il se changeait en loup-garou et parcourait la nuit avec de terribles envies meurtrières. Au matin, il se réveilleait les mains tâchées de sang. Mais le baron, lui, se complaisait dans cette ivresse animale. Chaque nuit il se transformait en loup féroce, et les habitants de Seignosse couraient se réfugier dans leurs modestes demeures, sachant que le matin révélerait les horreurs de la nuit passée.

C’est dans ce climat infernal qu’un beau jour, un visiteur arriva au village, une coquille Saint-Jacques accrochée à sa besace, tout maigrelet. Ce n’était pas la première fois qu’un pèlerin passait par le village, mais celui-ci avait les vêtements déchirés et maculés de sang, comme si des chiens l’avaient attaqué. Personne n’osa lui demander quelle mauvaise rencontre il avait faite la nuit précédente, et par quel miracle il en avait réchappé. Les villageois pansèrent ses plaies en silence. Puis, quand la journée se fut écoulée, l’étranger, les yeux remplis de colère, s’adressa aux hommes qui rentraient au village :

« Malheur à vous qui acceptez d’être gouvernés par le Diable ; Dieu placera dans sa balance ce qui revient à Dieu et ce qui revient aux Enfers, alors sa colère terrible s’abattra sur vos terres ; priez donc votre Dieu et qu’il vous pardonne ou ne vous pardonne pas. »

Puis il s’enfonça dans la nuit noire, laissant la peur envahir l’âme des villageois, qui se mirent à prier leur Dieu. Alors un orage terrible se déversa sur Seignosse, des éclairs déchiraient le ciel, et au milieu du vacarme assourdissant du tonnerre, on entendait au loin la cloche de la chapelle du château, qui sonnait comme un appel à l’aide.
À la pointe du jour, l’orage s’apaisa, et les habitants de Seignosse gagnèrent la forteresse dont ils étaient autrefois si fiers. Ce qui était n’était plus, et à la place du château s’étendait à perte de vue une grande étendue d’eau que les anciens baptisèrent l’Étang Noir, pour ne pas oublier qu’ici avait habité le Mal.
Dieu était descendu parmi les hommes sous les traits d’un humble pèlerin : la première nuit il avait affronté le sorcier-loup qui hantait les campagnes ; à la deuxième nuit, il noya le seigneur avec son château et ses biens, pour que l’eau du Déluge purifie la terre souillée.

On dit à présent de l’homme qui marche sur les bords de l’étang, s’il entend sonner la cloche du château à travers les âges, qu’il mourra dans l’année.

balade-etang-noir-seignosse-landes2
source

Il est intéressant de voir que dans cette histoire, la figure du sorcier se confond avec celle du loup-garou. Ce n’est en effet pas chose rare, car il fut un temps où l’on croyait au loup-garou avec autant de vigueur qu’aux sorciers et sorcières.
Le loup terrifia longtemps la population, comme je l’ai déjà évoqué dans La trêve de Noël des loups de la Lande, et dans l’imaginaire collectif c’était un animal diabolique, participant aux Sabbats, servant même parfois de moyen de transport aux sorcières. Le loup-garou était lui aussi traqué, arrêté, torturé et condamné.

Dans un village proche à la même époque, à Bascons, un paroissien confiait à l’abbé Foix, qui enquêtait alors sur les superstitions landaises : « Actuellement, nous sommes bien fournis, nous comptons 33 sorcières et 27 loups-garous ! »
L’ensorcellement des Landes, Eric Lafargue

De la même façon que pour les sorcières, on cherchait des moyens d’identifier les loups-garous, car de jour, le monstre pouvait être n’importe qui : un membre de la famille, un ami, un voisin… Chacun se soupçonnait et se montrait du doigt. On craignait d’autant plus les attaques car, en dehors d’une mort possible, on redoutait également de se retrouver soi-même changé en bête. En effet, si on était vaincu par le loup-garou, la peau de bête changeait de propriétaire et c’est la victime qui endossait la peau, chaque nuit, pendant 7 ans, avant qu’elle ne retourne à son véritable maître.

Mais on dit qu’il existe un moyen, assez simple en réalité, de défier un loup-garou :

On raconte que si le passant pris en embuscade trouve en lui la force de vaincre sa peur, et qu’il provoque le loup-garou en lui jetant cette phrase – Tiro-t’ la besto (enlève donc la peau) – alors, le loup-garou dépose la peau et c’est un combat loyal entre deux hommes qui s’engage. Si l’on parvenait à blesser l’homme loup et que le sang coulât, cet homme était libéré de la peau et de ses pouvoirs.
L’ensorcellement des Landes, Eric Lafargue

Cette croyance en les hommes-loups persista également à travers les siècles, et l’on trouve dans les Landes des histoires de loups-garous jusqu’à l’aube du XXème siècle…

Et si vous ne connaissez pas encore cette magnifique Réserve Naturelle, je ne peux que vous encourager à aller vous y promener ! Tout les infos par ici !

La Fontaine Chaude de Dax

Dax est une ville réputée dans la France entière pour ses cures thermales, et chaque année de nombreux curistes accourent pour profiter des bienfaits de son eau.

Au coeur de la ville se dresse l’imposante Fontaine Chaude, symbole de la ville bien connu des Landais. Elle est aussi appelée Source de la Nèhe, en référence à une divinité celte des eaux, une déesse protectrice tutélaire de la cité.
La fontaine actuelle a été construite au XIXème siècle sous Louis XVIII, et entoure le bassin d’eau chaude, à l’emplacement supposé et des anciens thermes romains.

fontaine chaude 3o

Et puisque nous parlons des romains, une légende tenace nous raconte que c’est à eux, et plus précisément à l’un de leurs chiens, que nous devons la découverte de cette source et de ses bienfaits.

Voici comment le Dr Jean Peyresblanques nous a rapporté cette histoire :

« Les soldats de César étaient là. Les Tarbelles étaient revenus dans leur ville si humide que les Romains, par dérision, l’appellaient Aqua Tarbellica.  Ils y avaient installé une garnison dont le chien d’un centurion était la mascotte. C’était un de ces braves chiens gaulois, ni très grand ni très gros, au poil hirsute et à l’œil brillant d’intelligence, de qui descendent nos bons chiens de berger. Il était assez âgé et perclus de rhumatisme, passant son temps à chauffer au soleil de l’été ses membres raides.

Une révolte éclata soudain dans les sauvages montagnes ibériques, et deux centuries durent partir. Notre centurion était de ceux-là et, navré de voir son chien abandonné, infirme, il résolut, la mort dans l’âme, de la noyer dans l’Adour. Puis il partit.

L’hiver passé en rude campagne, la légion aux rangs éclaircis revint dans sa région, Tarbelle, bien lasse et décimée. Notre centurion y était toujours, passé même commandant de la colonne. Approchant de leur camp, les soldats pressaient leurs pas pesants, joyeux malgré leur fatigue. Lui, songeait à son chien, pensant qu’avec son flair ils auraient pu éviter bien des déboires. Soudain, un aboiement retentit à l’entrée du camp, une boule noire bondit vers lui et, avant d’avoir pu esquisser un geste de défense, il se sentit léché, bousculé, dans une tornade de jappements joyeux et de sauts qui affolaient sa monture. Il sauta de cheval et, n’en croyant pas ses yeux, devant ses soldats ébahis, il se mit à appeler son chien qui se roulait à ses pieds.

Mais comment son chien, âgé et quasi paralytique, était-il là, le poil soyeux, l’œil vif, le jarret nerveux ? Des gardes interrogés n’en savaient rien. Le chien était revenu, allait, venait, on le nourrissait, mais qui ?

Le centurion voulut élucider ce mystère et pista son chien. Il le vit tous les jours, de bon matin, se diriger vers les marais fumants qui séparaient la ville de l’Adour et s’y perdre. Il revenait quelques heures après. N’y tenant plus, un jour il le suivit et s’aperçut que sa bête allait s’allonger dans les boues chaudes qui entouraient une source thermale. Notre officier, meurtri par sa campagne, fit l’expérience de son chien, puis les soldats qui souffraient eux aussi. Bref, notre légion fut remise sur pied.

Rentré à Rome, l’histoire du chien mascotte, guéri par les boues et guérissant son maître, fut bientôt connue de tous. Les ordres furent donnés et une belle ville romaine fut construite, centrée autour de cette fontaine d’eau chaude, avec des bains mais aussi des bains de boue. Leur vertu curative fit vite ses preuves et lorsque Julie, fille de l’empereur Auguste, ressentit un jour des douleurs, c’est à Dax qu’elle vint chercher soulagement à ses maux. Le voyage de Rome, véritable expédition pour l’époque, fut justifié par le résultat, et en remerciement, elle donna son nom à la cité qui devint Aquae Augustae.
Seulement c’était il y a longtemps et les Gascons sont gens pratiques, de contraction en contraction, au Moyen-Âge c’était Acqs, et aujourd’hui Dax. Mais on n’a jamais oublié les bonnes leçons du chien du centurion. La fontaine d’eau chaude est toujours là, et les bains de boue amènent toujours le soulagement des rhumatismes. »

Cette histoire fait partie des légendes landaises les plus connues, et peut-être êtes-vous nombreux à l’avoir déjà lue ou entendue ! On peut difficilement se renseigner sur l’histoire de cette fontaine sans en entendre parler…

800px-Dax_Fontaine_chaude

Comme pour toute légende, il est difficile de démêler le vrai du faux dans cette histoire. La ville a bien été renommée Aquae Augustae, mais l’on dit aussi que ce fut grâce à la venue de l’empereur Auguste lui-même, qui y aurait séjourné en l’an 25 ou 26.
De plus, il semble que cette source était en réalité connue et vénérée avant même l’occupation romaine, par les populations locales qui vivaient près de ces marais. Mais c’est lorsque la cité romaine s’est développée autour de cette source que cette eau et la ville même ont gagné en notoriété.

Quand au fameux chien du centurion, qui peut dire s’il a réellement existé ? Mais pas besoin de cette certitude pour attirer la sympathie des dacquois, et la ville a même érigé une statue du légionnaire et de son fidèle chien, rendant ainsi hommage à cette jolie histoire que l’on n’est pas prêt d’oublier…

legionnaire

Le Bécut

Les Landes regorgent de créatures fantastiques en tout genre, mais aucune n’est aussi connue et redoutée que le Bécut. Ce cyclope au nez en forme de groin de porc était un ogre effrayant et cruel qui dévorait les enfants, raffolant de leur chair tendre… De nombreux parents tentaient d’effrayer leurs enfants turbulents, qui désobéissaient et voulaient sortir dans la nuit, en leur racontant les plus terribles histoires de ces géants de la lande.

Pourtant, dans les histoires les plus connues, le Bécut finit toujours par être vaincu, et cette population de géants par disparaître du pays… C’est à Contis, à Sabres et à Castets que se déroulent ces histoires, et voici ce qu’elles racontent :

Le Tuc du Bécut 

Il y avait une fois un ogre terrible, un Bécut, qui vivait dans le pays. il était énorme, barbu, poilu, avec un oeil unique au milieu du front, des mollets comme une barrique à ses jambes de géant ; pensez donc ! le Diable les lui avait pincées à la naissance, et comme pour les fruits que l’on pince, ses jambes étaient devenues magnifiques et infatigables. Il en profitait, il pouvait courir aussi vite que le vent d’ouest quand il souffle en tempête. Il se nourrissait uniquement de petits enfants ou de jeunes filles. Il arrivait comme le vent, volait un enfant seul ou une fillette isolée et allait se repaître dans son antre situé près d’ici.
Les gens du pays avaient beau lui donner la chasse avec les chiens de Contis, rien n’y faisait. Les nuits sans lune, les chiens hurlaient car le Bécut rôdait. Un jour, un berger furieux alluma le feu et la forêt brûla en partie mais le Bécut s’échappa avec ses grandes jambes et se réfugia dans les marais, plus furieux que jamais. Dès lors, de son gros oeil unique, il choisit avec rapacité les enfants les plus beaux, les petits au berceau. Tous tremblaient.
Enfin, un vieux berger se décida, monté sur de grandes échasses, à aller voir la mère du vent, loin, très loin dans les Landes, du côté de Saint-Jean-de-Bouricos.

« Madame la mère du vent, pitié, je vous en supplie.
– Hoou.
– Pitié, pitié pour nous autres de Contis, aidez-nous à tuer Le Bécut !
– Haouu.
– Si, si, ayez pitié car il ne respecte personne. Il a dit « Même le vent ne m’attraperait pas si je veux. »
– Ho ! (la mère du vent gronda) haou. Va ! je te suis. »

Et lorsque le berger arriva, il lança les chiens de Contis qui se mirent à chercher dans la nuit, et le vent furieux se mit de la partie. Tout craquait, volait, tremblait, et les gens se tenaient effrayés.
« Ah il court plus vite que moi !… » Et le vent redoubla de violence.
Le lendemain, à l’aube, tout était bouleversé. Le marais où était le Bécut avait disparu. La mère du vent avait enseveli l’ogre malfaisant sous la dune de sable qui est notre Tuc du Bécut.
On félicita le vieux berger, lui demandant comment il avait fait ? Il répondit goguenard :
« L’orgueil enterre les gens. »

Voici donc comment disparut le Bécut de Contis, disparu sous le sable de la dune… Peut-être son corps s’y trouve-t-il encore aujourd’hui !

couverture-Bladé-contes-pop-gasc-ed-Aubéron-2008

A Castets aussi, c’est le péché d’orgueil qui a eut raison du géant à l’oeil unique. Un berger l’a provoqué, lui soutenant qu’il serait incapable de sauter dans l’eau de la Fontaine Vive. Voulait lui prouver le contraire, le Bécut s’y précipita et fut englouti à jamais dans les eaux du puits.

Celui de Sabres n’eut pas plus de chance et fut lui aussi vaincu par la ruse des landais :

Le Panturon du Bécut

Pas très loin d’ici dans la lande, du côté de Sabres, vivait un Bécut, grand, gros, barbu avec un oeil au milieu du front. Il était horrible. Comme son cousin de Contis, il mangeait de la viande fraîche. Mais plus intelligent, il faisait travailler des hommes et des femmes pour lui garder d’innombrables troupeaux de moutons. Il avait ainsi toujours de la chair fraîche : les agneaux en particulier, qu’il aimait bien faire rôtir lui-même. Aux bergers, il ne laissait que l’intérieur : tripes, foie, rate, poumons, et le bout des pattes nageant dans le sang.
Avec ces quatre éléments, cuits pauvrement dans de l’eau et revenus dans une coquelle, les vieilles landaises réussirent à faire une sauce exquise.
Un jour qu’il faisait rôtir son agneau, le Bécut eut un doute.
« Pourquoi Diable mes bergers sont-ils ravis quand je tue un agneau et veulent-ils le saigner eux-mêmes ? Allons voir ce qu’ils font ! »
Il les trouva tous la face enluminée : Mentoun lusen, bente counten (menton luisant, ventre content) marmonna-t-il, et aussitôt il prit la marmite pour goûter leur pitance. C’était une sauce noirâtre, grumeleuse, de piètre aspect mais qui embaumait. Il y goûta, la trouva à son goût et décida que désormais, il faudrait lui faire le panturon.
Qui furent attrapés ? Les bergers privés de leur sauce ! Aussi, résolurent-ils de se venger. Le jour de grande fête, où tous les Bécuts de la lande étaient réunis – sauf celui de Contis déjà enfoui sous la dune, et celui de Castets englouti par la fontaine vive – ils versèrent du poison dans la panturon. Tous les ogres moururent et, depuis, on ne voit plus de Bécuts dans la lande, mais il est resté un plat tout simple et très bon, le panturon.

La légende des Bécuts ne se limite pas aux Landes et l’on retrouve des récits similaires dans les Pyrénées, ainsi que chez nos voisins gersois.
Le collecteur de contes Jean-François Bladé nous a ainsi offert un récit différent ce ceux que l’on connait dans les Landes, dans lequel les Bécuts vivent « dans un pays sauvage et noir, dans un pays de hautes montagnes, où les gaves tombent de trois mille pieds ». Il faut marcher sept mois pour s’y rendre. Les Bécuts y élèvent de nombreux troupeaux de vaches et de moutons aux cornes d’or. Ils les élèvent pour leur viande mais n’ont que faire des cornes d’or qu’ils laissent tomber au sol. Et gare aux courageux qui voudraient les ramasser pour faire fortune ! Si un Bécut les attrape, il les fera rôtir vivants !
Le conte de Jean-François Bladé raconte ainsi comment un jeune homme et sa soeur se sont fait capturés alors qu’ils ramassaient des cornes d’or, et comment le garçon a charmé le géant grâce aux contes de son pays, parlant toute la nuit pour repousser le moment où l’ogre le ferait cuire… Le jeune homme finit par crever l’oeil du Bécut alors que celui-ci s’était endormi, afin de l’affaiblir et de pouvoir s’enfuir en s’enveloppant dans la peau d’un mouton que le cyclope venait de dépecer. Comme toujours le Bécut finit par être vaincu, et les deux jeunes gens réussissent à s’enfuir avec deux grands sacs remplis de cornes d’or qu’ils rapportèrent à leur mère.

Il est intéressant de voir que, dans cette version comme dans celle de Sabres, les Bécuts sont des créatures qui élèvent des troupeaux. Ce n’est pas sans rappeler la mythologie grecque ; Homère et Virgile nous rapportent que les Cyclopes sont des géants sauvages et anthropophages qui vivent en élevant des moutons.

Le plus célèbre de ces cyclope est Polyphème, le Cyclope qu’Ulysse et ses compagnons rencontrèrent dans le chant IX de l’Odyssée d’Homère. Et ce qui leur arriva dans l’antre de Polyphème nous rappelle curieusement le conte de Jean-François Bladé…
En effet, en explorant la terre sur laquelle ils avaient accosté, Ulysse et ses compagnons découvrirent un caverne remplie en abondance de nourriture, et ils décidèrent de se servir. Mais c’est dans l’antre de Polyphème qu’ils se trouvaient, et celui-ci les enferma dans la grotte et en dévora deux au passage. Afin de rendre Polyphème moins alerte, Ulysse lui donna une barrique d’un vin très fort. Une fois le géant endormi, Ulysse et ses hommes utilisèrent un pieu durci au feu et crevèrent l’œil du géant. Le lendemain matin, Ulysse accrocha ses hommes ainsi que lui-même sous les brebis de Polyphème. Ainsi, lorsque, comme à son habitude, le Cyclope sortit ses moutons pour les mener au pâturage, les hommes furent transportés hors de la caverne.

TIBALDI, Pellegrino - L'aveuglement de Polyph_meL’aveuglement de Polyphème, Pellegrino Tibaldi, 1554

Vous pouvez le constater, les deux histoires sont très similaires, et il est très probable que ce passage de l’Odyssée ait inspiré ce conte gascon rapporté par Bladé, adapté à la sauce locale avec un monstre bien de chez nous…
Une nouvelle preuve que les légendes n’ont pas de frontières, et que les mythes ne cessent de se croiser et de s’adapter !

Le métayer du Diable – ou La légende de l’Armagnac

Qui ne connait pas cette eau de vie délicieusement corsée qu’est l’armagnac ? Dans toute la Gascogne, et bien au-delà, sa réputation et son succès ne sont plus à faire ! Cette boisson est d’ailleurs tellement emblématique de notre belle région qu’elle a, elle aussi, donné naissance à une légende qui explique son origine…
Voici ce qu’elle raconte :

                       Il y avait une fois, entre Villeneuve-de-Marsan et Labastide-d’Armagnac, un riche paysan qui était mort sans enfants, comme un mécréant. Il alla en Enfer et le Diable hérita de sa terre. Satan chercha un métayer pour partager les produits, mais personne ne voulait travailler pour lui, même sous l’aspect le plus favorable. Enfin, un garçon se présenta, et il plut à Lucifer.

« Mon cher ami, voici les conditions : moitié, moitié. »
Et comme il venait de voir un magnifique champ de blé avoisinant, il ajouta :
« Je prends tout ce qui dépasse du sol, toi tout ce qui est dans le sol.
-Entendu, maître. »

Notre métayer rentra chez lui et planta des raves, des navets, des carottes, des poireaux. Les champs étaient verts éblouissants. Lorsque le Diable revint chercher sa récolte, il était gai, entouré d’une nuée de petits diablotins qui tiraient des charrettes grinçantes.
Il ne put emporter que des feuilles sans valeur, et il entra dans une grande colère.

« Cette fois-ci, changeons les conditions. Tu as le dessus et moi le dessous.
– Entendu, maître. »

Et notre homme sema blé, seigle, avoine. Lorsque le Diable revint, il admira en passant les vertes frondaisons de Perquie et la magnifique silhouette du château de Ravignan, gai comme un pinson de l’Enfer, et il fut ravi de l’apparence merveilleuse de la récolte. Encore mieux vu d’en bas que d’en haut, mais pour sa part, il ne trouva que des racines racornies. Sa colère fut encore plus grande. Tout trembla alentour. A grands renforts de jurons, il traita notre homme de voleur.

« Maître, maître, c’est vous qui avez choisi ! Choisissez encore!
– Tout !
– Laissez-moi vivre ! Voulez-vous tout ce qui pointe vers le ciel et tout ce qui pointe dans la terre ?
– D’accord ! Si tu réussis encore à me tromper, tu auras la terre, mais gare à toi ! »

Peu rassuré, notre métayer rentra chez lui et planta de la vigne qu’il fit pousser au maximum. Le Diable venait surveiller les travaux, et il n’admirait plus l’aspect changeant du Tursan et du Gabardan, la riche campagne aux bosquets giboyeux, les vallons aux sources vives, rien ne l’intéressait, la récolte avant tout. Il voyait pointer les feuilles vertes : « Elles seront pour moi ! » se disait-il en les mesurant avec sa queue. Il alla jusqu’à mettre son doigt crochu dans les racines : « Belles racines, marmonna-t-il, pour moi aussi ! »
Juin arriva.
« Trop tôt, maître ! dit son métayer, et juillet et août aussi. »

En septembre les feuilles se raréfièrent, certaines même jaunirent. Le Diable s’impatientait fort. En octobre, notre homme se déclara satisfait, et il vendangea car, dit-il à Lucifer :
« Les feuilles pointent et les racines aussi, prenez-les, moi je ne prends que ces pauvres grappes qui pendent !
-Voleur, pendard ! » Le Diable fou de colère jurait comme il savait le faire : « Tu as gagné bandit, mais tu n’en profiteras pas. Le vin de ces vignes et de celles alentours ne vaudra rien à boire ! »

Notre métayer avait sa terre mais était bien ennuyé. Qu’allait-il faire de son vin ? Il alla voir son vieux curé pour lui conter son histoire.

« Tu as été bien imprudent mon ami, tout ce qui vient du Diable doit être brûlé. Brûle ton vin en priant Saint-Vincent. »

Aussitôt dit, aussitôt fait. Il porta son vin à distiller. La flamme bleue de l’alambic, avec les cuivres mordorés, le faisaient frissonner. Était-ce déjà l’Enfer ? Le vin bouillonnait, des vapeurs s’échappaient de l’appareil compliqué, le bouilleur de cru s’affairait. Les premières gouttes arrivèrent.

« C’est du feu, Diou Biban ! » s’écria notre homme.
Et le brave curé d’ajouter :
« Brûle, brûle, nous verrons bien. »

Enfin la nouvelle eau-de-vie sortit, limpide et corsée. On la mit dans un fût de chêne de la forêt de Saint-Vincent. Bien vite, elle prit sa belle teinte ambrée et son parfum de violette embauma tout le quartier. Vous avez tous reconnu l’armagnac !
Aussi, lorsqu’au fond d’un verre vénérable vous dégusterez ce nectar, souvenez-vous du pauvre Diable de Villeneuve et de son métayer gascon.

s-l225

Vendange d’eau de vie d’armagnac, gravure, 1855

Voici donc comment l’armagnac a vu le jour ! Un vin brûlé car il avait été maudit par le Diable… Mais un Diable pas bien malin il faut le dire, qui se laisse berner très facilement par ce jeune garçon rusé. Et ce n’est pas le seul conte dans lequel on nous dépeint le Diable comme étant un personnage, certes effrayant, mais manquant d’intelligence, et souvent ridiculisé par les hommes qui s’avèrent plus malin que lui… De nombreux contes traitant du Diable le montrent ainsi, par exemple celui que je vous ai partagé le mois dernier, Le Seigneur de Poyaller, dans lequel le Diable, qui avait fait un pacte avec un seigneur cupide, se retrouve finalement bien aisément évincé lorsque le seigneur se contente de lui lancer des coques de noix vides durant le banquet final. Il semble que dans les contes populaires, un minimum de ruse (et un minimum d’aide de la part de l’Eglise et du Bon Dieu, toujours) suffise à contrer les volontés sataniques.

C’est une chose qui m’a plutôt étonnée à la lecture de ces histoires, car elles contrastent avec la façon dont les ouvrages historiques parlent de la perception du Diable par le peuple à cette époque-là. Dans le coeur et l’esprit de la population, le Diable était un être dangereux, manipulateur, fourbe et puissant, bien loin de cette image de diablotin un peu ridicule.
Voici par exemple ce que disait un historien de la fin du XIXème siècle :

La véritable aristocratie au XVIIème siècle, la plus redoutée et la plus enveloppante, est celle de Satan. [Même] le Roi Soleil s’efface devant le Prince des Ténèbres. Le Diable a son culte, ses prophètes, ses adorateurs, ses historiographes, des lieutenants et des apôtres dignes de lui. Il dispute au ciel ses prêtres, son encens et ses autels. Il fait des prodiges, commande aux éléments, dispose de la santé, de la fortune, de la vie des hommes, fait tous les jours de nouvelles recrues, et de nouvelles victimes. Il épouvante ses amis, ses ennemis, et ses juges ; se moque de la torture, des bûchers, des hécatombes, passe à travers le feu, les malédictions, les exorcismes, sans être jamais vaincu ; il lutte même victorieusement contre Dieu.
Frédéric Delacroix, Les Procès en sorcellerie au XVIIème siècle, Paris, 1896

Satan était donc perçu comme un être dont la puissance concurrençait celle de Dieu lui-même…! D’où mon étonnement à le voir décrit comme une créature si faible dans les contes populaires.

Peut-être la population se rassurait-elle en se racontant des histoires dans lesquelles ils pouvaient se moquer du Diable, et ainsi combattre leurs peurs ? Ou peut-être que l’Eglise, qui comme toujours est très présente dans chacune de ces histoires, voulait ainsi ancrer dans l’inconscient collectif le fait que, tant que l’on s’en remettrait à elle, le Diable resterait toujours impuissant…

Pierre de Lancre, le chasseur de sorcières

Les légendes de sorcières sont nombreuses dans les Landes, mais comme partout en Europe, elles reposent en réalité sur des faits avérés qui se sont déroulés entre le XVème et le XVIIIème siècle : les chasses aux sorcières. Et dans le Sud-Ouest, principalement au Pays Basque et Chalosse, un nom a particulièrement fait trembler la population ; celui de Pierre de Lancre.

Né à Bordeaux en 1553, ce docteur en droit devenu conseiller au Parlement de Bordeaux a reçu une éducation religieuse stricte et s’est formé en théologie et démonologie. Sa dévotion tirait vers le fanatisme et, nourri de ces cultures ecclésiastiques et magiques, il croyait en la réalité de la sorcellerie et de ses maléfices, sur lesquelles il prétendait tout savoir. Certains le qualifièrent d’illuminé et de superstitieux, mais en ce début du XVIIème siècle, ce fut lui que le roi Henri IV désigna comme le plus à même de mener à bien une mission : libérer le Labourd qui était « infesté de sorcières », selon les plaintes des seigneurs d’Amou et d’Urtubie.

Sa mission débuta en juillet 1609 à Bayonne dans le Pays Basque, où ceux qu’il qualifiait de « sorciers et sorcières » étaient en réalité tous ceux qui ne correspondaient pas à la norme catholique, notamment les juifs et musulmans expulsés d’Espagne et du Portugal. Mais ce sont surtout les femmes qui sont sa cible privilégiée ; dans ces villes où les hommes, marins pour la grande majorité, sont absents une grande partie de l’année, les femmes se retrouvent seules, ce qui constitue déjà une « anomalie » pour De Lancre. Devant ces femmes trop libres, leurs veillées, leurs mœurs, leurs chants dans une langue qu’il ne comprend guère, il ne laisse plus place au doute : la région est bien infestée de sorcières !

Alx50_platewf

La persécution commence alors, les dénonciations et les arrestations s’enchaînent, et de nombreuses femmes se retrouvent enfermées, torturées et brûlées. Durant les quatre mois que dura cette mission, de juillet à novembre 1609, la légende rapporte que le nombre de victimes exécutées s’élèverait entre 300 et 600 personnes, parmi lesquelles des femmes, des enfants, et des prêtres. Mais certaines études semblent décrier ce lourd bilan, estimant que le nombre d’exécutions ne dépasse pas les 80 victimes, ce qui semble déjà colossal, en l’espace de quelques mois…

Et sa chasse aux sorcières ne se limite pas au Pays Basque ; il poursuit ses victimes jusque dans le sud des Landes.

On sait ou on ne sait pas que les sorciers des Landes sont les plus renommés de la Gascogne, et que le fameux Pierre de Lancre affirmait en 1609 que Satan avait « fait sauter à grandes volées, et en pleine liberté le sabbat, et placé son trône en une infinité de lieux de nos déserts et Landes de Bordeaux ».
Abbé Vincent Foix, Glossaire de la sorcellerie landaise, in Revue de Gascogne, 45ème année, tome IV, Auch, 1904

A Tartas, il condamna au bûcher la « fameuse Marissane », une sorcière bien connue dans la région, qui aurait initié plusieurs personnes au Sabbat. Une autre jeune femme arrêtée pour sorcellerie, nommée Marie de Larralbe, a ainsi accusé Marissane de l’avoir initiée à cette cérémonie démoniaque à l’âge de 18 ans, et expliqua dans sa déposition le pouvoir que le Diable exerçait sur elles :

J’y allais comme à la noce, non pas tant par la liberté et licence qu’on y a, mais parce que Satan tenait tellement liés nos cœurs et nos volontés qu’à peine y laissait-il entrer nul autre désir.

Comme de nombreuses sorcières, Marissane aurait eu la faculté de se rendre au Sabbat par la voie des airs, entraînant ses jeunes recrues avec elle.

 …de même, la fameuse Marissane de Tartas n’employa ni graisse ni onguent pour transporter dans les airs le jeune Christoval de Lagarde, lequel vola si haut et si loin qu’il ne pût reconnaître le lieu du Sabbat.
Revue de Gascogne, bulletin bimestriel de la Société Historique de Gascogne

Les aveux s’enchaînent, plus invraisemblables les uns que les autres, le plus souvent arrachés sous la torture. On note avec force détails le déroulement des Sabbats (sujet qui obsède tout particulièrement De Lancre et auquel il accordera beaucoup d’attention dans ses futurs ouvrages), les accouplements avec le démon, la rencontre avec « le bouc » et le baiser donné sous sa queue, les préparations de poisons et d’onguents, les pactes passés avec le Diable, les messes et rites religieux effectués « à l’envers » et les danses effrénées… Et on dénonce à tour de bras des voisines, des sœurs, des mères, des filles… Le Diable est partout, et la dévotion au démon s’est répandue dans toute la lande.
On peut s’interroger sur la raison, outre les souffrances de la torture qui sont venues à bout de beaucoup d’entre elles, pour laquelle ces femmes ont souvent coopéré, et offert des témoignages qui nous semblent aujourd’hui bien rocambolesques. Cette citation apporte à mon sens un début de réponse intéressante, en plus de nous en apprendre encore davantage sur le personnage de Pierre de Lancre et sa cruelle vanité :

C’est que, dans un si grand nombre de sorcières, que le juge ne peut brûler toutes, la plupart sentent finement qu’il sera indulgent pour celles qui entreront le mieux dans sa pensée et dans sa passion. Quelle passion ? D’abord une passion populaire, l’amour du merveilleux horrible, le plaisir d’avoir peur, et aussi, s’il faut le dire, l’amusement des choses indécentes. Ajoutez une affaire de vanité : plus ces femmes habiles montrent le diable terrible et furieux, plus le juge est flatté de dompter un tel adversaire. Il se drape dans sa victoire, trône dans sa sottise, triomphe de ce fou bavardage.
J. Français, L’Eglise et la Sorcellerie, préavis historique, suivi des documents officiels des textes principaux et d’un procès inédit, Paris, 1910

sabbat_lancre

Mais comment Pierre de Lancre s’y prenait-il pour débusquer les sorcières ?

Il se trouve qu’à cette époque-là, une étrange épidémie s’était répandue dans les Landes, que l’on appelait le « mal de Layra », ou le mal d’aboiement. Cette maladie convulsive faisait pousser des cris semblables à ceux des chiens aux malades, qui se convulsaient à terre et semblaient ramper comme des bêtes. Ce mal impressionnait beaucoup, et ne pouvait avoir qu’une origine démoniaque… Aussi, dès qu’un malade se mettait à avoir une crise, on accourait pour regarder qui était passé près de la victime, car c’était sans doute lui, ou plus souvent elle, qui lui avait jeté un sort. De Lancre accordait une grande attention à ce phénomène, et voici ce qu’il disait au cours d’un procès concernant le village d’Amou :

C’est chose monstrueuse de voir parfois à l’église en cette petite paroisse d’Amou plus de quarante personnes, lesquelles tout à la fois aboient comme chiens, faisant dans la maison de Dieu un concert et une musique si déplaisante qu’on ne peut même demeurer en prière : ils aboient comme les chiens font la nuit, lorsque la lune est en son plein. Cette musique se renouvelle à l’entrée de chaque sorcière qui a donné parfois ce mal à plusieurs.

Ainsi on pointait du doigt et on enfermait la malheureuse qui était entrée dans l’église au mauvais moment, et qui se retrouvait contrainte d’avouer ses méfaits sous la torture. L’une d’elles, Françoise Boquiron, avoue ainsi s’être trouvée au Sabbat lorsque la décision commune a été prise de « donner ce mal ».

Mais outre ces accusations du mal donné, ou les dénonciations entre accusées, De Lancre avait un autre moyen infaillible de dénicher les sorcières : repérer la marque du Diable. Et Françoise Boquiron portait justement cette marque sur l’épaule gauche, preuve irréfutable de sa culpabilité.
Cette marque est l’endroit où le Diable a posé son doigt au moment où le pacte a été scellé, et se trouve sur un endroit du corps secret et insensible. Pour les repérer, De Lancre savait s’entourer. Il fut ainsi secondé un temps d’un chirurgien de Bayonne spécialisé dans cette recherche. Pour trouver la marque, il rasait tout le corps de l’accusée, et enfonçait ensuite des aiguilles dans les endroits suspectés, jusqu’à trouver celui qui resterait insensible. Puis ce fut au tour d’une jeune fille de 17 ans, une repentie qui avait confessé s’être rendue au Sabbat à plusieurs reprises, et qui pouvait ainsi sans mal déceler la marque du Diable dans « les parties très secrètes » des femmes.

Mais les cruelles persécutions de Pierre de Lancre ne pouvaient rester sans conséquences, et s’est ainsi qu’une nuit de septembre 1609, les sorcières et le Diable lui-même décidèrent de riposter, et s’attaquèrent à De Lancre et au seigneur d’Amou.

Le Diable et sa troupe se seraient introduits dans le secret de la nuit jusque dans les appartements particuliers de De Lancre. Le Diable n’osa pas entrer dans la chambre et s’arrêta sur le pas de la porte après l’avoir ouverte à sa troupe. Ils y demeurèrent de 11 heure jusqu’à 1h30 du matin. Trois sorcières se seraient mises sous les rideaux, et essayèrent d’empoisonner de Lancre, tandis que d’autres réservaient un sort semblable au Seigneur d’Amou dans son château. Pourtant, ni l’un ni l’autre « n’en sentirent jamais rien », et n’eurent conscience des faits qu’en tirant après coup, sous la torture comme on peut l’imaginer, des aveux aux sorcières qui furent prétendument les témoins de ces faits.

Et d’autant que plusieurs sorcières se plaignaient au sabbat de ce que nous les condamnions à êtres brûlées, et que le diable ne les pouvait bonnement asseurer, encore qu’il leur fit entendre, les faisant passer par quelque feu artificiel sans douleur, que celui de la justice ne les offenserait non plus, il leur disait qu’il nous ferait brûler nous-mêmes.
Pierre de Lancre, Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons, Paris, 1612

Il est surprenant cependant de constater que personne n’a semblé s’étonner du fait que, malgré ce qui semblait être une attaque planifiée et bien organisée, Pierre de Lancre et le Seigneur d’Amou s’en soient tirés vivants et indemnes. Il me semble pourtant que, si le Diable et les sorcières d’Amou avaient réellement décidé de s’en prendre à eux, ils ne s’en seraient pas tirés à si bon compte…

lancre01

A la suite de sa mission dans les Landes et le Pays Basque, il revint à Bordeaux et publia en 1620 « Le tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons », dans lequel il abordera largement la question des sorciers et de la sorcellerie dans le Labourd. Puis il deviendra conseiller du Roi, membre du Conseil d’Etat, avant de mourir en 1631, à l’âge de 78 ans.

Voici donc un aperçu de la chasse aux sorcières orchestrée par Pierre de Lancre, homme dont l’orgueil, le goût du fantastique morbide et le sadisme en font un personnage digne de légende, persuadé comme il l’était de la réalité de la sorcellerie, de l’existence de Satan et de sa présence sur tout le territoire… On peut facilement imaginer que les aveux et témoignages qu’il a recueillis, les moyens mis en place pour parvenir à ses fins, et les descriptions qu’il a lui même faites des sorcières, de leurs moeurs et des Sabbats, ont largement contribué à l’apparition de contes et légendes tels que La Barque aux Sorcières ou Le Tuc des Sorcières, et au mythe de la sorcière dans le Sud-Ouest tel qu’il nous est parvenu…

La Pierre de Griman

Comme je l’ai évoqué dans un précédent article, il y a dans les Landes un certain nombre de vieilles pierres dont la présence mystérieuse au sein du paysage a emballé l’imaginaire collectif.

La pierre dont je vais vous parler aujourd’hui a non seulement une légende qui lui est propre, mais a également la réputation de posséder des vertus magiques.
Il s’agit de la Pierre de Griman.

Elle se trouve sur la route qui relie Sabres à Morcenx, non loin du lieu-dit Peyticq, à une trentaine de mètres de la route, au beau milieu de la lande. Elle est très facilement trouvable, grâce à un petit panneau posé au bord de la route, et des balises qui indiquent ensuite le chemin au milieu des pins, des fougères et des ronces. Cette pierre n’est pas bien spectaculaire ; carrée, plate, elle mesure environ un mètre sur un mètre et ne dépasse pas du sol de plus d’une trentaine de centimètres. Sa présence au milieu du désert landais reste un mystère… Est-ce un vestige d’un ancien monument mégalithique ? D’une sépulture ? D’une ancienne borne romaine ? Comme pour les Pierres de la Fée, les avis divergent, mais sa présence n’est certainement pas due au hasard.

L’imaginaire landais s’est donc emparée de ce mystère, et la légende raconte qu’à cet endroit autrefois, se dressait une chapelle et son clocher (on retrouve comme toujours la présence de la religion dans une histoire vouée à expliquer un phénomène), qui ont tous deux été engloutis sous terre, dans un gouffre insondable. Certains disent avoir même entendu parfois le lointain son souterrain des cloches… La pierre serait demeurée là, seul souvenir de l’église disparue, pour en perpétuer la mémoire. Cette croyance est renforcée par le fait que, malgré tous les efforts tentés, personne n’a jamais pu déplacer cette pierre, ni même la faire bouger. Pour le peuple, c’était la preuve que cette pierre était destinée à rester là, au milieu du désert, pour leur rappeler la présence de la chapelle et de sa malheureuse disparition.

Mais ce n’est pas tout. Une autre légende, bien mystérieuse, rapporte qu’un jour, un pauvre passait dans le désert landais, s’est arrêté devant cette pierre, et s’est agenouillée devant elle. Un résinier le vit, et fut curieux de savoir ce qu’il faisait là. Le pauvre répondit : « tous les enfants qui ne marcheront pas au bout de l’an, qu’on les porte sur cette pierre, ils marcheront ». Et après cette réponse, le pauvre disparut comme une ombre.

La légende ne précise pas l’identité de cet homme… Est-ce un Saint ? Ou Dieu lui-même ? On ne peut que le supposer.
Toujours est-il que cette croyance s’est répandue dans toutes les Landes. La tradition voulait qu’on y emmène les enfants qui avaient des difficultés pour marcher, qu’on leur fasse faire 9 fois le tour de la petite pierre, puis que l’on y laisse en offrande les chaussures ou les chaussons de l’enfant.
Ce petit rituel accompagné d’une offrande laisse penser que cette pratique est très ancienne et puise ses origines dans le paganisme, qui s’est transformé en croyance populaire. Il y a fort à parier que l’Eglise ne voyait pas d’un bon œil la dévotion que portait le peuple à cette pierre et à ses pouvoirs magiques, et que c’est peut-être elle qui est à l’origine de la légende de la vieille chapelle engloutie, afin de détourner, comme souvent, une vieille tradition païenne et la rattacher au christianisme…

Quoiqu’il en soit, il semble que cette croyance fasse encore des adeptes de nos jours, si l’on en croit les petits souliers d’enfants que l’on trouve encore aujourd’hui sur la pierre de Griman…

Félix Arnaudin, le guetteur mélancolique

L’article d’aujourd’hui ne sera pas dédié comme d’habitude à une légende landaise, mais à un homme, originaire des Hautes Landes, à qui l’histoire locale doit beaucoup : Félix Arnaudin.

Cet éternel amoureux de la lande, né à Labouheyre en 1844, consacra sa vie à immortaliser, par l’écrit et par l’image, la vie dans les Landes telle qu’elle était avant l’arrivée de la grande forêt de pins.
Lorsqu’il revient de ses années passées au collège de Mont-de-Marsan, il retrouve le paysage de son pays natal en plein bouleversement. Le décret de Napoléon III obligeant les communes à ensemencer les terrains communaux, ou à les céder à des particuliers, a été prononcé quelques années plus tôt, et la forêt commence doucement à remplacer le désert landais. Obsédé par les paysages de sa jeunesse, il refuse de tout son être cette arrivée brutale de la modernité dans la vie des landais, et sa vie entière sera bâtie sur son inadaptation à la vie moderne et aux changements.

L’étouffant rideau [de pins], partout étendu où régnait tant de sereine et radieuse carté, borne implacablement la vue, hébète la pensée, en abolit tout essor.
F. Arnaudin, Chants populaires de la Grand Lande, préface.

Ne trouvant aucun intérêt aux diverses possibilités professionnelles qui s’offrent à lui, il se lance dans le projet fou de se consacrer entièrement à perpétuer la mémoire de l’ancienne lande, sous tous ses aspects. Il entame alors une collecte de contes, de proverbes, et de chants populaires. En 1887, il publie une première collection de dix contes landais, en gascon local et en français, en espérant faire reconnaître sa compétence de folkloriste par ses pairs. Mais le choix des textes, jugé sans originalité, est contesté, et Arnaudin le vit comme un échec.
Ce ne sera finalement que bien des années après sa mort que la totalité de ses écrits et collectes seront publiées dans ses Oeuvres complètes en 9 volumes, délivrant ainsi le travail d’une vie, cet incroyable témoignage de la vie landaise du XIXème siècle et de son amour pour sa terre natale.

Le désert magnifique, enchantement des aïeux, déroulant sous le désert du ciel sa nudité des premiers âges, à l’étendue plane, sans limites, où l’oeil avait le perpétuel éblouissement du vide.
F. Arnaudin, Chants populaires de la Grande Lande, préface.

Mais c’est aussi à travers la photographie que la passion de Félix Arnaudin pour son pays s’est exprimée. Il s’y est lancé à corps perdu très rapidement, tâtonnant au début pour maîtriser les techniques qui, rappelons-le, à cette époque demandaient des connaissances solides en physique et en chimie. Il a donc passé la majeure partie de sa vie à immortaliser les Haute Landes, au travers de portraits, de photos de famille, de paysages, d’architecture, mais également de scènes de vie minutieusement imaginées et mises en scène grâce à la coopération de la population locale qui a accepté de se prêter au jeu. Avec une rigueur presque maniaque, et un grand souci de la perfection, il a ainsi réalisé une oeuvre photographique remarquable, dont quelques 3200 négatifs de verre sont aujourd’hui conservés au Musée d’Aquitaine de Bordeaux, et dont une sélection est en ce moment même présentée au Pavillon de Marquèze.

IMG_20170426_170209

IMG_20170426_164754

IMG_20170426_162311

Cette belle exposition revient sur l’histoire de Félix Arnaudin et sur son travail photographique, à travers les différentes thématiques auxquelles il a consacré une attention particulière. C’est un réel plaisir de (re)découvrir ces photographies, parfois en très grand format, qui nous en apprennent tant sur ce qu’était la vie autrefois dans ces landes que beaucoup considéraient hostiles, mais qui étaient adorées par ses habitants.

Jamais le pâtre landais ne l’a considérée comme une malédiction du ciel, loin de là ; il a pour son désert une passion profonde et n’est heureux que devant ses grands horizons.
F. Arnaudin, Correspondance.

Quelques citations de Félix Arnaudin, reproduites sur les murs auprès des photographies, nous entraînent un peu plus encore dans sa vision des Landes et de ses paysages soumis à une transformation brutale.
Je ne peux que vous conseiller de plonger avec lui dans la vie du XIXème siècle, en allant voir cette exposition par vous-même, à l’écomusée de Marquèze à Sabres, avant le 5 novembre prochain.

IMG_20170426_161450

Sans titre

Retrouvez toute les informations sur le site officiel du musée de Marquèze !

Le Tuc des Sorcières

Aujourd’hui je vous emmène du côté de Mimizan, petite ville côtière dans laquelle est née une troublante histoire de sorcellerie qui serait à l’origine de l’apparition des dunes et de la construction du clocher… Une légende qui mêle une fois de plus faits historiques, croyances populaires et éléments merveilleux.

Voici ce qu’elle raconte :

              C’est l’histoire d’un homme et d’une femme bien pauvres qui vivaient dans un petit village de pêcheurs. Les traits tirés par l’inquiétude, ils étaient tous les deux penchés sur le berceau de leur bébé, dont la santé se dégradait jour après jour. Devant cet enfant souffreteux au visage émacié, qui grelottait sans cesse, la femme se lamentait qu’on lui avait certainement jeté un sort. Sans écouter les protestations de son mari qui n’y croyait pas, elle s’en alla trouver le père abbé au monastère.

Le bourg était groupé auprès du quai, sur le courant. A une centaine de mètres se dressaient les murs du monastère avec la grande église et son magnifique porche aux statues multicolores. La jeune femme sonna à la cloche des visiteurs, et le frère portier vint ouvrir. Devant le désespoir de la femme, il alla chercher le père abbé, qui accepta de la suivre jusqu’à chez elle, pour au moins ne pas laisser mourir l’enfant sans la bénédiction de Dieu.

Arrivé près du bébé, le père abbé le bénit, et aussitôt les gémissements cessèrent.
– Donnez lui à manger, mais dans vos bras, ordonna le moine.

Il saisit le berceau qu’il renversa sur le sol battu. Prenant la couette, il la déchira. Les plumes s’étalèrent en voletant, et chose curieuse, il y en avait assemblées en fleurs, en étoiles, en demi-lunes, en croix, et même une très grande couronne, presque fermée.
– Vade retro Satanas, murmura l’abbé.

Se levant, il alla à la porte. Devant lui, la bourgade vivait intensément. Il vit des filles passer, débraillées, aux bras de marins enivrés. Un enfant passa en courant et cracha à ses pieds en blasphémant ; non loin de là, deux femmes ricanaient.
– Mon Dieu ! gémit l’abbé. Le bourg est infesté de sorcières !
Puis il se reprit :
– Mes enfants venez avec moi, amenez vos hardes et laissez ce berceau.

Rentré au monastère, il s’occupa du bébé et des parents, qu’il installa à l’hôtellerie.

– Mes enfants, je vais prier Dieu pour votre bébé, il sera sauvé, j’espère. Demain je vous trouverai un logement sur notre domaine.

Il alla ensuite réunir tous les moines et ils se mirent à prier toute la nuit pour ce petit être si chétif, pour le libérer de l’emprise maléfique de toutes ces sorcelleries. La nuit était tombée, sous les voûtes romanes, les voix psalmodiaient à la lueur fuligineuse des cierges. Le vent soufflait par rafales et la mer grondait. Soudain la tempête se déchaina dans un fracas étourdissant.
– Priez mes frères, priez !
Les jeunes pères tremblaient, les éclairs illuminaient la nef et les flammes des cierges vacillaient.

Le matin arriva enfin. La communauté était harassée mais avait obéi.
Dehors, une montagne de sable recouvrait désormais complètement le port, et bloquait l’accès à la mer.
– Dieu a exaucé mes prières, le bébé est sauvé et tous ces sorciers et sorcières ont disparu, mais il faut quand même penser aux marins…
Il fit construire une haute tour qui engloba le magnifique porche, et c’est de cette tour qu’est né le dicton : «  Que Dieu nous préserve du chant de la Sirène, de la queue de la baleine, et du clocher de Mimizan », car lorsqu’ils voyaient le clocher apparaitre derrière les dunes, les marins savaient que le naufrage était inévitable.

Le Diable ne se tint pas pour battu : sur la grande dune qui dominait dorénavant le monastère, il fit danser les sorcières pour faire enrager les moines.
Il n’y a plus de moines, seules les admirables statues gothiques montent la garde à l’intérieur de la tour clocher. Mais, par les nuits sans lune, si vous entendez des petits cris et des craquements dans le vent de la mer qui siffle… Vite, rentrez chez vous, les sorcières causent sur le tuc.
Attention aux sorts, les plumes volent.

Retrouvez ce conte en intégralité dans Les Contes et Légendes des Landes, de Jean Peyresblanques

Clocher porche de Mimizan

Cette croyance populaire, selon laquelle les sorcières utilisaient les plumes des paillasses, coussins ou traversins, pour jeter des sorts aux braves gens, était très répandue dans les Landes. Il existait même des consignes précises sur la manière de se libérer de la malédiction, ou de prévenir son arrivée ; lorsqu’on s’apercevait qu’une personne devenait malade sans raison et passait de plus en plus de temps au lit, on s’empressait d’ouvrir les lits de plumes pour y trouver ces objets maléfiques, qu’il fallait faire brûler à minuit, à l’entrecroisement de quatre chemins. Une fois ce rituel accompli, on guérissait tout de suite après ! Et pour se protéger de ces sorts malveillants, il était possible d’introduire dans les oreillers, traversins ou couettes des branches de buis et de laurier bénis le jour des Rameaux, des tranches de gâteaux de Noël, des débris de cierge pascal et des branches de fenouil. Ainsi, on était protégé des intentions maléfiques de sorcières qui ne pouvaient plus nous atteindre.

Ces pratiques populaires que l’on pourrait qualifier de magiques ont perduré jusqu’au XXème siècle ; une histoire similaire à celle de Mimizan s’est en effet produite à Soorts-Hossegor vers 1937 :
Une jeune femme nommée Jeanne souffrait de migraines quotidiennes, qui devenaient de plus en plus fortes chaque jour, si bien que la lumière même du soleil la faisait souffrir. Elle se repliait vers l’obscurité. Sa sœur connaissait une femme qui « travaillait sur la sorcellerie », et la fit venir auprès de Jeanne. Au fur et à mesure qu’elles approchaient de la maison, la dame sentit ses pieds se tordre, et à peine arrivée sur le seuil de la chambre de Jeanne, elle eut un mouvement de recul. « Il y a quelque chose ici, vous dormez dans la plume ? » Elle lui ordonna alors de défaire le traversin, qui était effectivement en plumes, et de voir ce qu’elle y trouvait. En tremblant, Jeanne découvrit une croix de plumes bien travaillée et impossible à défaire, ainsi qu’une couronne inachevée. Dès que Jeanne eut brûlé le tout, à minuit, à l’entrecroisement de quatre chemins, comme indiqué par la dame, elle fut guérie, et la vie reprit son cours.

Il y a en réalité une explication toute simple à ce phénomène d’objets en plumes :

Le liquide visqueux qui s’exhale des tuyaux de plumes agglutinent celles-ci entre elles, et par la malaxation quotidienne des ménagères, il ne tarde pas à se produire des formes bizarres que la crédulité du peuple assimile à des êtres vivants ou des objets usuels.
Docteur Charles Lavielle, « Essai sur les erreurs populaires relatives à la médecine », Bulletin de la Société de Borda, 6ème année, Dax, 1881

Je l’avais déjà mentionné dans un précédent article, la sorcellerie en ce temps-là faisait partie de la réalité de la vie quotidienne, et il n’est donc pas étonnant que l’on ait attribué aux sorcières la fabrication de ces objets maléfiques. Quant aux guérisons miraculeuses, ma foi, il me semble qu’il ne faut pas sous-estimer l’effet placebo !

Mais pour la population de cette époque, ainsi qu’on peut le voir dans ce conte, il n’y a souvent qu’un remède aux attaques des sorcières : faire appel à l’Eglise, et aux prêtres, qui endossent à ces occasions le rôle de guérisseurs, voire même de bons sorciers. Il y a là un paradoxe intéressant, car même si l’Eglise condamnait les pratiques magiques et la sorcellerie avec fermeté, le prêtre occupait au sein des communautés un statut équivoque : en le considérant comme seule réponse possible à la sorcellerie, le peuple attribuait au prêtre des pouvoirs magiques, et le hissait au rang d’adversaire personnel des sorcières. C’est ainsi qu’on trouve dans le Sud-Ouest jusqu’au XVIIIème siècle un certain nombre de « prêtres-sorciers », qui devenaient les protecteurs des biens et des hommes, répondant au besoin d’éloigner les sorts et les malédictions qu’exprimaient les fidèles. On accordait à certains prêtres le pouvoir de détourner la grêle, de guérir du « maudat », le mal donné par les sorcières, de retrouver des choses perdues, d’exorciser les démons et bien d’autres choses encore.

Le rôle de l’Eglise a longtemps été ambigü, puisque malgré sa prudence, elle accréditait ce qu’elle prétendait interdire. Il fut bien difficile, voire impossible, de tracer une limite exacte entre religion et superstition… L’Eglise tenta d’atténuer ces superstitions populaires religieuses, qui furent qualifiées d’hérésie, probablement en raison de l’écho qu’elles faisaient à de lointaines pratiques magiques païennes ; le peuple avait en effet introduit le christianisme dans ses pratiques populaires héritées du paganisme, dénaturant ainsi la pratique religieuse chrétienne en y intégrant des superstitions païennes tenaces. Mais malgré ses difficultés à éradiquer ces pratiques, l’Eglise intensifia peu à peu ses efforts car, avec l’arrivée du Siècle des Lumières et de la raison, les superstitions n’étaient plus de mise, et la religion devait revêtir un nouveau visage. Mais dans les campagnes, la relation magique entre le prêtre et les fidèles était très importante pour le peuple, et fut bien difficile à faire oublier.

La petite anguille – Ou la version landaise du conte de Cendrillon

Je vous le disais dans mon précédent article, les contes et les légendes sont des récits, traditionnellement transmis de manière orale, qui évoluent et se modifient à travers les lieux et les époques. S’il en est déjà ainsi pour les légendes locales, les grands contes classiques recueillis par Charles Perrault ou les frères Grimm, et que l’on connait tous aujourd’hui dans leur version figée, ne font pourtant pas exception.

C’est ainsi que dans le recueil de contes de Félix Arnaudin, célèbre collecteur de contes et témoin de la vie landaise au XIXème siècle, j’ai découvert la version landaise du conte de Cendrillon. Quelle ne fut pas ma surprise, en tournant les pages, de retrouver la figure de la jeune souillon, de la marâtre, du prince et des souliers de verre ! Mais bien entendu, ce n’est pas une copie conforme du conte que l’on connait bien, et certains éléments sont bien différents. Parmi eux, le plus évident est certainement la figure de la Marraine la bonne fée, qui disparait et devient… Une anguille !
La petite touche bien landaise de l’histoire…
C’est donc cette petite anguille qui va venir au secours de la jeune fille quand elle en aura besoin, et qui lui fournira les belles robes de princesse.

1311147-Gustave_Doré_illustration_pour_CendrillonGustave Doré, illustration pour Cendrillon

Voici donc ce que raconte l’histoire de cette Cendrillon locale :

« Il était une fois deux veufs qui s’étaient remariés ensemble. L’homme avait une fille et la femme en avait une autre. La fille de l’homme était fort jolie, laborieuse et avenante autant qu’on pouvait le souhaiter, et sa belle-mère la détestait.
Un jour, le père était allé à la pêche et il avait pris une grosse anguille. On avait envoyé sa fille la nettoyer à la fontaine et, au moment où elle s’apprêtait à éventrer la bête, celle-ci lui dit :

– Laisse-moi m’échapper, petite, laisse-moi m’échapper dans la fontaine.

Mais la fille craignait sa tante.

– Non, non, n’aie pas peur, dit l’anguille, tu diras que j’ai glissé dans la fontaine.

La fillette la laissa aller et l’anguille plongea droit au fond de l’eau. Puis elle remonta à la surface et dit :

– Petite, quand tu auras quelque chagrin, tu viendras m’appeler ici : « Anguille, anguillon ! » et je viendrai aussitôt à ton aide.

Quand la petite fille revint à la maison, la marâtre la gronda fort pour avoir laissé échapper l’anguille.

– Tu seras punie, lui dit-elle. Nous sommes aujourd’hui samedi. Eh bien tu n’iras pas à la messe avec nous demain.

Le lendemain matin, toute la famille partit pour l’église, sauf la fillette qui resta pour garder la maison. Et, avant de partir, la méchante femme lui laissa à trier vingt-cinq sacs de gros millet mêlés à vingt-cinq sacs de petit. La fille prit la cruche en pleurant et s’en alla appeler l’anguille à la fontaine :

– Anguille, anguillon.

Aussitôt l’anguille apparut dans l’eau.

– Que veux-tu, petite ?
– Oh ! Les gens de chez nous sont tous allés au bourg et ma tante m’a laissé vingt-cinq sacs de gros millet et vingt-cinq sacs de petit à trier avant son retour. Je ne le ferai jamais…
– Ne pleure plus petite, dit l’anguille, je vais te donner quelque chose. Prends cette pomme ; tu l’ouvriras et tu prendras ce qui est dedans, puis tu t’en iras à la messe. Tu reviendras aussitôt après l’Elévation.

La jeune fille suivit toutes les indications de l’anguille. Dans la pomme, elle trouva une robe comme jamais elle n’en avait vu, toute brodée d’or et d’argent. A l’église, tout le monde la regardait, mais personne ne reconnut cette dame si belle. A l’Elévation, elle sortit de la messe et, quand elle rentra chez elle, elle trouva toute sa besogne faite. Elle retira vite sa belle robe et se mit à attendre les autres.
La marâtre, naturellement, fut surprise et fort dépitée de constater que la jeune fille avait fait tout ce qu’elle lui avait commandé, mais elle n’en laissa rien paraître.

– Oh, si tu savais !… dit la fille de la femme. Aujourd’hui il y avait à l’église une dame d’une beauté…
– Oh, pardi ! répondit l’autre. Toi, tu vois tout, et moi, ici, grondée et mal vue…

Le dimanche suivant, la tante laissa à la jeune fille un char de cendres et un char de terre à trier. Comme ils partaient tous pour l’église, la jeune fille alla à la fontaine :

– Anguille, anguillon.
– Que veux-tu, petite ?
– Oh ! Ma tante est partie pour la messe en me laissant un char des cendres et un char de terre à trier. Je ne le ferai jamais…
– Ne pleure plus, petite, dit l’anguille. Prends cette noix ! Tu l’ouvriras et tu prendras ce qu’il y a dedans. Puis tu t’en iras à la messe, mais reviens-en dès l’Elévation.

La jeune fille suivit toutes les indications de l’anguille. Dans la noix, elle découvrit une robe encore plus belle que la première. A l’église, tout le monde la regarda, encore plus que l’autre semaine, mais nul ne la reconnut. Cependant, le fils du Roi qui était à la messe, remarqua cette dame si belle, et elle lui plut. Mais elle sortit de l’église après l’Elévation et s’enfuit chez elle, si bien que, lorsque ses parents arrivèrent, ils la trouvèrent au coin du feu, faisant cuire la soupe, vêtue de sa robe de tous les jours. Et les deux chars de cendre et de terre étaient démêlés.

– Oh si tu savais !… lui dit la fille de la femme. Aujourd’hui, le fils du Roi était à la messe. Et la belle dame de dimanche dernier était, elle aussi, devant nous.

Le dimanche suivant, la tante commanda à la jeune fille un travail surhumain : elle devait préparer le dîner, mais la soupe ne devait pas toucher la marmite, la table ne devait pas toucher les carreaux, la nappe ne devait pas toucher la table, les couverts, cuillères et fourchettes ne devaient pas se toucher, enfin tout devait se tenir en l’air. La pauvre petite, toute désolée, s’en alla à la fontaine appeler l’anguille :

– Anguille, anguillon…
– Que veux-tu, petite ?
– Oh ! Ma tante est partie pour la messe en me commandant de préparer le dîner. Il faut que la soupe ne touche pas le pot et que la table tienne en l’air toute seule. Je ne le ferai jamais…
– Ne pleure plus, petite, dit l’anguille. Prends cette amande ; tu l’ouvriras et tu prendras ce qu’il y a dedans. Ensuite, tu t’en iras à la messe, mais reviens vite après l’Elévation. Et prends garde qu’on te surveille et qu’on va vouloir t’arrêter.

La jeune fille se conforma exactement aux indications de l’anguille. A l’intérieur de l’amande, elle trouva une robe comme elle n’en avait jamais vu de semblable, tout en soie et garnie de perles et de diamants, avec une paire de souliers de verre. Elle s’en alla à la messe et comme les autres semaines, elle sortit de l’église après l’Elévation. Mais le fils du Roi la guettait et il s’était caché derrière la porte de l’église.
Quand la jeune fille sortit, le fils du Roi voulut l’arrêter. Aussitôt, elle se mit à courir et lui échappa. Mais, dans sa course, elle perdit un petit soulier de verre et le jeune homme la ramassa.
Quand les autres arrivèrent à la maison, ils trouvèrent la jeune fille assise au coin du feu, vêtue de sa robe de tous les jours. Le dîner était prêt, ainsi que sa tante l’avait commandé : les assiettes ne touchaient pas la nappe, la nappe ne touchait pas la table, la table ne touchait pas les carreaux, et la soupe ne touchait pas le pot.

– Oh ! Si tu savais !… dit la fille de la femme. Aujourd’hui, le fils du Roi était encore à la messe. Et la belle dame aussi. Après l’Elévation, elle s’est échappée mais elle a perdu un soulier de verre. Le fils du Roi l’a ramassé et a fait publier à la sortie de la messe que toutes les filles des environs devaient venir au palais demain, pour essayer ce soulier. Et il épousera celle à qui il ira bien.

Pensez si toutes les jeunes filles du pays se rendirent avec plaisir au château, le lundi ! Il n’en manqua aucune, sauf la fille qui n’avait pas de mère, et à qui sa marâtre avait interdit d’y aller.
Toutes essayèrent le petit soulier de verre, mais aucune n’avait le pied assez petit. Il allait assez bien à la fille de la tante, mais il était pourtant un peu court.

– Oh ! il lui va bien, il lui va bien, répétait la mère.

Mais comme le soulier était en verre, on voyait bien que les doigts de pied étaient repliés.
Alors, le fils du Roi demanda à toutes les mères :

– N’y aurait-il pas dans la contrée quelque autre fille qui n’est pas venue ?
– Oh ! dit la tante. Nous avons bien encore chez nous une souillon. Mais ce n’est pas la peine de la faire venir : elle ne sort jamais du coin du feu…
– Eh bien, dit le prince, il faut tout de même aller la chercher.

On y alla donc. La pauvre fille arriva au château. Elle n’était ni bien vêtue ni bien coiffée, mais son visage était beau comme un jour bien clair. On lui essaya le soulier : il lui allait bien.

– Voici mon épouse, déclara le fils du Roi.

La marâtre enrageait et disait pis que pendre de la fille. Rien n’y fit. Le fils du Roi la garda et le mariage se fit. Et comme le roi se sentait vieux, il laissa la couronne à son fils. (…) »

En réalité, le conte local ne se termine pas là, mais la suite n’ayant plus rien en commun avec Cendrillon, je vous laisserai la découvrir par vous-même dans l’ouvrage de Félix Arnaudin.

Le conte s’est donc adapté à la région landaise, et en plus de la figure de la marraine remplacée par l’anguille, un autre élément important se trouve modifié : plus de bal princier comme lieu de rencontre et de coups de minuit en guise de couvre-feu, mais la messe du dimanche, et l’Elévation (la présentation du pain et du vin avant l’Eucharistie). On peut imaginer que ce contexte était mieux adapté à une histoire se déroulant dans les Landes, la religion ayant une grande place dans la vie de la population de cette époque. Vous l’aurez peut-être déjà remarqué au cours des précédents articles, il est rare de lire un conte landais sans que la religion n’y soit mêlée d’une façon ou d’une autre…

Ainsi, le conte de Cendrillon ne compte pas que les deux versions bien connues de Perrault et des frères Grimm (et je suis personnellement reconnaissante que la version landaise nous ait épargné les mutilations que s’infligent les deux belles-sœurs afin de faire rentrer leur pied dans le soulier, comme c’est le cas dans celle de Grimm…), mais également une version landaise, dans laquelle les couleurs locales ne manquent pas de se faire sentir. Et je suis prête à parier que d’autres versions modifiées existent également dans d’autres régions de France, peut-être même dans d’autres coins de l’Europe…

Cendrillon n’est d’ailleurs pas la seule à avoir son pendant landais… Je vous dévoilerai bientôt les versions locales des contes de Peau d’Âne et de La Belle au Bois Dormant ! Restez connectés ! 🙂